Cet article est paru en août 2013 sur l’ancien site de Minurne, fermé par la police de Valls en décembre 2014.
Nous le reproduisons dans son intégralité aujourd’hui, en hommage à Robert Ménard, maire de Béziers qui a osé affronter les gardiens de la bien-pensance en débaptisant la rue du « 19 mars 1962 ».
Le commandant Hélie Denoix de Saint Marc nous a quitté ce 26 août, à l’âge de 91 ans.
Fils d’un avocat bordelais, témoin horrifié de la débâcle de juin 1940, il s’engage dans la Résistance. Déporté en 1943 à Büchenwald-Langestein, il est sauvé in extremis par les américains, dans un état d’épuisement proche de la mort.
St Cyrien, il effectue alors deux missions en Indochine, d’où il doit être évacué en abandonnant les partisans vietnamiens, trahison forcée qui le poursuivra toute sa vie. Il est alors envoyé en Algérie où il commande le 1er REP. Il participe au putsch d’avril 1961, sans doute pour ne pas devoir revivre une seconde fois l’infâme abandon de ceux qui avaient choisi de servir la France. Il fera 5 ans de forteresse à Tulle.
Réhabilité en 1978, il deviendra alors écrivain, historien, témoin discret et profondément humain d’une époque trouble et ambiguë. Il obtiendra en 1989 le Prix Fémina pour son ouvrage autobiographique « Les champs de braise », écrit avec son neveu l’éditeur Laurent Beccaria.
Il s’était lié d’amitié avec un ancien adversaire, l’écrivain allemand August von Kegenecht, ancien officier de la Wehrmacht. Ensemble, ils publièrent en 2002 « Notre histoire », une suite de conversations sur ce XX° siècle sanglant, vu des deux côtés du Rhin.
Il fut élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d’Honneur en 2011. Dans la cour des Invalides, il reçut cette récompense debout, des mains de Nicolas Sarkozy. Justice lui était enfin rendue. Il eut ce simple commentaire, qu’on peut traduire comme on l’entend : «La Légion d’honneur, on me l’a donnée, on me l’a reprise, on me l’a rendue…»
Mais c’est un lecteur de Minurne, Titanaël, qui nous a suggéré le mot de la fin…
Quel meilleur hommage, en effet, aurions nous pu rendre à Elie de Saint Marc que de publier ce texte puissant, inspiré, actuel et pourtant empreint d’humilité face à la destinée humaine ?
« Que dire à un jeune de 20 ans ? ».
Quand on a connu tout et le contraire de tout,
quand on a beaucoup vécu et qu’on est au soir de sa vie,
on est tenté de ne rien lui dire,
sachant qu’à chaque génération suffit sa peine,
sachant aussi que la recherche, le doute, les remises en cause
font partie de la noblesse de l’existence.
Pourtant, je ne veux pas me dérober,
et à ce jeune interlocuteur, je répondrai ceci,
en me souvenant de ce qu’écrivait un auteur contemporain :
«Il ne faut pas s’installer dans sa vérité
et vouloir l’asséner comme une certitude,
mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère».
A mon jeune interlocuteur,
je dirai donc que nous vivons une période difficile
où les bases de ce qu’on appelait la Morale
et qu’on appelle aujourd’hui l’Ethique,
sont remises constamment en cause,
en particulier dans les domaines du don de la vie,
de la manipulation de la vie,
de l’interruption de la vie.
Dans ces domaines,
de terribles questions nous attendent dans les décennies à venir.
Oui, nous vivons une période difficile
où l’individualisme systématique,
le profit à n’importe quel prix,
le matérialisme,
l’emportent sur les forces de l’esprit.
Oui, nous vivons une période difficile
où il est toujours question de droit et jamais de devoir
et où la responsabilité qui est l’once de tout destin,
tend à être occultée.
Mais je dirai à mon jeune interlocuteur que malgré tout cela,
il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine.
Il faut savoir,
jusqu’au dernier jour,
jusqu’à la dernière heure,
rouler son propre rocher.
La vie est un combat
le métier d’homme est un rude métier.
Ceux qui vivent sont ceux qui se battent
Il faut savoir
que rien n’est sûr,
que rien n’est facile,
que rien n’est donné,
que rien n’est gratuit.
Tout se conquiert, tout se mérite.
Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu.
Je dirai à mon jeune interlocuteur
que pour ma très modeste part,
je crois que la vie est un don de Dieu
et qu’il faut savoir découvrir au-delà de ce qui apparaît
comme l’absurdité du monde,
une signification à notre existence.
Je lui dirai
qu’il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves,
cette générosité,
cette noblesse,
cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde,
qu’il faut savoir découvrir ces étoiles,
qui nous guident où nous sommes plongés
au plus profond de la nuit
et le tremblement sacré des choses invisibles.
Je lui dirai
que tout homme est une exception,
qu’il a sa propre dignité
et qu’il faut savoir respecter cette dignité.
Je lui dirai
qu’envers et contre tous
il faut croire à son pays et en son avenir.
Enfin, je lui dirai
que de toutes les vertus,
la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres
et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres,
de toutes les vertus,
la plus importante me paraît être le courage, les courages,
et surtout celui dont on ne parle pas
et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse.
Et pratiquer ce courage, ces courages,
c’est peut-être cela
«L’Honneur de Vivre»
Hélie de Saint Marc