MACRON MARCHE SUR LES EAUX !
(L’Imprécateur)

Macron au Sénégal

Macron salue la foule avec beaucoup de naturel…

« Macron marche sur les eaux à Saint Louis » a titré Le Monde pour chapeauter un article dithyrambique de Solenn De Royer, avant de rectifier dans l’édition suivante d’un plus modeste « Sénégal : Macron défend la cause climatique à Saint-Louis » pour apaiser la vague de rigolade qui a envahi le Net. Cela dit, ce n’était pas faux, Macron n’est-il pas venu pour sauver le monde, comme son prédécesseur de l’an zéro qui a légué son nom à toute l’ère « après Jésus-Christ » ? Et lui au moins (Macron), il ne se contente pas de multiplier les petits pains et de changer l’eau en vin, il multiplie les millions d’euros, parfois les milliards, qu’il distribue à la pelle partout où il passe en Afrique.

Closer a trouvé une autre qualité à Macron : « Brigitte Macron et Emmanuel Macron dansent ensemble à Dakar (et c’est trop mignon). » « Mignon » n’est pas le qualificatif dont j’affublerais Macron-les-Grands-Crocs, et pour être franc, plutôt que « Macron marche sur les eaux à Saint-Louis », j’eus préféré lire dans Le Monde « Sénégal : Saint-Louis marche sur Macron », mais à chacun ses fantasmes ! La communicatrice en chef de l’Élysée, Si-Bête n’Diayé, a trouvé mieux pour montrer son enthousiasme : « Quand tu passes ta soirée du vendredi avec @EmmanuelMacron. #BabaMaal ». Pour vous donner une idée de l’enthousiasme de la jeune Si-Bête, apprenez que « Baba Maal » est un chanteur populaire sénégalais, celui en robe jaune dans la vidéo ci-dessous.

Revenons aux choses sérieuses

L’océan monterait, paraît-il, beaucoup plus vite et plus haut à Saint-Louis-du-Sénégal que partout ailleurs dans l’Atlantique. Macron a dénoncé cette anomalie climatique : « Nous avons vu l’érosion côtière, la peur, les murs qui tombent, l’activité économique détruite, et la ville qui peu à peu recule devant ce que certains parfois veulent encore nier ». Joliment dit mais faux, basé sur une analyse erronée de la situation par les écolos-climatologues de France et du GIEC, que « certains » ont raison de dénoncer, voire de nier.

À Saint-Louis, l’érosion n’est pas due à la montée des eaux qui n’est pas plus prononcée qu’ailleurs dans l’Atlantique, 1 à 2 mm par an, mais par la disparition du sable et une avancée des eaux à l’horizontale dont la cause est purement d’origine humaine. Une cause humaine que l’on retrouve dans de nombreuses îles du Pacifique où l’on se plaint également de la montée des eaux.

Il y a une trentaine d’années, le président de Kiribati, un minuscule atoll peuplé de 6.000 habitants, m’avait demandé de trouver une solution pour enrayer la « montée » des eaux rongeant la côte sablonneuse qui, par marée haute, est à moins d’un mètre au-dessus du niveau de l’océan. Je lui avais conseillé d’arrêter de dynamiter le récif pour avoir du matériau (corail) afin de remplacer les cases traditionnelles en bois et palmes par des maisons en dur et de remblayer la piste routière qui fait le tour de l’atoll. La forte houle du large passant par les brèches créées dans le plateau corallien par la dynamite vient maintenant attaquer directement la plage de sable, entraînant celui-ci au fond du lagon, si bien que les maisons qui y ont été construites se retrouvent les pieds dans l’eau. La montée du Pacifique n’est pas en cause.

Le Sénégal en crue

Saint-Louis est construite à l’embouchure du fleuve Sénégal qui est aussi la frontière avec la Mauritanie désertique. Depuis des millénaires, ce fleuve charriait à chaque crue des millions de tonnes de sable qui, petit à petit, ont construit par leur afflux constant cette longue côte parsemée d’îles sablonneuses qui aujourd’hui se dégrade. Au lieu d’incriminer un réchauffement climatique qui n’a rien à voir dans l’affaire, le président et son très inculte ministre de l’écologie devraient se demander pourquoi.

Dans le souci légitime de développer l’agriculture afin de nourrir une population en croissance rapide du fait de l’arrêt des guerres tribales et de l’esclavage par la colonisation, la France a réalisé les premiers aménagements hydro-agricoles sur le fleuve Sénégal et notamment des digues. Elle tenta de faire du Waalo (delta et basse vallée du fleuve Sénégal) un pays de plantation (coton, canne à sucre, tabac). Ce fut un échec, faute de tradition de culture irriguée chez les populations locales.

Dans les années 1960, les États riverains du fleuve Sénégal ont lancé un programme de coopération qui a débouché sur la construction de grands barrages dans un contexte de désertification accélérée du Sahel. Premiers objectifs : la construction du barrage hydroélectrique de Manantali à 1070 kilomètres de l’embouchure et d’un barrage anti-sel à Diama à 27 kilomètres de l’embouchure. Manantali, d’une capacité de 11,5 milliards de m3, a un rôle régulateur des crues. Lorsque la réserve est suffisamment reconstituée en fin d’hivernage, il permet d’assurer un débit minimum de 200 m3/s de février à juin, nécessaire aux besoins de l’agriculture irriguée en contre-saison.

Cela a un effet pervers identique à celui du barrage Nasser à Assouan sur le Nil : les boues et les sables qu’autrefois les crues entraînaient jusqu’à la côte où il se déposaient en s’étalant le long du rivage sous l’effet des courants marins n’y arrivent plus. D’autant que le barrage de Diama distribue les eaux dans tout le delta par irrigation gravitaire pendant la saison sèche. Il serait exagéré de dire que le fleuve Sénégal est à sec quand il arrive à l’océan, mais il ne remplit plus son rôle de charrieur de sable pour alimenter la côte Atlantique. Celle-ci s’érode sous l’effet des courants et des tempêtes et la soi-disant montée du niveau de l’Atlantique n’y est pour rien. Ce n’est qu’un mythe commode pour justifier taxes et subventions.

Mais ce n’est pas tout ! Car il y a aussi des effets négatifs à terre : La plaine inondable s’est rétrécie du fait de l’écrêtement des crues du fleuve. La pêche fluviale ainsi que les activités pastorales sont également perturbées par les barrages, et les maladies d’origine hydrique (bilharziose, paludisme, fièvre de la Rift Valley…) se sont développées. La bilharziose urinaire, notamment, est devenue aujourd’hui, dans le delta et de basse vallée du fleuve, un grave problème de santé publique. Sur le plan de l’environnement, la stagnation des eaux de surface et la prolifération des moustiques et d’espèces aquatiques nuisibles comme le Salvinia molesta (une très petite fougère aquatique poilue et flottante) et la jacinthe d’eau sur la surface, constituent des menaces pour les réserves protégées de Djoudj et de Langue de Barbarie, en compromettant la reproduction des oiseaux migrateurs.

Cela dit, il y a aussi des effets positifs : l’agriculture vivrière peut être pratiquée toute l’année et la production d’électricité hydroélectrique assure une bonne partie de la consommation des pays riverains.

Le climat de l’ouest sénégalais et mauritanien est marqué par de longues périodes de sécheresse, comme celle de 1968 à 1989 (Leborgne, 1990) qui a fait penser que la désertification devenait irréversible, entrecoupées de périodes plus humides. Avoir tenté d’y remédier en régulant le débit du fleuve par des barrages est probablement une bonne chose − globalement tout au moins − mais cela s’est fait au détriment de la côte dans la région de l’embouchure où se trouve Saint-Louis. L’Atlantique et le réchauffement climatique n’y sont pour rien. Et ce ne sont pas les 15 millions donnés par Macron pour construire une digue enrochée qui rendront à la côte les apports de sable qui lui manquent pour reconstituer les deux ou trois kilomètres de plage qui ont disparu à cause des barrages.

L’Imprécateur
06/02/2018