ESPAGNE : MADRID DOIT COMPTER SUR BARCELONE ! (Franck Buleux)

Les résultats des dernières élections législatives espagnoles du dimanche 23 juillet 2023 n’ont pas défini de majorité nette malgré la prééminence des deux partis traditionnels : le Parti populaire (PP) classé à droite avec 33 % et 136 élus face au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), au pouvoir avec l’extrême gauche depuis quatre ans, avec 32 % et 122 élus.

Sans majorité après les législatives, l'Espagne en plein casse-tête politique

Trois autres tendances sont représentées au Parlement espagnol : les nationaux-conservateurs de droite « nationale » avec 12 % et 33 élus (avec le mouvement Vox), les forces de gauche radicale avec 12 % également et 31 élus et les représentants des régionalistes avec 28 élus et 8 % environ en cumulant l’ensemble des listes. L’Espagne est une nation constituée de 17 communautés autonomes et de 50 provinces : le Congrès des députés est élu au scrutin proportionnel de listes correspondant aux provinces et aux villes autonomes de Ceuta et Melilla (situées en inclusion sur le territoire marocain), soit un total de 52 circonscriptions. Ce découpage et ce mode électoral permettent une représentation démocratique (avec un seuil le plus souvent à 3 % pour obtenir des élus sauf pour les territoires de taille modeste), permettant également l’émergence de mouvements dits « régionalistes » ou « localistes ».

La difficulté essentielle, pour organiser une gouvernance nationale stable, est de lier les représentants d’un courant national très opposé à l’autonomie des communautés et ceux de ces mêmes communautés. Aussi, le « passage à droite » de l’Espagne, attendu et espéré par certains, semble compromis par les antagonismes existants entre le mouvement conservateur Vox et les régionalistes catalans et basques, qui représentent à eux seuls 25 des 28 élus régionalistes.

Toutefois, il existe une particularité en Espagne : les régionalistes sont, le plus fréquemment, divisés entre un courant conservateur, qualifié de libéral ou de centre-droit, et un autre, progressiste voire gauchisant. Cet antagonisme se retrouve au Parlement européen où les régionalistes, qui même s’ils dirigent ensemble la collectivité hispanique, siègent dans des groupes opposés.

Permettons-nous de faire un « tour d’Espagne » des mouvements régionalistes représentés au Congrès espagnol, c’est-à-dire des 28 élus. Commençons par les collectivités qui ont envoyé un député régionaliste unique :

  • D’abord l’Union du peuple navarrais (UPN), parti de droite proche du Parti populaire implanté dans la Communauté forale de Navarre, dans le nord de l’Espagne, qui a obtenu un élu. Formation conservatrice, notamment opposée à l’avortement et favorable à une scolarité non-mixte, elle participe à des accords locaux avec le PP mais aussi, parfois, avec les socialistes. Les « navarristes » ne devraient pas s’opposer à un gouvernement de droite, y compris avec Vox.
  • Ensuite, la Coalition canarienne dispose d’une élue. Ce mouvement gouverne l’archipel (les îles canaries) avec le PP et ne devrait pas s’opposer à un gouvernement de droite même si la députée, Cristina Valido, a prévenu qu’elle ne soutiendra pas un gouvernement dans lequel figure l’extrême gauche (dont la coalition avec le PSOE est nécessaire pour le maintien de la gauche ibérique au pouvoir) ou l’extrême droite.
  • Enfin, en Galicie, le Bloc nationaliste galicien a obtenu un élu. Ce mouvement est un parti nationaliste de gauche qui défend le droit à l’autodétermination de la Galicie. Il est en coalition (d’opposition) avec les socialistes au niveau régional face à la droite. Il semble improbable que son élu au Congrès soutienne le Parti populaire, avec ou sans Vox.

Voyons maintenant les deux collectivités qui ont envoyé au Congrès 25 députés régionalistes : le Pays basque (11) et la Catalogne (14).

Les Basques et les Catalans apportent au Congrès le plus fort contingent régionaliste. Ces deux communautés sont d’ailleurs dirigées par des régionalistes. On peut noter que les socialistes catalans (PSC) sont autonomes du PSOE national et gouvernement la Catalogne avec les partis régionalistes. Quant au Pays basque, les socialistes sont également intégrés à l’exécutif régional avec les basques « modérés ».

Au Pays basque, 6 élus proviennent de la gauche voire de l’extrême gauche basque (EH Bildu : en français « Réunir le Pays basque »), dont l’élu européen siège avec les communistes. Ce mouvement est dans l’opposition au Parti nationaliste basque, qui a obtenu 5 élus et gère, avec les socialistes, le Pays basque. Il sera donc difficile pour le PP de réunir ces 11 élus, les premiers par anticapitalisme et antilibéralisme et les seconds parce qu’ils dirigent avec le PSOE au niveau régional.

En Catalogne, 14 députés régionalistes ont été élus : 7 de gauche (ERC : Gauche républicaine de Catalogne), parti nationaliste de gauche et 7 modérés du mouvement Junts (Ensemble pour la Catalogne), indépendantistes de centre-droit. Le Parlement régional est dirigé par une élue Junts, Laura Borras, soutenue par les socialistes catalans et les nationalistes de gauche (ERC)

Il est évident que Junts (7 élus sur 350 au sein du Congrès espagnol) est le faiseur de roi en Espagne. Si l’on considère le « bloc des droites » à un niveau de 170 élus, en comptant l’élu autonomiste de Navarre, le passage à 176 élus (majorité absolue) ne pourra être réalisée qu’avec les élus catalans de centre-droit.

On peut rappeler que le mouvement catalan s’est opposé au gouvernement de gauche depuis quatre ans. Ses revendications sont les suivantes : un référendum d’autodétermination pour la Catalogne et l’amnistie pour l’ex-président régional Carles Puigdemont, poursuivi pour désobéissance en Espagne en raison de l’organisation d’un référendum interdit par la loi, puis la justice en 2017 et qui est exilé en Belgique.  Ces demandes ont toujours été refusées par le bloc de gauche.

Au-delà de ces résultats, on peut, du point de vue normand, introduire deux éléments d’approche critique :

  • Il est absurde de créer une frontière politique entre le « tout national » et le « tout régional » (qui finit par devenir d’ailleurs un « micro-nationalisme ») : la géographie politique de l’Espagne permet de lier, au sein d’une nation-Etat, des communautés charnelles distinctes
  • Il est tout aussi absurde de laisser le régionalisme aux forces de gauche : le respect des identités n’est plus un combat de « libération nationale » (à l’algérienne ou à la kanake) mais une défense de la terre et de sa population

Aussi, l’exemple espagnol peut servir de modèle (mais pas forcément d’exemple) : un parti national conservateur ne doit pas se fermer aux exigences régionales et les mouvements régionalistes ne doivent plus se fermer dans des combats d’arrière-garde fleurant bon le marxisme-léninisme des années 1960.

Au-delà de ces deux concepts, faisons le choix d’une gouvernance entre les partis de droite avec le soutien des régionalistes modérés. Madrid doit savoir compter sur Barcelone !

Franck Buleux

29 août 2023

2 Commentaires

  1. Une coquille assez drôle s’est glissée dans l’article : il faut lire bien sûr communauté forale et non pas florale

  2. Même en Espagne, les patriotes n’arrivent pas à faire pencher clairement et nettement la balance. La peur de l’inconnu, la peur de retrouver la liberté, c’est aussi ce qui arrivent aux animaux trop longtemps enfermés quand on leur ouvre la cage…

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