« C’est le dimanche 18 mars 1962 à 18 heures que fut officiellement rédigé, à Évian, l’acte de décès de l’Algérie française. À cet instant, la France était devenue celle que Joachim de Bernis dépeignait au comte de Choiseul après qu’elle eût cédé le Canada à l’Angleterre par le traité de Paris en 1763 : « La plus méprisable des nations est aujourd’hui la nôtre, parce qu’elle n’a nulle espèce d’honneur et qu’elle ne songe qu’à l’argent et au repos. Nous sommes à la dernière période de la décadence » ».
(José Castano)
Le 18 mars1962, de Gaulle déclarait : « Il faut que la France, dans sa masse, approuve ce qui vient d’être accompli en son nom ». Il venait de céder au FLN tout ce que ce dernier exigeait et que les dirigeants de la IVème République avaient toujours refusé : l’abandon vulgaire, sinon criminel, d’une population qui voulait rester française. La France suivait son maître, elle approuvait et couvrait déjà, par sa lâcheté, le génocide qui se préparait. Chez les Français d’Algérie, c’était la consternation et l’effondrement, tandis que du côté du FLN, c’était le triomphe et, comme le précisa aussitôt le président du GPRA, « une grande victoire du peuple algérien ! ». Les milieux politiques s’attribuaient le mérite d’avoir mis fin à la guerre d’Algérie. À gauche, on y voyait la conséquence d’une longue action menée contre notre maintien en Algérie ; chez les gaullistes, on soulignait que le mérite en revenait au général, une nouvelle fois sauveur de la patrie !
Pour les appelés du contingent, c’était la perspective de rentrer chez eux : « La quille, bordel ! » était leur cri de guerre (ou plutôt leur cri… de paix…ou de défaite ?)
À la Sorbonne, pour célébrer « la victoire du FLN », les gauchistes de l’UNEF ornèrent la statue de Pasteur d’un drapeau du FLN, tandis que des banderoles réclamaient : « Écrasez l’OAS ! ». Sur les écrans de télévision, on ne voyait plus que les traîtres et les menteurs.
Les chefs du FLN assuraient que le bonheur et l’abondance naîtraient du départ des Français, et le sinistre Fouchet criait aux Européens d’Algérie : « Ne suivez pas les mauvais bergers… Vos vies et vos biens seront préservés ! »
« Ce cessez-le-feu, c’est la conséquence d’une victoire ! » avait osé déclarer un ministre.
« Ce fut en vérité, devant le sacrifice de nos morts, devant les hommes de notre temps et devant l’histoire, la consommation de la plus grande capitulation humaine et morale de la France, parce que sans défaite militaire. Il fut aussi le point de départ d’une des plus grandes tragédies de l’humanité contemporaine en raison des événements qu’il fit naître » devait écrire plus tard le « Pieds-Noirs » José Castano, qui aura été, toute sa vie, un ardent défenseur de l’Algérie française.
Comme le disait de Gaulle, les Algériens ne sont pas tous des musulmans, encore moins des arabes. Il aurait fallu, alors, trouver le moyen de créer une Algérie indépendante en tenant compte de toutes les origines. Or, de Gaulle avait négligé « les pieds-noirs ». Ces derniers ne participèrent pas aux débats d’Évian d’où devait sortir, contre leur gré, l’Algérie future. Dès lors, tout s’enchaîna inexorablement. Ce fut l’hystérie collective, l’appel au meurtre, la soif de sang, le plaisir de tuer. Ce fut la violence qui détruisait tout, qui ne pouvait produire que le mal, qu’il fût ouragan, torrent, incendie ou invasion…
Les accords d’Évian sont, en fait, des accords… unilatéraux et des déclarations d’intention qui, bien sûr, ne seront pas respectées par le FLN. Qui se souvient, par exemple, que le 11 août 1961, en pleine négociation entre la France et le FLN, à Tunis, deux soldats français, Clotaire Le Gall et Michel Castera avaient été condamnés à mort par un tribunal de l’ALN ? De Gaulle avait aussitôt gracié 10 terroristes comme l’exigeait le FLN. Le lendemain, les deux Français étaient malgré tout exécutés. Et l’évêque d’Alger, monseigneur Duval – surnommé « Mohamed Duval » – s’était opposé à ce qu’une messe soit dite en leur mémoire à la cathédrale.
Pour les défenseurs de l’Algérie française, l’année 1962 commençait mal : des milliers de civils sont tombés sous les coups du FLN ; des centaines de soldats, tombés pour rien au cours d’une trêve absurde (que seuls les Français respectèrent), une armée cassée, brisée, écartelée.
Des officiers – souvent des héros – traduits devant des tribunaux d’exception, des hommes et des femmes torturés, des enlèvements [1], des arrestations arbitraires, des polices parallèles – les « barbouzes » – lâchées comme une meute de chiens-courants contre les défenseurs de l’Algérie française… On a reproché, à juste titre, aux Allemands, d’avoir créé une « Gestapo française » avec des flics véreux et des truands libérés ; les plus sinistrement célèbres étant Pierre Bony et Henri Laffont, fusillés tous les deux à la libération [2]. Pour lutter contre l’OAS, de Gaulle a fait pareil : chez les « barbouzes », on retrouvera les truands Jo Attia et Georges Boucheseiche, d’anciens acolytes de Pierre Loutrel dit « Pierrot le Fou ». Encore un détail oublié de l’histoire !
Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962. Le référendum du 8 avril 1962 ratifia les accords : près de 90% de « oui », un record digne d’une république bananière. Quelques jours plus tard, le FLN défile, triomphant, dans Alger. Raoul Salan est arrêté le 20 avril 1962 à Alger. Susini, qui lui succède [3], décrète la lutte à outrance, la politique de la « terre brûlée ». Son intention est que l’OAS soit en position de force pour négocier avec le FLN.
L’Algérie indépendante ne respectera RIEN des pseudos accords d’Évian. Avant même l’indépendance, les « pieds-noirs » se verront offrir « la valise ou le cercueil » par le nouveau pouvoir : en clair, partir en laissant tout (« une main devant, une main derrière ») ou mourir.
Durant l’été 1962, un million [4] de rapatriés débarqueront à Marseille, cette ville cosmopolite dont le maire socialiste, Gaston Deferre, les reçoit comme des chiens.
Sur la fin de l’Algérie, laissons la parole à Axel Nicol qui sera un des derniers à quitter le pays, en juillet 1962 : « Tirons un trait sur les harkis, les mogzahnis et tout un peuple fidèle qu’on émascule à plaisir, à qui l’on crève les yeux, coupe les mains à moins qu’on le fasse s’entre-tuer dans des combats à mort… On a massacré à Alger. On a profané la cathédrale, joué avec le Saint Sacrement, pissé dans les bénitiers, tandis qu’un farouche guerrier monté en chaire braillait des discours révolutionnaires. On a renversé la statue de Viviani, on a décapité celle de Jeanne d’Arc, puis on l’a jetée à bas. « Il faut bien que les sous-hommes se défoulent ». Cette phrase est d’un Musulman indigné de ce vandalisme… » [5].
Éric de Verdelhan
19/03/2018
(Extraits du livre « Oran le 5 juillet 1962 et quelques autres massacres oubliés » publié chez Edilivre)
[1] Lors de la déclaration d’indépendance de l’Algérie on estimait à 3.500 le nombre d’Européens (civils) détenus par le FLN et dont on n’entendra plus jamais parler.
[2] Pierre Bony avait été nommé « meilleur flic de France » par la presse d’avant-guerre. Henri Chamberlain, dit Laffont, était un voyou, un peu proxénète sur les bords.
[3] En fait le véritable successeur était le général Gardy.
[4] Au final, c’est un million et demi de « Pieds-noirs » qui quitteront l’Algérie mais tous n’iront pas en métropole. Certains choisiront Israël, l’Espagne, l’Amérique du Sud ou les États-Unis
[5] « Histoire d’une agonie ».