LE SOLEIL D’AUSTERLITZ
(Éric de Verdelhan)

«…il vous suffira de dire, « J’étais à la bataille d’Austerlitz », pour que l’on réponde, « Voilà un brave »… »                         

(Fin du discours de Napoléon, après la victoire d’Austerlitz)



Voilà un anniversaire que la République devrait fêter : celui de la bataille d’Austerlitz, la « bataille des trois empereurs », le lundi 2 décembre 1805 (11 frimaire an XIV).

Après neuf heures de combats acharnés, la « Grande Armée » de Napoléon, malgré son infériorité numérique, battait une coalition qui réunissait  les Austro-russes de l’Empereur François 1er d’Autriche et du Saint Empire, et les troupes russes de l’Empereur Alexandre 1er.

LE CONTEXTE

Nous sommes fin 1805. Napoléon poursuit l’armée russe de Koutouzov. Au fur et à mesure que celui-ci bat en retraite, la « Grande Armée » ne cesse de se diluer, à 1 000 km de ses bases. Après avoir libéré Munich, la « Grande Armée » descend le Danube pour prendre Vienne et chercher une  bataille décisive avec les Russes. Napoléon estime les effectifs de Koutouzov à plus de 100 000 hommes. Or, le Russe ne dispose en fait que de 36 000 soldats fatigués (renforcés par 22 000 Autrichiens abattus). Napoléon espère livrer bataille à Saint-Pölten, mais le 11 novembre, Koutouzov, renforcé  par  10 000 Autrichiens, fond avec 15 000 hommes sur la division Mortier, dans le défilé de Dürrenstein.
Pris de front, de flanc et par l’arrière, les Français résistent  et combattent à un contre trois. Ils mettent hors de combat 2 600 Russes.

Le 19 novembre, à Olmütz, Koutouzov opère sa jonction avec la 2ème armée russe et le Corps d’armée autrichien. L’armée coalisée compte alors 86 000 hommes. Le surlendemain, Napoléon arrive à Austerlitz, à 100 km de Vienne avec 73 000 hommes….

LA BATAILLE

Le champ de bataille d’Austerlitz est un vaste rectangle de huit kilomètres sur douze. Il est délimité au nord par la route Olmütz-Brünn et à l’ouest par la route Vienne-Brünn. Au sud, des étangs gelés ferment le terrain. Le plateau de Pratzen est la pièce maîtresse de la zone. La neige hivernale, encore peu épaisse, masque les dénivellations. Pendant deux jours, Napoléon va étudier scrupuleusement le futur champ de bataille qu’il a choisi.
Et il déclare à ses maréchaux :

« Jeunes gens, étudiez bien ce terrain, nous nous y battrons ; vous aurez chacun un rôle à jouer ».

Les Austro-Russes ont une nette supériorité numérique. Napoléon se résout à une bataille défensive. Il va ruser : il fait croire à ses adversaires qu’il refuse le combat  en battant en retraite.  Il abandonne le plateau de Pratzen, le 28 novembre. Puis, pour les persuader qu’il est à la veille d’une défaite, il envoie Savary, son aide-de-camp, faire des propositions de paix. Le Tsar refuse.

Pour persuader tactiquement les alliés de sa faiblesse, Napoléon place peu de troupes sur son flanc droit. Il prévoit que les Alliés, voyant le point faible du dispositif français, quitteront leur position dominante, le plateau de Pratzen, pour leur couper la route de Vienne.

Napoléon diffuse par écrit le positionnement des différentes unités à tous ses Maréchaux.

Bulletin intitulé « Dispositions générales pour la journée du 11 Frimaire an XIV (2 décembre 1805) » : Au centre, Soult, avec ses 20 000 hommes, doit contre-attaquer et couper l’armée ennemie en deux, en attaquant le plateau de Pratzen. Lannes (15 000 fantassins) et Murat (8 000 cavaliers), au nord, doivent défendre leurs positions. Pour renforcer son flanc droit, Napoléon ordonne à Davout de quitter Vienne, lieu de cantonnement de ses troupes, et de le rejoindre à marche forcée.

Les 8 000 soldats de Davout parcourront les 110 km qui les séparent du champ de bataille en 48 heures (36 heures de marche). L’Empereur place la cavalerie de Margaron au château de Sokolnitz et la division Legrand à Sokolnitz. Il ordonne également au 3ème régiment de ligne de Legrand de tenir Telnitz jusqu’à l’arrivée de Davout. Enfin, la Garde impériale (5 000 grenadiers) et le 1er  Corps de Bernadotte (12 000 hommes) restent en réserve. L’artillerie française compte 139 canons.

Le 1er décembre, les Alliés réunissent un conseil de guerre pour discuter du plan de bataille pour le lendemain. Koutouzov et Andrault, méfiants, veulent temporiser pour attendre l’archiduc Charles. Parti d’Italie, il est le seul qui puisse se mesurer à Napoléon qu’il a beaucoup rencontré dans le passé. Mais le Tsar choisit Weyrother, un général autrichien qui a organisé des manœuvres sur ce même emplacement en 1804. Son plan prévoit une attaque de diversion au nord, tandis que la majeure partie de l’armée alliée attaquera, au sud,  le flanc droit dégarni des Français. 

Avec 40 000 hommes il espère encercler les Français  et déclare au Tsar : « J’emploierai demain contre Bonaparte la même manœuvre qui lui avait servi à battre les Autrichiens à Castiglione. La victoire est certaine ».

Le 2 décembre 1805, à 4 heures du matin, quatre colonnes alliées quittent le plateau de Pratzen et marchent sur le flanc droit des Français. À 6 heures, les divisions de Soult (Vandamme et Saint-Hilaire), cachées par le brouillard, franchissent le Goldbach en silence et attendent le signal de l’attaque. À 7 heures, Kienmayer envoie son avant-garde à l’assaut de Telnitz, mais elle est repoussée par le 3ème régiment de ligne de Legrand. Dans la foulée, Kienmayer lance 3 000 Autrichiens et 600 cavaliers pour prendre la petite bourgade. Ils arrivent à percer la ligne française jusqu’à l’église du village, mais les Français les culbutent dans une violente contre-attaque.

Dès  8 heures, l’état-major allié s’impatiente : Kienmayer a perdu l’ensemble de ses troupes dans une troisième attaque vaine, et la 2ème colonne du général Langeron a perdu une heure dans l’exécution de sa manœuvre. À 8 heures 30, le général Langeron attaque enfin Sokolnitz.

Après un bombardement intense, Langeron pénètre dans Sokolnitz que les Français ont abandonné. Mais ils se reforment à l’arrière et une poignée d’hommes se réfugie dans le château, résistant aux assauts des Russes. Puis, les Français contre-attaquent et repoussent les Russes hors du village. De  son côté, Dokhtourov lance plusieurs attaques sur Telnitz, et force les Français à battre en retraite, mais une charge de Dragons oblige les Russes à quitter la bourgade. Telnitz change trois fois de mains en une demi-heure. Finalement à 9 heures, Dokhtourov et Langeron prennent Telnitz et Sokolnitz. Davout se demande combien de temps il pourra  empêcher – avec 1 500 hommes – l’avancée des Russes. Mais Napoléon donne l’ordre d’attaquer le plateau de Pratzen.

Chez les Russes, la surprise est totale : les colonnes de Przybyszewski et de Kolowrat sont assaillies de flanc. Les divisions de Saint-Hilaire et de Vandamme s’enfoncent dans les rangs russes à l’arme blanche. Le combat, d’une rare violence, dure à peine quelques  minutes. Les Russes de Kolowrat sont culbutés et entraînent les soldats de Przybyszewski dans leur débandade.

À 9 heures, les Français sont maîtres du plateau de Pratzen. Soult y installe ses canons.

Koutouzov panique et prélève des unités au sein des troupes de Langeron et de Dokhtourov dans l’espoir de reprendre Pratzen.
Ses ordres provoquent une véritable cohue entre les unités qui descendent du plateau et celles qui montent à l’assaut. L’artillerie de Soult harcèle, en tir tendu, les assaillants du plateau, creusant des saignées dans les rangs russes. Puis les tirs de la mousqueterie de Saint-Hilaire forcent Langeron et ses troupes à abandonner.
Pour aider Soult, Napoléon envoie Bernadotte, jusque-là tenu en réserve, au nord du plateau.
La Garde impériale est envoyée à Pratzen.

Vers 11 heures, Koutouzov donne ses réserves pour reconquérir le plateau : il envoie 4 000 soldats de la garde à pied russe. Mais celle-ci, mal commandée, part de trop loin et arrive essoufflée devant le 4ème régiment de ligne français. Commandés par Joseph, le frère aîné de Napoléon, les voltigeurs français prennent rapidement le dessus et poursuivent les Russes.

Koutouzov contre-attaque en envoyant dix escadrons de cavalerie lourde. Le choc est brutal et après une vaine résistance des Français, les cavaliers russes s’emparent de l’aigle du régiment.

Aussitôt, Rapp et Bessières, avec 375 chasseurs à cheval de la Garde, 48 mamelouks et 706 grenadiers à cheval de la Garde chargent les Russes en deux vagues au cri de : « Faisons pleurer les dames de Saint-Pétersbourg ».
À un contre quatre, les Français se battent furieusement.

Avec l’échec de la Garde russe, la bataille est perdue pour les Alliés : l’armée est coupée en deux. Au sud, Andrault et Dokhtourov, isolés, battent en retraite tandis qu’au nord, Bagration résiste aux assauts de Lannes et Murat. Puis après de lourdes pertes, il bat en retraite en bon ordre.

A 14 heures, Napoléon attaque l’aile sud de l’armée austro-russe sans se préoccuper de l’aile nord, provoquant la débandade à travers les étangs gelés de Menitz et Satschan.

Koutouzov étudie seul les voies de retraite ; le Tsar et son état-major ont  fui une heure plus tôt. Au centre, Kollowrath, la Garde russe et la cavalerie de Liechtenstein sont en pleine déroute et retraitent vers l’est. Au sud, Napoléon ordonne à Soult de quitter le plateau de Pratzen et de couper la retraite aux colonnes russes, tandis que Davout fait pression à l’ouest et reprend Sokolnitz.

À 15 heures 30, 20 000 Russes, n’écoutant plus leurs officiers, fuient en désordre et espèrent échapper à l’encerclement en traversant les étangs gelés. L’artillerie française tire pour briser la glace, les hommes s’enfoncent dans l’eau et se noient. Paniqués et gelés, 2 000 Russes parviennent à regagner la rive où ils sont immédiatement faits prisonniers. La victoire française est indiscutable.

LES PERTES

Les pertes françaises sont de 1 537 morts, 6 943 blessés et 573 prisonniers.
Les Français ont fait 11 073 prisonniers mais ont perdu le drapeau du 4ème  de ligne : l’Empereur est particulièrement irrité par la perte de cet aigle impérial.

Les alliés comptent 16 000 morts et blessés et 11 000 prisonniers. Ils déplorent la perte de 45 drapeaux. Ils iront orner la cathédrale Notre-Dame de Paris avant de rejoindre l’église Saint-Louis des Invalides. Les 185 canons pris seront utilisés pour fondre une partie de la colonne Vendôme.

APRES LA BATAILLE…

Après la bataille, l’Empereur harangue ses troupes :

« …Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de notre patrie sera accompli, je vous ramènerai en France ; là, vous serez l’objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suffira de dire, « J’étais à la bataille d’Austerlitz », pour que l’on réponde, « Voilà un brave »… ».

Et j’ai bombé le torse car j’y étais. Mais c’était en… 1961, j’avais 11 ans et j’étais « enfant de troupe » au Prytanée Militaire d’Aix- en-Provence. A l’époque, en 1ère année (la 6ème) nous fêtions la victoire d’Austerlitz. Sans doute était-ce pour inculquer aux futurs officiers, la fierté de leur pays, de sa grandeur et de ses victoires ?

Personnellement, je préfère ça à l’auto-flagellation et à la repentance.

Pour cette commémoration – jouée par des enfants – un seul cheval, celui du « Cyrard » qui tient le rôle de l’Empereur. Je suis en uniforme de grenadier et je dois tomber, mortellement blessé, à la 2ème  ou 3ème  charge. Je joue le rôle… d’un mort. C’est assez confortable puisque ça consiste à rester allongé pendant que d’autres s’essoufflent en charges et replis successifs.

En fait, j’ai été réellement blessé, certes assez légèrement: je suis allongé sur le dos quand  un pétard m’éclate sur le front, au dessus de l’œil gauche. Je garderai longtemps une petite cicatrice qui me permettra  souvent de fanfaronner avec humour en affirmant : « j’ai été blessé au combat ». Quand on me demande où ? Je répondrai, tantôt goguenard, tantôt le plus sérieusement du monde : « à la bataille d’Austerlitz ».

Il y a quelques années, j’ai été invité (invité en payant mon repas, ce qui est d’une goujaterie sans nom !) à venir dédicacer mes livres à une réunion des « Gueules cassées ». A table, alors que je m’ennuyais comme un rat mort, mon voisin a voulu savoir si j’étais une « gueule cassée ».

J’ai opiné du chef et il m’a demandé où j’avais été blessé. J’ai répondu, sérieux comme un pape: « A Austerlitz ». Ce brave homme a dû penser que j’avais un sérieux « pet au casque » ou que ma mère m’avait bercé trop près du mur, car il n’a plus pipé mot durant tout le déjeuner…

EPILOGUE…

Cette nuit, j’ai fait un rêve étrange : j’étais en tenue de grenadier. « Nabot-Léon », notre nouvel Empereur, passait ses troupes en revue, moulé dans sa combinaison d’aviateur sur mesure.

Naïf, je pensais qu’il allait me pincer l’oreille et me dire : « Vous étiez à Austerlitz, vous êtes un brave ! ». Que nenni, il s’est planté devant moi et, en me fixant avec son regard froid de gourou, il m’a déclaré : « Vous êtes un double con : CON…tribuable et CON…finé. Vous devriez portez un masque et rester chez vous ».
Puis il a demandé à un de ses sbires de me coller 135 € d’amende.
Je me suis réveillé en sursaut et en nage.
Je me suis dit que, depuis la victoire d’Austerlitz, les choses avaient bien changé dans notre pauvre pays. Et pas forcément en bien !
        

Éric de Verdelhan
2 décembre 2020

3 Commentaires

  1. Félicitations soldat !

    Nabot Léon en tenue d’aviateur, quelle honte ! Sur le pont du Charles, si un chien jaune avait pu lui glisser un sabot entre les pattes et déclencher la catapulte !

  2. Merci de nous avoir raconté de manière passionante et accessible aux non-spécialistes, cette bataille glorieuse de l’Armée française ! Napoléon était un stratège d’exception servi par des officiers et des soldats d’élite. Serions nous encore capables de tels faits d’armes aujourd’hui ?

    • Il avait surtout de bons généraux courageux qui se mouillaient la chemise mode « Bigeard ». Et les soldats étaient bien entraînés et galvanisés. Cela dit, Napoléon décima la population française à l’époque. On a remarqué (les historiens) par la taille des uniformes que plus le temps passait, plus les Français perdaient en taille. Ils étaient plus grand au début de l’empire qu’à sa fin. Il a fallu du temps pour rattraper la taille actuelle des jeunes revenus à la taille originelle des Gaulois.

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