La Catalogne va-t-elle ou non devenir un État indépendant ?
Le processus semble bien engagé, et ceci depuis des années. Nous autres, les partisans d’une « Europe des Nations », seule voie possible pour une éventuelle construction européenne, avons depuis longtemps dénoncé un processus de régionalisation rampante qui ne pouvait qu’affaiblir les États.
Or, il se trouvait que c’était le but recherché par les partisans d’une Europe fédérale. Bien que non-avoué, le grignotage progressif dû au transfert des compétences de l’État vers les régions conduisait mécaniquement au résultat. Dans la vision des eurofédéralistes, la disparition des États-nation était le point de passage obligé de ce cheminement débuté dès l’immédiat après guerre.
Il est légitime de se poser la question toute bête : en quoi les Nations sont-elles aussi gênantes pour le futur de l’humanité ? Pour construire une nation, il faut un peuple. Mais cela ne suffit pas. De Gaulle, avec sa verve coutumière, disait : « Les Arabes sont un peuple qui, depuis les jours de Mahomet, n’ont jamais réussi à constituer un État ». Pour faire une Nation, il faut donc simultanément un peuple et un État. Il peut y avoir des États qui regroupent plusieurs peuples, et deviennent alors des Empires, mais une nation souveraine exigent qu’il y ait à la fois un peuple et des institutions, c’est à dire une organisation des pouvoirs dont le cadre juridictionnel devient la Nation. C’est ainsi que la France s’est dotée d’une Assemblée Nationale, d’un Sénat ou d’un Président de la République, dont le fonctionnement est décrit pas la Constitution.
On conçoit alors plus facilement que tout pouvoir qui voudrait s’étendre d’une façon « impériale » en coiffant par un pouvoir « supranational » des nations constituées ne puisse tolérer l’existence des ces États-nation qui apparaîtrait comme une « dualité de pouvoir ». Seulement, ce transfert de compétences, donc de pouvoir vers des régions possédant des particularismes soutenus n’est pas sans risque. Surtout lorsque les peuples de ces régions ont le sentiment de « payer pour les autres ». C’est tout le problème du fédéralisme qui veut imposer des règles communes à l’intérieur d’un périmètre dans lequel les disparités vont s’accentuant.
La Catalogne possède les attributs d’un « proto-État ». Son peuple possède une langue, une grammaire, une histoire et une culture. Ceux qui pensent que cette région s’en sortirait encore mieux si elle devenait indépendante de l’Espagne sont de plus en plus nombreux. C’était le risque ce cette régionalisation conduisant à la création de parlements régionaux qui ne demandent qu’à évoluer vers des parlements nationaux, quelle que soit la taille de la région d’origine. On comprend le scepticisme qui s’empare des dirigeants européens, partagés entre la satisfaction de voir leur projet de disparition des États-nation prospérer et leur inquiétude face aux conséquences d’un tel projet, conséquences qui n’ont probablement pas été appréhendées lors de sa mise en œuvre.
Or, les processus d’indépendance se sont rarement terminés pacifiquement. Les guerres d’indépendances ont jalonné l’histoire du monde et des peuples. Quelques fois, se sont des Empires qui se désintègrent, et les Nations qui les constituaient réapparaissent sans tarder, comme l’écrivait Hélène Carrère d’Encausse [1].
D’autres fois ce sont des provinces ou bien des régions qui choisissent de reprendre leur liberté, mais l’entité (État ou territoire) dont leurs habitants souhaitent se détacher y voit, de son côté, une perte de souveraineté et de pouvoir, sans parler d’un éventuel aspect économique. Il serait intéressant, de ce point de vue, de savoir ce que pense le Département d’État américain au sujet de la Catalogne.
Le rapport de forces devient alors déterminant et la probabilité de guerre civile augmente d’une façon considérable. Les marges de négociation, souvent faibles au départ, deviennent inexistantes lorsque les esprits de « radicalisent » (pour reprendre un terme actuel) Une fois engagé, nul ne peut prédire l’issue d’une telle confrontation, chacun arguant de son « bon droit ». L’intangibilité des frontières nationales se heurte ainsi au droit des Peuples « à disposer d’eux-mêmes ».
Ainsi, l’Europe bâtie sur un rêve de paix il y a presque 70 ans risque de se trouver à l’origine d’un conflit en raison de l’ambigüité de sa politique visant à faire émerger les régions inpirées par le modèle des Landers allemands au détriment des États-nation appelés à se fondre dans un État supra-national et fédéral. Ce retour vers une sorte de « Saint Empire Romain-Germanique » est très inquiétant, particulièrement lorsque l’éventualité d’un « choc de civilisations » ne peut-être totalement exclue.
Alors le vieux proverbe : « Qui sème le vent récolte la tempête » risque de s’imposer dans toute sa rigueur dans l’avenir.
Jean Goychman
08/10/2017
[1] L’Empire éclaté (éd. Flammarion, 1978) http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1979_num_34_6_18177