Ayant eu l’occasion de beaucoup circuler en Asie et dans divers pays musulmans, j’ai aussi été beaucoup sollicité par les marchands de chair humaine. Du chauffeur de taxi thaï qui dès la montée dans son véhicule vous présente son catalogue de filles toujours « jeunes » et « propres », au guide enturbanné du bazar qui vous propose d’investir dans son harem personnel, en passant par le jeune indonésien qui profite de l’arrêt des voitures à un feu pour présenter aux chauffeurs européens les photos de jeunes filles et garçons nus dissimulées sous son T-shirt… À Djakarta, c’est carrément un attaché français d’ambassade, qui me reconduisant à l’hôtel, m’a proposé de passer « quelques heures exceptionnelles à une adresse où il n’y a que le meilleur choix » ! Il faut tout de suite acquérir le réflexe de dire poliment et fermement « non », car la probabilité est grande que conclure l’affaire présente de gros risques : filles « poivrées » (contaminées), indicateurs de la police ou du Service de renseignement local, piège dont vous ressortirez délesté d’argent et papiers… Sans oublier – c’est nouveau – la menace de plainte déposée par les parents qui tourne très vite à la transaction financière.
C’est pourquoi l’annonce que des militaires français auraient commis en République Centrafricaine des actes de pédophilie m’a immédiatement fait penser à un piège à connotation de politique internationale.
La France n’est pas aimée en RCA, il n’y a que Hollande, Fabius et Le Drian pour croire le contraire. En s’interposant entre les milices djihadistes et les anti m’balaka, elle a réussi à mécontenter les deux camps qui s’affrontaient, les sabres des chrétiens valant bien les kalachs des musulmans. La présence militaire française ne fait pas que gêner le déroulement de la guerre de religion en cours, elle perturbe aussi d’autres trafics plus rémunérateurs : esclaves, diamants, femmes, drogues…
En RCA ils sont nombreux à souhaiter que les Français s’en aillent.
Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de dérapages de la part de jeunes soldats privés de relations féminines depuis des semaines, ce serait même d’ailleurs surprenant, c’est la raison pour laquelle il y avait autrefois toute une organisation militaire pour leur permettre de se défouler (des bordels militaires aux permissions de sorties encadrées de recommandations de préservatifs, de savon et de visite médicale au retour).
Dans le cas présent, il y a ce rapport de l’ONU que brandit une association féministe et qui contient des témoignages d’enfants à qui de la nourriture aurait été proposée en échange de prestations sexuelles diverses.
Selon les lois occidentales, c’est un crime (bien que tout le monde ne soit pas d’accord, demandez à Cohn Bendit, Frédéric Mitterrand ou Jack Lang)…
Dans les coutumes africaines, c’est fréquemment une affaire de sous, mais, comme le disait avec raison une militante de l’association féministe évoquée ci-dessus, « même si les parents sont d’accord et négocient le prix, un enfant reste un enfant et ces pratiques sont inadmissibles ».
Elle a raison, mais en politique il faut se poser des questions, et Le Drian, au lieu de faire connaître sa colère « sans limites« , ferait bien de se les poser, la première étant : si ce rapport de l’ONU existe depuis des mois, pourquoi sort-il, ou plus précisément « fuite-t-il » maintenant via une association anglo-saxonne ?
Il y en a d’autres.
Le général Benny ayant répondu à plusieurs de ces questions et autorisé la reproduction de sa lettre, nous n’hésitons pas à la faire ci-dessous.
Maurice D.
“J’ai un petit avantage sur ceux qui écrivent ou pérorent sans trop rien connaître de la réalité de cette affaire : je suis à Bangui depuis longtemps, je connais le contexte général, les lieux et nombre des acteurs en cause. Je suis en outre ce qu’on pourrait appeler un « vieux soldat » qui en a pas mal vu, notamment en Afrique, et je pense être capable de poser un regard un peu plus discursif que d’autres sur tout cela.
Pour aider à se faire une idée sur cette affaire, je vais articuler mon propos entre l’’exposé de quelques faits objectifs, celui de quelques interrogations liées à ma connaissance du sujet RCA, et enfin celui de mon avis – par nature subjectif – sur certains points.
Des faits
Le camp de Mpoko, proche de l’aéroport, est situé à un endroit où, par la géographie des lieux, plusieurs forces internationales ont pu avoir contact avec les occupants : avec beaucoup de soldats africains ce sont la MISCA (force interafricaine) puis la MINUSCA (force ONU) ; avec beaucoup de soldats français et/ou européens ce sont SANGARIS (force française) et EUFOR (force européenne).
Il faut alors très précisément s’intéresser aux dates des faits, parfois à 24 heures près, car ces forces avaient ou pas mandat d’être là en protection, parfois proches les unes des autres, parfois au fil des relèves, parfois sur un mode différent entre le jour et la nuit, parfois en renforcement temporaire l’une l’autre, etc…… tout cela au profit d’une sécurité toujours précaire à assurer avec des effectifs toujours contraints. Tout cela pour dire que savoir exactement qui était à tel endroit à telle période est bien difficile, surtout quand la période avancée ici et là court de décembre 2013 à juin 2014 selon les sources.
Le commandement SANGARIS et donc l’Etat-major des armées à Paris ont eu connaissance des allégations le 29 juillet 2014. Ils réagissent aussitôt, conformément aux lois et usages (enquête de la Gendarmerie Prévôtale, enquête de commandement, action de Justice). Mais considérons bien qu’à ce moment-là, les acteurs qui restent 4 mois en RCA ont déjà pu être relevés 2 fois sur la durée évoquée : pas facile de les trouver quand un flou total règne sur les dates de commission des faits.
En RCA, si l’on veut bien admettre qu’un mineur en grande difficulté dans un camp de déplacés est prêt à accepter un acte sexuel contre une boîte de ration (ce qui est sans doute très malheureusement vrai) on voudra aussi bien admettre que le même est prêt à dire ou témoigner de n’importe quoi contre une somme dérisoire remise par celui qui aurait besoin ou intérêt à la production d’un tel témoignage.
Des interrogations
Pourquoi une ONG ayant connaissance de ce type de comportement n’en réfère pas immédiatement au commandement de la force en cause ? Il existe des modalités de contact très rodées et connues de tous les humanitaires entre les forces et les ONG (cluster humanitaire), cela aux fins de partager l’information et d’assurer une nécessaire coordination des actions. Etrange de préférer « faire des rapports et des entrevues d’enfants » plutôt que de communiquer cela le plus rapidement possible aux autorités locales (alors notoirement déficientes, hélas !) ou, plus sûrement, au commandement de l’une ou l’autre des forces en cause.
Pourquoi cette affaire – de nature à fragiliser le rôle de la France en RCA – sort-elle via un média anglo-saxon juste avant l’ouverture du « Forum de Bangui », une étape clé de la gestion de la crise en RCA ? Car il faut savoir que le rôle et les options françaises rencontrent des oppositions politiques, c’est bien naturel, et qu’un récent « processus de Nairobi » a été refusé par la France et la RCA au grand dam d’acteurs internationaux parlant généralement anglais…
Des avis
Il y a sans doute eu quelque chose de bien sordide, hélas ! aux abords de ce camp. Mais qui et quand ? Celui qui dirait de façon péremptoire, selon les cas, que jamais un soldat français, ou européen, ou onusien ne saurait commettre de tels actes n’aurait pas mis les pieds sur le terrain depuis bien longtemps…
C’’est malheureusement possible…
Admettons donc une réalité des faits allégués. Maintenant, quand l’heure de la punition arrive, il faut frapper. Il faut certes frapper fort, mais surtout juste. Or quid des preuves ou des éléments scientifiques tangibles ? Peut-on imaginer ce qu’est le camp de Mpoko à la période considérée ? Une zone de non droit, d’insécurité et de misère humaine absolue. En plus, livrée à de fortes manipulations politiques de par des groupes ethniques rivaux, parfois hostiles à la position politique française.
Je m’amuse ainsi, si je puis dire, de voir depuis quelques jours les « témoins oculaires » complaisamment produits par RFI ou France 24. C’est à pleurer de voir ces faux témoins notoirement stipendiés par des groupes armés courir, en superbe polo et casquette hip-hop totalement incongrus à Mpoko, face aux micros et caméras pour dire n’importe quoi d’un endroit où ils n’ont probablement jamais mis les pieds.
Car c’est ainsi en RCA, on crée le chaos, les gens crèvent dans les camps, mais on continue la politicaillerie et les manipulations, et cela aux frais de ces braves internationaux, civils et militaires, français en tête, assez gentils pour venir assurer un minimum vital et sécuritaire. Venir dans ce barnum faire une enquête façon « Les experts » avec combinaison blanche immaculée, pipettes et jolie tresses marquées « police » est une simple vue de l’esprit. Cela continue d’être, je le suppose, la difficulté de ceux en charge du dossier, juges comme gendarmes OPJ : quelle matérialité ? Quelles preuves ? Quelles traces ADN ?
Pourquoi avoir « caché » l’affaire depuis juillet 2014 ? Mais alors là, pardon de penser avec les Antiques et les juristes que « nul n’est censé faire état de sa turpitude »… Quand on a si peu à communiquer, il n’est pas choquant du point de vue militaire français de la fermer, surtout que rester discret ne veut absolument pas dire ne rien faire. Cette affaire me semble emblématique à ce sujet.
Au total
Près de 10 000 soldats français sont passés en RCA depuis décembre 2013.
14 à 16 pourraient être impliqués dans une affaire sordide par ailleurs immédiatement traitée par le commandement de SANGARIS, par l’Etat-major des armées et par la justice française dès qu’’ils en ont eu vent.
Une fois les faits examinés et l’enquête terminée, s’il y a des coupables, nul doute que viendra le temps des sanctions qui seront judiciaires, mais aussi statutaires et disciplinaires pour ainsi punir à trois titres ces militaires, c’est à dire bien plus que ne le serait un civil. C’est ainsi.
14 à 16 salopards (encore potentiels) sur 10 000 hommes. Total 0,14 à 0,16% de comportements inadmissibles… C’est évidemment encore trop, mais :
- à rapprocher des milliers de vies centrafricaines sauvées par SANGARIS partout en RCA ;
- à rapprocher des 3 morts et 120 blessés de SANGARIS tombés pour ce faire ;
- à rapprocher de ce que vient de montrer l’Education Nationale qui semble se contenter de simplement changer de classe ses pédophiles avérés et condamnés…
Voilà ce que je voulais apporter à ceux qui me liront, pour les convaincre que cette triste affaire n’échappe pas à la règle de l’arbre qui cache, hélas ! souvent la forêt.
En l’occurrence, ces 14 à 16 salopards, s’ils existent bien, auront pollué l’image des 10 000 autres dont l’action en RCA est unanimement reconnue comme ayant été des plus positives.
Vous pouvez, si vous le souhaitez, diffuser et retransmettre ces quelques réflexions.
Général (2S) Philippe BENY
Conseiller militaire du Chef d’Etat
Bangui – RCA