Aujourd’hui, ayons une pensée pour l’un des plus ardents défenseurs de l’Algérie française : le lieutenant Roger Degueldre, fusillé le 6 juillet 1962.
Chef des « Commandos Delta » de l’OAS, poursuivi par toutes les polices, sa tête mise à prix, il a été trahi et arrêté le 7 avril 1962. Et pendant que les « Pieds-noirs » fuyaient leur terre natale, que les Harkis agonisaient et que les métropolitains s’apprêtaient, indifférents, à partir en vacances, un officier de l’armée française attendait de passer devant ses juges.
Tixier-Vignancour et Denise Macaigne à la Défense
Sa défense est assurée par Maître Jean-Louis Tixier-Vignancour et sa consœur, Me Denise Macaigne.
Sachant que leur client est condamné d’avance, ils déposent une requête en suspicion légitime contre les membres de la cour militaire. Aucune autorité judiciaire ne la reçoit. Le procès doit aller vite.
Ainsi en a décidé de Gaulle.
Deux raisons l’imposent : la « Cour de Justice » juge sans voie de recours, elle est donc contraire au droit français. Elle peut, de ce fait, être déclarée illégale à tout moment. Par ailleurs, au moment où s’ouvre le procès, l’Algérie française n’a plus que six jours à vivre. Il convient de la condamner définitivement en fusillant celui qui a été son défenseur le plus actif et le plus résolu.
Une parodie de justice
L’instruction est inexistante. Il n’y a aucun témoin à décharge. Comprenant qu’il est déjà condamné à mort avant même d’être jugé, l’officier refuse de répondre aux questions.
Il reste muet, assis les bras croisés, absent, comme si ce procès n’était pas le sien. Tout va très vite. Les dépositions des témoins à charge durent treize minutes.
Le réquisitoire du procureur, qui réclame la peine de mort, ne dépasse pas les quinze minutes. Seuls les avocats – parce qu’ils sont la défense et donc la vie – ne renoncent pas.
Denise Macaigne souligne le passé exceptionnel de Degueldre. Tixier rappelle que le général Salan ayant été épargné, aucun de ses subordonnés ne peut être exécuté.
Les membres de la Cour se retirent. Il leur faut moins de quarante minutes pour répondre aux 55 questions et rapporter l’arrêt de la condamnation à mort. Roger Degueldre reste de marbre. Il décroche ses décorations et les tend à sa femme.
Dans la salle, une voix s’écrie : « Soyez courageux ! »
Degueldre répond froidement : « C’est pour ça que je suis là ».
Recours en grâce rejeté
Denise Macaigne va présenter un recours en grâce au chef de l’État. Elle s’y rend seule, car de Gaulle refuse de recevoir Tixier.
Le chef de l’État écoute l’avocate sans dire un mot et sans lui poser de questions. Il refuse la grâce.
Fusillé pour avoir respecté sa Parole
Le 6 juillet, Jean-Louis Tixier-Vignancour et Denise Macaigne arrivent à Fresnes en même temps que l’avocat général Gerthoffer et l’aumônier de la prison. À 2h30, les deux avocats et le magistrat pénètrent dans la cellule du condamné qui dort paisiblement. Ses yeux s’ouvrent. Sans dire un mot, il revêt sa tenue léopard et coiffe son béret vert. Avant de quitter sa cellule, il déclare, en guise d’adieu : « Je suis fier de mourir pour tenir le serment qu’a fait tout officier ayant servi en Algérie. Dites aux Algériens que, si je ne suis pas de leur race, n’étant pas né sur leur sol, je les ai beaucoup aimés et je les aime toujours. »
Se tournant vers le procureur Gerthoffer, il déclare : « Je ne vous garde pas rancune, mais je vous plains ».
Il est à peine 4 heures. Le fourgon qui emmène Degueldre, encadré de quinze motards, quitte la prison de Fresnes. Le cortège est fermé par huit véhicules de la préfecture de police et une quinzaine d’autres de diverses administrations.
A-t-on donc si peur qu’il s’évade ?
Une exécution infâme et infamante
Le lieutenant Roger Degueldre se présente devant le peloton d’exécution en tenue impeccable. Autour du cou, un foulard de la Légion.
Il se tourne vers son avocat : « Dites que je suis mort pour la France… ».
Il refuse qu’on lui bande les yeux.
Il crie « Messieurs, vive la France ! » et entonne La Marseillaise.
Émus par son courage, les soldats hésitent à tirer. La première salve ne fait que le blesser. Une seule balle, sur les douze tirées, l’atteint. Au ventre ? Au bras ? Les témoignages divergent. Il semble cependant que la blessure n’était pas mortelle. Pourtant, l’adjudant préposé au coup de grâce se précipite pour accomplir sa sinistre besogne ; le condamné est toujours en vie et même bien vivant. Il ne s’agit plus d’achever un mourant, mais de tuer de sang-froid un blessé léger. L’adjudant tremble et il tire… à côté. Le procureur en est irrité. Il fait signe au sous-officier de se hâter. Roger Degueldre, recroquevillé, souffre.
L’adjudant, toujours tremblant comme une feuille, pointe une nouvelle fois son arme, ferme les yeux et appuie sur la détente. Rien ! Le pistolet s’est enrayé ! Exaspéré, le procureur ordonne qu’on apporte un autre pistolet. Personne, parmi les militaires présents, n’en possède un. Il faut courir en chercher un quelque part !
Roger Degueldre est toujours vivant et conscient.
Tous les juristes s’accordent à dire que, la sentence ayant été exécutée, quand le condamné est encore en vie, il faut le détacher et lui porter secours. Mais les ordres sont formels : Degueldre doit impérativement être tué ! Pétrifié, glacé d’effroi, Tixier-Vignancour ne bouge pas. Cette inertie lui sera reprochée.
On remet enfin un autre pistolet à l’adjudant, pâle comme un linge, écœuré mais servile aux injonctions. Un nouveau coup de feu claque, mais pas dans la tête, dans l’omoplate ! Sous l’effet de la douleur, le supplicié tourne son regard vers le ciel. Peut-être perçoit-il la fin de son calvaire ? Une autre détonation, le lieutenant Roger Degueldre rejoint enfin le paradis des braves.
Ainsi donc, quelques heures après le génocide du 5 juillet 1962 à Oran, tombait Roger Degueldre qui, fidèle à son engagement, avait justifié son action dans l’OAS par ces quelques mots : « Mon serment, je l’ai fait sur le cercueil du colonel Jeanpierre. “Plutôt mourir, mon colonel, que de laisser l’Algérie aux mains du FLN, je vous le jure !” »
Le lieutenant Roger Degueldre était
- médaillé militaire,
- titulaire de la Croix de guerre des TOE avec palmes,
- titulaire de la Croix de la Valeur Militaire et
- chevalier de la Légion d’Honneur.
8 mois plus tard, le 11 mars 1963, le colonel Jean-Marie Bastien-Thiry, polytechnicien, tombait à son tour à 35 ans, sous les salves d’un peloton d’exécution.
C’était le dernier martyr de l’Algérie française.
NB : Ce texte est extrait de mon prochain livre « Hommage à NOTRE Algérie française » qui sortira au dernier trimestre 2018.
Éric de Verdelhan
6 juillet 2018
Voir également : http://paras.forumsactifs.net/t24162-ce-jour-la-6-juillet-1962-assassinat-le-lieutenant-roger-degueldre#164842