«… En Algérie… après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique… Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, souvent amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes… Des milliers de camarades sont morts en accomplissant cette mission…
Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée… Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon de l’Algérie…
Monsieur le président, on peut demander beaucoup de choses à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier.
On ne peut pas lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. »
(Commandant Hélie de Saint-Marc, lors de son procès).
Le 26 avril 1961 restera un jour funeste : ce jour-là, le général Maurice Challe, l’un des quatre généraux putschistes, se rendait aux autorités et, avec lui, le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, dont le régiment – le glorieux 1er REP (1)- avait été le fer de lance du soulèvement.
Ainsi s’achevait, tristement, le dernier sursaut de l’Algérie française.
Tout avait commencé quelques jours plus tôt.
Le 21 avril 1961, l’armée française – une partie seulement – entrait en dissidence : les généraux d’armée, Challe, Zeller, Jouhaud, puis, dès le lendemain, « le Mandarin » Raoul Salan, prenaient le pouvoir à Alger. De nombreux généraux, des colonels, des capitaines les avaient suivis avec leur régiment, ou, plus modestement leur section.
Le 1erREP, les commandos de l’air, des régiments paras accompagnaient cette rébellion. Les civils, « pieds-noirs » ou musulmans, avaient été tenus à l’écart (à l’exception de membres du groupe « France-résurrection » chargés de guider les troupes).
L’armée voulait un coup d’état militaire …
On peut penser, après coup, en réécrivant l’histoire, que le putsch d’avril 1961 était jouable en y associant les « Pieds-noirs » et les Musulmans pro-français. Mais pourquoi réécrire l’histoire ?
Charles Maurras a dit: « Un peuple qui néglige son armée est un peuple malade. Un peuple qui se sépare moralement de son armée est un peuple perdu … ».
Les services secrets français annonçaient depuis longtemps que le malaise de l’armée pouvait dégénérer en coup de force mais de Gaulle n’y croyait pas. De plus, ce « militaire de plume » ne comprenait rien à l’armée d’après-guerre. Cette armée qu’il avait lui-même désorganisée à la Libération et qui présentait un arc-en-ciel d’idéaux très disparates.
Les militaires qui avaient cru en de Gaulle, au lendemain du 13 mai 1958, tombèrent de haut, en septembre 1959, quand ce dernier inventa « l’autodétermination ».
De Gaulle ne cachait pas son dédain pour les militaires. Il supportait mal la lenteur et les insuffisances de l’esprit militaire. Pour lui plaire, un général devait être : «… un homme d’état, un visionnaire, un réformateur et un poète. Ramsès II, Mahomet, Saint Louis et Pierre le Grand avaient toute son admiration, mais les hommes d’une pareille envergure sont rares dans l’armée… » (2).
Durant ses années d’exil à Colombey, il avait perdu le contact avec la nouvelle armée.
Cette armée qui trouvait en Algérie une raison d’espérer. Il attribua le malaise des militaires à un manque de discipline et aux faiblesses de la 4ème République. Cynique, il ironisait en public sur cette armée « qui ne voit pas plus loin que le bout de son djebel … ».
Le 21 avril donc, la « grande muette » sort de sa réserve… et des ses casernements ; le putsch démarre ! Ancien responsable de la sûreté à Alger, le colonel Godard avait défini 24 objectifs à prendre, dont la Maison de la Radio. Godard était une légende vivante des paras. Ancien patron du 11ème Choc, il croupissait à Nevers, dans un placard de garnison, depuis les barricades. Deux jours avant le putsch, il s’était envolé pour Alger, en cachette.
La Maison de la Radio fut enlevée sans coup férir par les Légionnaires-paras du 1er REP, aux ordres, par intérim, du commandant Hélie Denoix de Saint Marc.
Avant de partir en permission, son Chef de Corps lui avait déclaré : « Je vous confie le régiment. Nous vivons une époque tragique où il n’est pas facile pour un soldat de savoir où est le droit chemin… ».
A 18 ans, Saint Marc avait été déporté à Buchenwald. Il a eu une conduite héroïque en Indochine comme en Algérie. C’est un homme de devoir et d’honneur.
Le général Challe est, pour lui, celui qui « a commandé les troupes françaises en Algérie et les a menées à la victoire ». Il éprouve pour lui « admiration, respect et amitié » (3).
Quand Challe, en civil, en simple blouson d’aviateur, sans écusson ni grade, le convoque, il lui déclare sans ambages : « Je suis un démocrate, Saint-Marc. Ni raciste, ni fasciste, mais il s’agit bien d’un coup d’état … ». Et Hélie de Saint Marc, n’écoutant que sa conscience, a lancé ses Légionnaires paras à l’assaut des points stratégiques d’Alger.
La réputation, la qualité et la discipline des troupes putschistes évita un bain de sang. Un adjudant du REP fit une victime – la seule – en ripostant contre un tir des gardiens du poste relais d’Ouled Fayet. Le lieutenant Durand-Ruel, du REP, tira lui aussi un seul coup de feu… dans le pneu de la jeep du général Gambiez qui « gesticulait comme un diable » pour arrêter, à lui seul, un convoi de Légionnaires-paras. Le lieutenant Godot avait désarmé sans difficulté le général Vézinet.
Ce dernier, indigné, déclarait : « De mon temps, les lieutenants n’arrêtaient pas les généraux ».
Et Godot avait répondu sèchement: « De votre temps, les généraux ne trahissaient pas ! »
Les unités se rallient comme prévu : après le 1er REP, les 18ème et 14èmeRCP puis le 1er REC avec ses Harkis. On annonce l’adhésion du 27ème Dragons du colonel Puga, du 7ème RTA, ce régiment qui fut glorieux à Diên-Biên-Phu, du 1erRIMa du commandant Loustau. Les putschistes se prennent à rêver : c’est la victoire !
Oui mais, comme l’écrit Pierre Montagnon : « Alger n’est pas l’Algérie ».
A Constantine, le général Gouraud joue la valse-hésitation. A Batna, le général Ducourneau choisit la fuite, c’est à dire d’attendre le vent. A Bône, le général Ailleret… attend de voir. A Oran, les troupes ne suivent pas le général Gardy.
Dans l’armée d’active, chez les « Centurions » dans l’attente du « clash », c’est une explosion de joie et d’espoir. Pourtant, les plus lucides comprennent vite que c’est fichu : on attendait, plein d’espoir, Massu ou Bigeard. Ils ont tous deux choisi leur carrière.
On espérait un soulèvement des « Pieds-noirs » et des « Unités Territoriales » ; Challe n’a pas voulu mêler les civils à son pronunciamiento.
Le 22 avril cependant, on veut y croire encore : Argoud est arrivé à Oran avec deux régiments paras. Le 2ème REP, aux ordres de ses capitaines, part pour Alger. Le colonel Ceccaldi – pourtant Compagnon de la Libération – entraîne avec lui les 6ème et 2ème RPIMa et le 9ème RCP.
Pratiquement, à un régiment près – le 3èmeRPC, l’ancien régiment de Bigeard – les deux divisions parachutistes ont basculé dans la rébellion.
Le 23 avril va être la journée de l’enlisement.
A quoi faut-il attribuer l’échec du putsch ?
Les causes sont multiples mais les historiens sont assez unanimes sur certaines d’entre elles :
- La volte-face de plusieurs généraux qui s’étaient engagés à accompagner l’insurrection et qui, au dernier moment, se sont défaussés.
- Ce drame ne concernait que les « Pieds-noirs », que Challe a refusé d’embrigader, et l’armée d’active (en dehors des régiments parachutistes qui étaient majoritairement composés d’appelés). Le contingent n’avait qu’une hâte et une envie : rentrer en métropole.
- Mais la principale raison de l’échec du putsch fut l’utilisation, savamment orchestrée, de la télévision par de Gaulle. Le 23 avril en soirée, il prononça une allocution qui fit date. Personne n’a oublié ce « quarteron de généraux à la retraite… qui a pris le pouvoir en Algérie… ».
Et de Gaulle de rajouter, en martelant bien les mots: « J’interdis à tout Français, et d’abord à tout soldat, d’exécuter aucun de leurs ordres … ».
Son discours a fait mouche !
Le peuple français est peureux ET légaliste (ou légaliste parce que peureux ?). Il attendait que le guide le ramène dans le droit chemin; celui de la tranquillité, de la soumission moutonnière, de la tiédeur des lâches.
L’homme, que personne n’avait entendu le 18 juin 1940, fut écouté par des millions de Français le 23 avril 1961. Une fois de plus, le grand homme allait sauver la France !
Dès le lundi 24 avril, la situation se dégrade et le 25, le navire prend l’eau de toutes parts.
Le général Challe décide d’arrêter et de se constituer prisonnier.
Certains voudraient continuer le combat mais à quoi cela mènerait-il ? Dans le ciel d’Alger on voit passer les «Nord-atlas » qui regagnent la France.
En fin d’après-midi, les régiments parachutistes et ceux de Légion regagnent presque tous le Constantinois, d’où ils sont venus.
Quand la nuit tombe, le 1er REP quitte, à pas lent, le gouvernement général et embarque dans ses camions. Des accents gutturaux – sans doute des légionnaires d’origine allemande – entonnent « Je ne regrette rien », cette chanson d’Édith Piaf en vogue à l’époque.
Challe, Jouhaud et Salan se mêlent aux Légionnaires. Zeller s’est éclipsé dans la foule. Des colonels font de même ainsi que quelques officiers, Sergent, Godot, Ferrandi, l’aide de camp de Salan, Delhomme…
Le putsch est terminé : le lendemain matin, le général Challe prend la direction de la prison de la Santé.
Les lendemains seront amers pour les vaincus : Challe, puis Zeller occupent les cellules désertées par Ahmed Ben Bella et ses complices. D’autres généraux les rejoignent bientôt : Bigot, Gouraud, Petit. Ainsi que les chefs de corps les plus compromis : La Chapelle, Masselot, Robin, Saint Marc, Lecomte, Cabiro, Bréchignac… Plusieurs sont des héros de Diên-Biên-Phu.
La colère gaullienne frappe aussi les régiments : le 1er REP, les 14ème et 18ème RCP (4), les Commandos de l’air, sont dissous. Les deux divisions parachutistes – la 10ème et la 25ème – dont les chefs ont été soit rebelles soit attentistes, sont dissoutes et refondues en 11ème DLI (5). Cette division sera retirée du champ de bataille et rapatriée, dès l’été 1961, vers les brumes lorraines.
A la suite du putsch d’Alger, le pouvoir annonça que 1100 à 1200 officiers et sous-officiers étaient « écartés » de l’armée. De Gaulle réglait ses comptes !
Au moment du putsch, j’ai 11 ans et je suis « enfant de troupe » au Prytanée militaire d’Aix-en-Provence. Dans ma section, nous sommes deux fils d’officiers supérieurs, tous deux parachutistes.
Le putsch donne l’occasion à notre aumônier – gaulliste « de la première heure » – de vider son sac contre : « la race des seigneurs, les officiers félons, les traîtres à la patrie… qu’on devrait fusiller…. etc ». Je me dis que la charité chrétienne a des accents que je ne comprends pas toujours. J’avais gardé, de mes classes primaires chez les frères des écoles chrétiennes, un profond respect pour tout ce qui touche à la religion. Le drame algérien fait naître chez moi un profond mépris pour tous ces prélats progressistes.
Je découvre que ceux qui portent le froc sont aussi capables de le baisser pour s’asseoir, cul nu, sur leur dignité ou leur honneur.
Allez comprendre pourquoi la chanson « je ne regrette rien » me donne la chair de poule chaque fois que je l’entends, plus d’un demi-siècle après le putsch des généraux ?
Je n’ai rien oublié…
Semper Fidelis.
Eric de Verdelhan
26 avril 2020
P.S : Ce texte est tiré de mon livre « Hommage à notre Algérie française » (Editions Dualpha ; 2019)
1)- : Régiment Etranger de Parachutistes.
2)-: « Les combattants du crépuscule » de l’américain Paul Henissart; Grasset; 1970.
3)-: Témoignage d’Hélie de Saint-Marc dans ses « mémoires » et dans le « livre blanc de l’armée française en Algérie ».
4)- : Régiment de Chasseurs Parachutistes.
5)-: 11ème Division Légère d’Intervention.
Avril 1961. Eric de Verdelhan avait 11 ans. J’en avais 14. J’étais alors, en ce mois d’avril 1961, fasciné par l’exploit de Youri Gagarine, qui venait d’effectuer le premier vol orbital. Mais aussi et déjà passionné par la politique, le récent retour « aux affaires » du général de Gaulle et bien sûr la guerre d’Algérie où partaient nos grands frères. Ce jour-là, 21 avril 1961, j’ai séché mes cours à Buffon pour suivre la colonne de blindés qui remontait l’avenue du Maine pour prendre position Porte d’Orléans. Ignorant du drame algérien vécu par les Pieds Noirs, j’admirais ce général-président qui, disait-on, « redressait la France », après le chaos de la IV° République…
Je reconnais volontiers aujourd’hui que le traitement du dossier algérien met un bémol à l’oeuvre politique du général. La lecture des livres de mon ami Eric a largement contribué à m’ouvrir les yeux sur cette page de notre histoire qui, comme chacun le sait, n’est pas soldée.
Car si de Gaulle a eu raison de l’Algérie Française, 60 ans plus tard, c’est la France Algérienne qui nous pose quelques problèmes…
MLS
L’Ecole Militaire Préparatoire d’ Aix en Provence était une école d’enfants de troupe. Elle n’était pas le Prytanée militaire qui, à l’époque comme aujourd’hui, était à La Flèche.
« Un peuple qui néglige son armée est un peuple malade. Un peuple qui se sépare moralement de son armée est un peuple perdu … ».
Je dirais qu’une armée qui se sépare de son peuple est une armée malade de lâcheté et perdue.
Quant à De gaulle qui admirait Ramses II, Mahommet, St Louis et Pierre-le-Grand, on ne peut pas dire qu’il était de la même trempe, loin s’en faut. Quand il s’est rendu aux Allemands en 1916 dans des conditions déplorables, les Allemands ont refusé de lui rendre son sabre alors qu’ils l’on rendu aux autres officiers… ça en dit long. Lisez vous mêmes :
https://centenaire.org/fr/espace-scientifique/societe/de-gaulle-douaumont-en-1916-lenfance-dun-lache
Après ça, il pouvait cracher sur ses généraux…
t le commandant Hélie de Saint-Marc, avec son Honneur, ira tout de même en forteresse, merci aux juges politiques…déjà (ou comme toujours)