Le président américain vient de commettre un sacrilège impardonnable. Rompant avec la tradition qui a valeur de dogme dans le monde occidental, Donald Trump vient de relever les droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Il n’hésite pas à s’attaquer à un des piliers du « multilatéralisme » (mot compliqué pour dire que tout le monde doit commercer avec tout le monde et réciproquement) sans lequel le rêve de la « mondialisation heureuse » (enfin, tout dépend pour qui…) risque de tourner court.
Remise en question du principe fondamental du libre échange
Le libre-échange – alpha et oméga de la construction européenne – vient d’en prendre un sacré coup. Présenté comme la théorie économique qui devait enrichir la planète entière et assurer un développement harmonieux pour tous, il ne peut cependant coexister avec la souveraineté des États-nations. Un des deux est de trop, et vous devinerez facilement lequel… Durant des décennies, personne n’a voulu aborder ce problème fondamental. Et cela arrangeait d’autant plus les tenants du libre-échange qui n’avaient guère envie de voir ce débat arriver. Jusqu’alors, les relations commerciales entre les États étaient régies par des accords « bilatéraux », c’est à dire des accords négociés entre deux États au mieux de leurs intérêts légitimes réciproques. Chacun recherchait ainsi une forme de réciprocité dans la valeur des échanges de façon que la « balance » du commerce entre les deux soit équilibrée.
L’occasion perdue de la Charte de La Havane
C’est dans cet esprit et afin de compléter au mieux la Charte des Nations Unies adoptée après la conférence de San Francisco 1 de juin 1945 qu’a été mise en chantier la Charte de La Havane 2.Nous étions dans l’immédiat après-guerre et la réconciliation entre les peuples était de mise. Cette charte reprenait certains points de celle des Nations-Unies, notamment sur le plein emploi universel. Elle fixait également des règles de bon-sens, comme celle de la réciprocité des échanges commerciaux entre deux États qui imposait l’équilibre de la balance du commerce extérieur. En clair, aucun pays ne devait et ne pouvait exporter plus qu’il n’importait. Cela impliquait que les quantités de devises nécessaires à ces échanges étaient strictement les mêmes en valeur cumulée. Cette condition était essentielle pour un développement harmonieux des échanges commerciaux. Cette charte fut signée le 24 mars 1948 par 146 pays.
Le refus du Congrès a enterré la Charte de La Havane au profit du libre-échange
Malheureusement, l’« école de Chicago », basée sur les études de Milton Friedman (considéré comme le père du néo-libéralisme) avait pris les devants et commencé son travail de « communication » notamment auprès des représentants élus. Le Congrès américain a rejeté la ratification de la Charte de La Havane qui n’est donc jamais entrée en vigueur. Elle était, de fait, totalement incompatible avec les futures relations « multilatérales » qui devaient généraliser le libre-échange qui, progressivement, s’est étendu à la surface de la planète. On peut s’interroger sur les raisons de ce changement de conception dans les relations internationales. Celles-ci sont liées au mouvement mondialiste très fort qui gagnait du terrain dans le monde occidental. La fin de la guerre avait consacré les États-Unis en tant que puissance dominante. Dès 1944, les accords de Bretton Woods 3 faisaient du dollar la monnaie internationale. Cela allait être déterminant pour la suite. Le triptyque Réserve Fédérale, Fonds Monétaire International et Banque Mondiale allait devenir l’instrument de la mondialisation, économique dans un premier temps puis politique.
Au début, le dollar était convertible en or
Après une vingtaine d’années de relative stabilité des devises les unes par rapport aux autres, les choses commencèrent à se gâter. De Gaulle fut un des premiers à réagir en émettant des doutes sur la couverture réelle en or de la monnaie américaine, compte tenu du volume de l’émission des billets 4 et appliqua à la lettre la règle de convertibilité en renvoyant vers les États-Unis des dollars imprimés par la FED en échange de lingots d’or qui furent entreposés dans les caves de la Banque de France. Devant le danger d’une contagion qu’un tel exemple pouvait susciter, la FED fit annoncer par Nixon la suspension du « gold exchange standard » le 15 août 1971. Le commerce international, dont les règles étaient déjà faussées en raison de la double-nature du dollar, (voir note de fin 5) devint alors une sorte de « jungle de libre-échange » où toutes les manipulations devenaient possibles. Mais peut-être était-ce un des objectifs inavouables des tenants du mondialisme financier ?
L’étape d’après : la suppression des frontières
Une fois admis sans réserve le principe du libre-échange universel, il fallait retirer tous les freins susceptibles de le ralentir, voire de l’empêcher. En premier lieu, il fallait s’attaquer aux États-nations. Le maintien de la souveraineté des peuples était totalement incompatible avec la religion du libre-échange, qui ne pouvait – à terme – que se traduire par une disparition de toutes les frontières, indispensables attributs de la souveraineté. Les grands gagnants étaient, bien sûr, ceux qui contrôlaient les flux financiers, c’est-à-dire tout ceux qui pouvaient contrôler les émissions monétaires, fiduciaires ou bien scripturales, ainsi que les mouvements de capitaux. Tout le monde, tant s’en faut, n’était pas logé à la même enseigne et ce fut la montée en puissance des pays « en voie de développement » auxquels les faibles salaires donnèrent un avantage compétitif quasi-insurmontable sur les pays industrialisés.
Le leurre de l’ère post-industrielle
La plupart des dirigeants occidentaux (dont beaucoup étaient européens) ont rapidement compris qu’à terme, les emplois industriels allaient disparaître car c’était la rançon à payer au libre-échange généralisé. Comme il était exclu de demander aux peuples concernés quelles pourraient être ses préférences entre le maintien du plein emploi et l’adoption d’un système économique qui allait détruire ces mêmes emplois, ils ont préféré, au nom de l’incontournable progrès technique, travestir la vérité en continuant à promettre le plein emploi par la création d’activités nouvelles. Cette idée, propagée par la Commission Trilatérale 6 qui considérait qu’un Nouvel Ordre Mondial devait être basé sur un libre-échange généralisé contrôlé par une entité mondiale. Les pays développés devaient s’occuper du commerce et de la finance et ceux en voie de développement devaient devenir « l’atelier du Monde », tandis que les autres allaient simplement fournir les matières premières. Cette vision a fini par s’imposer et, durant une quarantaine d’années, personne n’a pu ou voulu la remettre en question. Les traités de libre-échange multilatéraux se sont généralisés et, petit-à-petit, les peuples semblaient se résigner à subir un chômage endémique.
La crise de 2008 a changé la donne
Puis il y eut le réveil brutal de la crise des subprimes 7 qui jeta un coup de projecteur sur ce qui devait à tout prix rester dans l’ombre. La cupidité de certains banquiers étant sans limites, les petits génies de la Finance avaient imaginé une sorte de martingale à base de produits financiers élaborés par un savant mélange de « bons » et de « mauvais » crédits, présentés dans un bel emballage qui les rendaient attractifs. Je ne vais pas refaire toute l’histoire, mais le résultat fut catastrophique et permit de découvrir cette étrange collusion entre les Banques Centrales et les Banques Privées, les premières étant censées, dans l’esprit du public, contrôler les secondes pour protéger le bon peuple…
Lorsque ce « bon peuple » s’est rendu compte qu’il était le dindon de la farce et que ses impôts allaient augmenter pour sauver le système bancaire, la réalité lui a éclaté à la figure. Et les peuples sont sortis de la léthargie profonde dans laquelle les médias mainstream les maintenaient. Ce fut les premiers mouvements « populistes », terme imaginé pour la circonstance et qui montrait clairement le dédain de cette oligarchie de la finance envers ceux qu’elle avait berné durant des décennies.
La montée lente mais régulière de la contestation de ce système
Le rapport de forces était écrasant. Le système financier international maîtrisant à peu près tout, y compris les médias principaux, les mouvements s’y opposant ne disposaient que de bien peu de choses pour émerger.
Et puis, arriva l’imprévu. Le développement technologique de la communication numérique ouvrit un champ nouveau qui pouvait contourner, via ce qu’on appelle les « réseaux sociaux ». Les médias traditionnels, qui, malgré tous les efforts d’endiguement et de reprise de contrôle dont ils étaient capables, perdirent inexorablement leur crédit. Ce tournant absolument essentiel finit par trouver sa traduction dans les sondages des intentions de vote, puis dans les résultats des élections. On constate d’ailleurs, très logiquement, que les plus actifs dans ce domaine sont les jeunes alors que les plus anciens sont plus réticents, justifiant ainsi Mark Twain : « Il est plus facile de duper les gens que de leur faire admettre qu’ils ont été dupés… »
Du changement d’opinion à la prise du pouvoir
Winston Churchill avait dit un jour : « On peut compter sur les Américains pour trouver la meilleure solution. Après avoir, naturellement, essayé toutes les autres… » C’est ce qui semble s’être passé. Après quelques avancées importantes, les mouvements populaires avaient cependant du mal à franchir le « plafond de verre » contre lequel il se heurtaient.
L’élection de Donald Trump permit de passer à une étape décisive. On peut toujours, comme le font les médias contrôlés par ses adversaires, tenter de le ridiculiser, de le décrédibiliser, voire l’attaquer dans des affaires sordides, le résultat est là, et, comme disait le général McArtur « There is no substitute for victory » (Rien ne remplace la victoire).
Et Donald Trump, malgré les bâtons dans les roues que lui met l’État Profond américain, fait ce qu’il a dit. Et il applique des choses très simples, que tout le monde comprend. Si on veut sauver, voire créer des emplois industriels, il faut produire des biens industriels. Évidemment, ses adversaires, qui ont tout misé sur la communication, s’empressent de qualifier sa démarche de « simpliste » tout comme le populaire devient « populiste ».
Vers le sauve-qui-peut généralisé
Voyant le désastre se profiler, les inconditionnels du libre-échange tentent de dramatiser la situation, comme ils l’ont toujours fait précédemment, en évoquant des conséquences apocalyptiques à la mise en œuvre de toute mesure contraire à leur dogme. Ils l’ont fait systématiquement pour la crise de l’euro de 2010, pour la Grèce en 2014, pour le BREXIT en 2016, ou encore durant la campagne présidentielle de 2017 à propos du programme de Marine Le Pen. Et après ? – Rien ne semble aujourd’hui (bien au contraire) indiquer qu’ils vont pouvoir reprendre la main. Donald Trump est en place depuis un an et les chiffres lui donnent raison. C’est un fait. Steve Bannon, qui fut la cheville ouvrière de sa campagne électorale, est venu en France pour encourager les militants du Front National à continuer leur action, comme il va le faire partout en Europe ; c’est un autre fait. La fédéralisation de ces mouvements populaires paraît d’ores et déjà inscrite et sera l’étape suivante.
En face, c’est ce qui s’apparente à un sauve-qui-peut européen auquel personne ne croit vraiment. Alors, on évoque les menaces terribles d’une guerre commerciale sans merci. On va montrer à Trump de quoi nous sommes capables !
Il veut taxer nos métaux ? La riposte sera fulgurante. Tant pis pour lui.
Nous allons taxer… le beurre de cacahuètes !
Jean Goychman
11/03/2018
1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_des_Nations_unies
2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_de_La_Havane
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Bretton_Woods
4 https://www.youtube.com/watch?v=Q9r1NLMFixo
5 https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_de_Triffin
6 https://mondialisationetcies.wordpress.com/commission-trilaterale/
7 https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_subprimes