Pour répondre à une déclaration récente du Président Macron.
Lors de son discours de l’inauguration du mémorial de Hartmannswillerkopf (Haut-Rhin), Emmanuel Macron a employé le terme de « guerre civile » pour caractériser la première guerre mondiale. Une guerre est qualifiée de « civile » lorsqu’elle oppose, à l’intérieur d’un pays, une ou plusieurs parties du peuple entre elles.
Emmanuel Macron le sait parfaitement et c’est à dessein qu’il fait ce contre-sens. Il veut ainsi accréditer l’idée qu’un peuple européen aurait existé avant la guerre de 14 et que ce peuple aurait été constitué par les belligérants. Pour lui, les Allemands, les Anglais, les Autrichiens, les Belges, les Français, les Italiens et les Russes, pour ne parler que d’eux et par ordre alphabétique, auraient déjà formé le peuple « européen ». Voici une hypothèse qui semble bien hasardeuse et qu’il convient de « creuser ».
Si les raisons qui justifient, dans le discours, l’emploi de ce terme, apparaissent assez évidentes, leur justification est beaucoup plus ardue et nous allons voir qu’elle ne correspond à aucune réalité. Emmanuel Macron est ce qu’on pourrait appeler un « euro-mondialiste » et il est même probablement mondialiste avant d’être européen. Il sait parfaitement que cette fameuse « Europe » dont il nous parle à satiété n’est qu’une fiction, une sorte de chimère qui, à force d’en parler comme si elle existait vraiment, a pris dans l’esprit des gens l’apparence d’une réalité. Bien sûr, il y a eu le Marché Commun en 1957, l’Acte Unique en 1986, le Traité de Maastricht en 1992 et celui de Lisbonne en 2009, mais cela est-il constitutif d’une « nation européenne » dotée de les attributs d’une nation ?
Assurément non ! Notre président se livre (et ce n’est pas la première fois) à une sorte d’abus de langage. Je vais rappeler, au risque de me répéter, quelques phrases du général de Gaulle, auquel il se réfère souvent lui-même dans ses propos. Déjà confronté à ce problème de la définition de cette chose qu’on appelait déjà l’Europe (qui n’est pas définie en Droit) de Gaulle disait en 1963 « Les seules réalités internationales, ce sont les nations ». Remarquons que de Gaulle ne place rien au dessus des nations, pas même les empires. Il en a donné l’explication lorsque, questionné afin de savoir pourquoi il n’employait pas le terme d’Union Soviétique et parlait de la Russie, il répondit que « La Russie était éternelle, mais que l’Union Soviétique ne l’était pas ».
L’Union Européenne n’est pas une nation
Ce n’est pas un empire non plus, encore que… On ne peut exclure qu’elle ne le devienne pas, mais c’est peu probable. Emmanuel Macron voudrait fédérer l’Europe, même s’il ne le dit pas explicitement. Une fédération ne peut exister que s’il existe une entité fédératrice. Et cette entité ne peut prendre corps que si les peuples qui la souhaitent et en ressentent le besoin. Ces peuples doivent avoir envie de ne plus en former qu’un. Ce fut le cas du peuple helvète, du peuple américain, (après quelques vicissitudes) et de quelques autres. Il se trouve que, comme disait encore de Gaulle, « il n’y a pas d’élément fédérateur ». On a bien essayé d’en fabriquer, mais cela ne semble pas marcher. D’aucuns pensaient que l’euro, monnaie unique – ou inique – pour les pays de la zone monétaire, aller jouer ce rôle. Cela n’a pas fonctionné et on constate même aujourd’hui que l’euro divise plus qu’il ne rassemble.
On pourra toujours inventer un ministre pour la zone euro, un président, voire même un gouvernement de cette zone, tout ceci restera artificiel tant qu’il n’existera pas un peuple européen qui l’appellera de ses vœux. Et ce n’est pas pour demain, ni pour les décennies à venir. Nos nations se sont forgées sur des siècles voire des millénaires. C’est un fait. Et il faut que la Nation apporte quelque chose pour que le peuple se reconnaisse en elle. Ce peut être la sécurité des biens comme des frontières, la prospérité par la mise en valeur du territoire qui facilite les échanges et les communications, la complémentarité entre les territoires ou bien d’autres choses. Dans tous les cas, il faut que le peuple y trouve un intérêt.
Le problème qui se pose à ceux qui, comme Emmanuel Macron, veulent « enjamber » cette difficulté pour progresser vers l’avènement d’une sorte « d’État mondial » dirigé par une élite à laquelle ils pensent probablement appartenir, est qu’ils doivent absolument cocher cette case du fédéralisme européen, même s’il est fictif, afin de donner une sorte d’illusion démocratique d’un consentement à cet État mondial.
De Gaulle, encore lui, disait que la Belgique se servait le l’Europe des Six comme d’un cerclage qui lui évitait d’exploser. Certains peuples européens semblent aujourd’hui se diviser, précisément sur la cohésion de leur nation. C’est le cas de l’Espagne, de l’Italie. D’autres supportent de plus en plus mal les « oukases » de la Commission ou du Conseil de l’Europe, en matière d’immigration comme d’imposition de certaines normes communes.
L’argument de la paix
Alors il reste l’argument de la paix. Emmanuel Macron, après avoir vilipendé les nationalismes en tant que sources de conflit, veut effrayer les gens en invoquant la « précarité » de la paix, que la montée des « extrêmes » ne peut que compromettre. On doit comprendre que tout ce qui, de près où de loin, s’apparente au patriotisme ou à la souveraineté nationale, ne peut que conduire à la guerre. L’argument est fallacieux et peut même se retourner contre lui. A-t-on jamais vu qu’une guerre soit déclarée uniquement par un peuple envers un autre ? – Naturellement non. Les déclarations de guerre sont l’apanage des gouvernements, à tel point que ceux-ci doivent presque toujours forcer la menace pour que le peuple accepte l’état de guerre. Même dans les régimes autoritaires, il faut préparer les esprits longtemps à l’avance pour leur faire accepter.
Par contre, et c’est là d’où vient le danger, lorsqu’on a forcé malgré eux les gens à vivre ensemble alors qu’ils ne le souhaitaient pas, le retour à l’état antérieur peut être destructeur, car les haines enfermées ont eu le temps de recuire. Ce fut notamment le cas pour la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie. Loin d’aplanir les divisions, le temps qui passe à plutôt tendance à les entretenir, voire les amplifier. Les peuples européens ont, pour la plupart, retrouvés leur sérénité et ne contestent plus l’existence des autres. C’est un état d’esprit relativement récent. De Gaulle l’avait parfaitement ressenti et il croyait en la sagesse des peuples. Les massacres, dus à la technologie des armes, des deux guerres mondiales qui n’étaient en aucun cas des guerres civiles, avaient atteint une telle intensité, y compris, et c’est un fait nouveau apparu lors de la seconde, auprès des populations civiles.
De surcroît, l’emploi des armes atomiques et autres armes de destruction massives joue un rôle tellement dissuasif que la possibilité d’un nouveau conflit en Europe n’est plus envisageable. C’est la base même de la dissuasion conçue par de Gaulle Les arguments d’Emmanuel Macron ne sont pas convaincants et on peut douter qu’ils puissent justifier ainsi ce besoin d’un fédéralisme que d’aucuns voudraient imposer sans succès depuis près de cinquante ans.
Il faudra bien également qu’un jour quelqu’un nous explique pourquoi l’idée une Europe basée sur la coopération des nations souveraines entre elles est systématiquement ignorée, voire rejetée. C’est pourtant celle que de Gaulle avait proposée dès 1963. C’est d’ailleurs sur ces principes que les programmes Transall puis Airbus ont été réalisés.
La Russie et l’Europe
Il est évident que la Russie fait partie intégrante de l’Europe. Pourquoi les dirigeants européens, qui ne perdent pas une occasion de rappeler l’admiration et le respect qu’ils ont pour de Gaulle, ne s’inspirent-ils pas d’avantage de sa vision pour une Europe qui doit s’étendre « de l’Atlantique à l’Oural » ? On conçoit qu’elle ne soit pas conforme à certains intérêts américains, mais on ne voit pas à quel titre ceux-ci seraient privilégiés au point de nuire à ceux des peuples européens.
Nous dire que nous avons connu une ère de paix uniquement grâce à l’Europe est largement outrancier. On a essayé de faire croire au mythe « protecteur » de l’Europe qui n’a cependant jamais pris en main sa propre défense, préférant la laisser, via l’OTAN, aux États-Unis. Ceux-ci préféraient à l’évidence, l’utiliser comme un glacis, une sorte de tampon d’interposition entre eux et l’URSS.
Pour cette raison, la France de de Gaulle a quitté le commandement intégré de l’OTAN en 1966. Pourquoi les autres pays européens n’ont-ils pas suivi cet exemple ?
Enfin, permettez-moi de rappeler ce que disait de Gaulle au sujet d’une « Europe intégrée » :
« Prenez le problème de plus haut, Peyrefitte ! En quoi consistent les projets européens depuis les années 50 ? À rendre à l’Allemagne son charbon, son armée, sa place en Europe. Mais parce qu’on osait pas le faire directement, de peur de braver l’opinion publique, on le faisait derrière un paravent, de façon cauteleuse. De même pour l’Italie, qu’on lavait de tout ce qu’elle avait fait pendant la guerre. C’est le moyen, sans trop en avoir l’air, d’en refaire des pays qui puissent regarder les autres en face. Je ne suis pas contre. C’est même ce que je fais ; mais il ne faut pas être dupe ; et il est bon qu’ils n’oublient pas tout à fait que nous aurions pu faire autrement.
« L’Europe intégrée, cela ne pouvait convenir ni à la France, ni aux Français… Sauf à quelques malades comme Jean Monnet, qui sont avant tout soucieux de servir les États-Unis. […] L’alibi tout trouvé, c’était l’Europe ; l’excuse à toutes les lâchetés, les dérobades, c’était l’Europe intégrée ! »
Jean Goychman
12/11/2017