(Maurice Barrès : « La colline inspirée »)
En période de fêtes religieuses – Toussaint, fête des morts – il m’arrive, je ne sais pourquoi, de penser à mon chemin vers Saint-Jacques-de-Compostelle, il y a …huit ans, huit ans déjà !
Car un jour, comme tant d’autres, j’ai pris le Chemin. Oh, pas tout le Chemin ! Uniquement la partie espagnole, le « Camino françès » : 750 kilomètres, en 31 jours, à un train de sénateur. Mon épouse a eu le mérite de marcher à mon rythme, de m’entendre râler le jour et ronfler la nuit, mais après tout, un « pèlerinage » doit comporter des contraintes, de la sueur et de la souffrance; ce n’est pas une promenade de santé ! Ce pèlerinage, j’y pensais depuis longtemps, pour des motivations toutes personnelles que je garderai pour moi. Et finalement, il m’aura fallu des années pour oser écrire que cette expérience ne m’a pas laissé un souvenir impérissable : dans notre monde aseptisé, tolérant, compassionnel – ce monde de « bisounours » qui a perdu tout sens critique – émettre un avis négatif sur le Camino est considéré comme une incongruité, presque une grossièreté. Tant pis, je me lâche: ça soulage ma conscience !
Nous sommes partis fin août 2010. Ma femme souffrait d’une sciatique, j’avais les rotules en vrac et notre association de « canards boiteux » est arrivée jusqu’à Compostelle.
A cette évocation, ô combien douloureuse, j’ai envie de plagier Corneille dans Le Cid :
« Nous partîmes tous deux et après moult efforts,
Nous nous vîmes surpris d’arriver à bon port… »
Les « accros » du Chemin – Dieu sait s’ils sont nombreux ! – sont mieux placés que moi pour susciter des vocations et donner envie de partir. Ce n’est pas mon but. Je me contenterai donc de faire état de ma grogne, de mes sujets d’irritation et, aussi, de mes inquiétudes sur l’avenir du Camino.
Marcher jusqu’à Compostelle est devenu « tendance » comme disent les publicitaires et les cuistres.
Il y a 4 ou 5 ans, un célèbre toubib-diplomate-académicien, coqueluche des médias et archétype du « bobo-branché », a écrit un livre sur son périple vers Saint Jacques. Son bouquin est sorti agrémenté d’un bandeau qui se voulait accrocheur voire racoleur : « Ruffin à Compostelle », ça vous a des relents de « Tintin au Tibet » ou « Astérix chez les Goths », ça fleure bon l’aventure, la vraie !
Déjà, depuis quelques années, des Tour-operators promènent des consommateurs-randonneurs sur « les plus belles étapes » du Chemin : les pistes « pourries » en plein cagnard, la crasse de certains gîtes, les décharges en plein air que sont parfois les aires de pique-nique, on laisse ça aux gueux (de mon espèce) qui font tout à pieds, comme au moyen-âge, en économisant leurs pas, leur souffle et …leur porte-monnaie.
Une frénésie mercantile s’est emparée du Chemin. On y construit des hôtels, des restaurants, des « transportes de mochillas » (sacs à dos) ou des « transportes » tout court, pour ceux qui en ont marre de crapahuter. Au fil des ans, le randonneur a supplanté le pèlerin – le jacquet – et c’est bien dommage !
De tous temps, le Chemin a attiré des gens en quête d’absolu. Peu importe, après tout, qu’ils soient catholiques, athées, agnostiques, adorateurs de Vishnou ou de Bouddha.
En revanche, c’est quand on ne vénère plus que le « pognon », le fric-roi, la balade touristique et/ou la performance sportive que les choses commencent sérieusement à m’inquiéter !
Le Musulman, qui, en burnous blanc, se rend à La Mecque et piétine durant des heures pour poser sa main sur la Kaaba n’y va pas « en touriste ». Il sait qu’il en reviendra avec le titre envié de « Hadj » qui lui vaudra le respect de ses coreligionnaires. Idem pour le Juif qui se rend au Mur des Lamentations, à Jérusalem. On peut en dire autant pour toutes les religions. La nôtre est plus tolérante puisqu’elle accepte tout le monde (au nom d’un œcuménisme qui finira par nous tuer!).
Doit-on pour autant oublier que le Chemin est, initialement, un pèlerinage chrétien ?
Que les églises, les refuges, les hôpitaux qui le jalonnent ont été bâtis avec la foi des bâtisseurs de cathédrales ? Que le secours aux pèlerins – au travers des monastères, abbayes, dispensaires etc …- émane d’un ordre social chrétien, lointain ancêtre de notre sécurité sociale (déficit abyssal en moins !) ? Que Saint Jacques, enfin, était un saint catholique ?
Va-t-on un jour, par souci de marketing, ne plus l’appeler que Jacques ? Reviendra-t-on à cette folie révolutionnaire qui voulait que les noms des saints disparaissent des villes : Saint Malo était devenu Port Malo, Saint Denis s’appelait Franciade…
Je veux dire ici, ma colère devant ces groupes de Français (ou ces …troupeaux ?), braillards, grandes gueules, jamais contents et qui vous saoulent avec leurs problèmes de malbouffe, d’inconfort des hôtels et de … troubles gastriques. En les entendant se plaindre, je pensais qu’on devrait rebaptiser « Miam-miam-dodo », ce petit guide au nom bêtifiant, par « Pipi-caca ».
Et que dire de ces adeptes de randonnée pédestre qui, pour bien montrer que leur périple n’a RIEN de religieux, se croient obligés de faire preuve, dans leurs propos, d’un anticléricalisme d’une virulence quasi fanatique ? Une Christianophobie qui blesse et offense la conscience des croyants (dont je suis) ; mais ces gens-là s’en foutent éperdument, au nom de la « liberté d’expression » je présume ?
On me dit que, depuis la révolution, notre pays autorise le blasphème. Mais est-ce une raison pour en abuser ? Pour insulter les adeptes d’une religion à laquelle ils ne croient pas (1) ?
Chez certains, ces comportements ne visent qu’à choquer ou à provoquer.
Chez d’autres, c’est beaucoup plus pernicieux : c’est la volonté de chasser « le Divin et le Sacré » du Chemin. En effet, il est pour le moins… paradoxal d’abandonner le rituel chrétien pour lui supplanter des rites primitifs un peu niais, qui s’apparentent à du fétichisme vaudou.
Citons, pour illustrer mon propos, la célèbre « cruz de ferro », modeste calvaire en ferraille qu’on transforme allégrement en dépôt d’ordures en y laissant des vieilles godasses, des fringues usagées, des chiffons, des grigris, des peluches, etc…Personnellement, je me fais une autre idée du respect dû au Christ mort sur la croix pour notre rédemption.
Certains déposent à la « cruz de ferro » un caillou, plus ou moins gros, qui représente le poids des péchés (ou du passé) qu’ils abandonnent en route. Citons aussi la coutume qui consiste à brûler ses habits – souvent en parfait état – en arrivant à Fisterra, pointe extrême de la Galice, pour symboliser « la naissance d’un homme nouveau » (Il serait plus judicieux, plus charitable aussi, me semble-t-il, de les donner à une association caritative) (2). On a ainsi laïcisé (ou paganisé ?) le baptême, la contrition et la pénitence.
Ce n’est pas le fait du hasard : jadis, la Franc-maçonnerie a créé le GADLU (Grand Architecte De L’Univers) pour détrôner le Dieu des Catholiques afin que la France ne soit plus « la fille aînée de l’Eglise ».
Beaucoup plus tard, la « terreur rouge » tenta de déchristianiser l’Espagne. Je dois reconnaître que la déchristianisation, en France, a plutôt bien fonctionné !
On me dit souvent que le pèlerin-randonneur « de base », qu’il soit agnostique, athée ou adepte d’une autre religion, n’a pas d’arrière-pensées visant à chasser le catholicisme du Chemin.
Je ne lui fais donc aucun procès d’intention. Je voudrais simplement qu’il ne se comporte pas en « idiot-utile »(3) et qu’il veuille bien reconnaître que toute notre civilisation, tout ce qui fait que nous ne sommes plus des barbares, est basé sur le décalogue chrétien.
Les dix commandements de l’Eglise ont inspiré le « Code Napoléon »; celui qui – bien qu’amendé moult fois – réglemente et régit encore notre vie quotidienne.
Dans la vie, je me fais un devoir, un point d’honneur, de respecter la religion (ou la non-religion) de l’autre, de ne pas insulter ses croyances, de ne jamais le blesser dans sa foi.
J’aimerais donc, simplement, un minimum de réciprocité !
Que les ayatollahs de l’athéisme forcené méditent ce que disait, peu de temps avant sa mort, Lazare Hoche, ce général républicain qui « pacifia » la Vendée dans le sang :
« J’estimerai toujours un homme pieux. La morale de l’Evangile est pure et douce, et quiconque la pratique ne peut être méchant…Respect à la religion: elle console des maux de la vie. Je tolère toutes les croyances. La mienne n’est pas fixée; depuis longtemps je cherche la vérité… »
On me serine assez régulièrement que « Tout ceci n’a pas d’importance. Chacun son Chemin » car l’engouement pour le Camino contribue, entre autres, à l’économie de régions pauvres.
Oui, en effet, ça fait marcher le commerce ! Car il s’agit bien de business.
J’ai ressenti un choc quand j’ai découvert qu’Aquarius, « la boisson du pèlerin » était estampillée par la Coca-Cola Compagny. Au train où vont les choses, je ne désespère pas de voir, un jour, « Mac-Do » ou « Quick » proposer un « Hamburger del Pérégrino »…Verra-t-on, demain des « courses à Compostelle », sponsorisées par Adidas, et où les nominés recevront la Compostella d’or remise par Nagui ou Jean-Pierre Foucault ? Il reste à inventer le parfum « Sueur de pèlerin » ou un aérosol « Air de Compostelle », mais je fais confiance aux hommes de marketing, ça viendra ! Et puis, si le commerce doit se développer sous toutes ses formes, je ne désespère pas de voir les dames de petite vertu, chassées de France par des féministes hystériques, venir monnayer leurs charmes sur le Camino.
Ce qui ne serait d’ailleurs pas la pire des choses : je pense, comme Alphonse Boudard, qu’avant la fermeture des « maisons closes » (Loi Marthe Richard du 13 avril 1946), le divan de ces dames remplaçait avantageusement celui des psys et autres charlatans de la détresse humaine (4).
Je plaisante, bien sûr, mais le fond est sérieux : où s’arrêtera la marchandisation du Chemin ? J’ai bien peur qu’en chassant le Divin et le Sacré du Camino, ils soient dorénavant supplantés par un autre dieu – celui que tout le monde adule et vénère dans notre époque sans repères – : le fric !!!!! Il a déjà sa religion – le matérialisme athée – et ses dogmes – l’individualisme égoïste et l’hédonisme narcissique.
Madame Alix de Saint-André a écrit dans un assez mauvais livre « En avant route ! » :
« Un pèlerin, ça fume, ça boit et ça pue des pieds… ».
Mais il arrive aussi que ça prie et c’est éminemment respectable !
Heureusement, ma mémoire est sélective et, au fil du temps, elle enjolive les choses : avec le recul des ans, le Camino reste un beau souvenir, grâce à quelques rencontres, des paysages, des monuments, l’accueil dans certains gîtes…
Et puis, « Buen Camino » à ceux qui partent car au train où vont les choses, dans quelques années le seul pèlerinage autorisé sera celui de La Mecque.
Éric de Verdelhan
1/11/2018
(1): Les tueries de « Charlie Hebdo » sont venues nous rappeler que toutes les religions n’ont pas la même tolérance envers le blasphème.
(2): Et que dire des touristes-badauds qui, à Santiago, se ruent dans la basilique pour applaudir le « butafumeiro », cet encensoir géant qu’on balance en fonction …du bilan financier de la quête ? Qu’ils confondent, allègrement, un sanctuaire et un cirque ?
(3): Vocable employé, jadis, par les Communistes pour désigner leurs complices involontaires.
(4) : Et puis, si ça peut éviter à quelques laiderons esseulés de draguer lourdement dans les refuges, tant mieux !
Eric de Verdelhan est né en 1949 dans une famille de la petite aristocratie cévenole.
« Enfant de troupe » à 11 ans, il « paye sa dette à la nation » en servant chez les parachutistes et s’initie au parachutisme sportif.
Puis il entame une carrière d’inspecteur d’assurances, dont il gravira tous les échelons. Inspecteur général honoraire, il est diplômé de l’Ecole Nationale d’Assurance (ENAss) et titulaire d’un 3ème cycle « Assurances » du CNAM.
En retraite depuis janvier 2010, il s’est lancé dans l’écriture par « devoir de mémoire ».
« Hommage à NOTRE Algérie française » est son 7ème livre.
Excellent billet qui m’a bien fait rire ! Dire que je suis tenté par ce « camino frances » ! Un pèlerin avertit en vaut deux ! merci