N’oublions jamais « Le Drakkar » – 23 octobre 1983 (Éric de Verdelhan)

N’oublions jamais « Le Drakkar » (23 octobre 1983).

« On ne confie pas au loup la garde de la bergerie… » (Proverbe libanais).
« Si vous avez compris quelque chose au Liban, c’est qu’on vous l’a mal expliqué.» (Henry Laurens). 

 

 

L’attaque surprise du Hamas contre Israël vient nous rappeler que l’islamisme radical est un danger omniprésent pour l’Occident. Sur les plateaux-télé, chacun y va de son indignation, plus ou moins sincère, et de sa condamnation de la barbarie.

 À Arras, un Tchétchène a tué un professeur trois ans après la décapitation de Samuel Paty. Quelques jours plus tard, c’est à Bruxelles que le terrorisme frappait à nouveau. A chaque attentat islamiste, nous avons droit aux mêmes « marches blanches » et aux mêmes discours lénifiants. Les pantins politiques, comme les médias qui leur servent la soupe, nous déclarent que plus rien ne sera comme avant, puis…on oublie… jusqu’au prochain attentat terroriste.

Pourtant il y a bien longtemps que l’Islam tue des Chrétiens au nom l’Allah.       

Aujourd’hui, je vous parlerai d’un attentat qui remonte à 40 ans, pour rendre hommage aux 58 parachutistes français tués à Beyrouth le 23 octobre 1983, dans l’explosion de l’immeuble « Le Drakkar », un attentat islamiste qui ne semble pas intéresser grand monde aujourd’hui.

En septembre 1983, la 3ème compagnie du 1er RCP (1) est intégrée à la « Force Multinationale de Sécurité » à Beyrouth. Ce départ n’était pas prévu car les régiments d’appelés du contingent ne faisaient pas partie du plan de relève. Mais Beyrouth, au cœur de cet été 1983, paraît encore calme…

Le 20 septembre, la compagnie est cantonnée dans le poste « Irma » bientôt rebaptisé « Le Drakkar ». C’est un ancien hôtel de neuf étages mais surtout un excellent observatoire dans cette partie sud de Beyrouth.

Avant d’aller plus loin, disons un mot du lointain Liban ( لبنان), perpétuellement en guerre, qui n’évoque pas grand-chose pour une jeune génération qui ne connait notre histoire qu’au travers de la « repentance ». Pourtant, depuis François 1er, la France porte un intérêt pour la Syrie et les minorités chrétiennes du Mont Liban. Sous le second Empire, la France est venue au secours des Maronites, victimes d’attaques et d’exactions violentes de la part de leurs voisins druzes.

Le 16 novembre 1916, deux diplomates, le Britannique sir Mark Sykes et le Français François Georges-Picot concluent  le fameux accord  « Sykes-Picot ». Cet accord  prévoit le partage – après la guerre – des dépouilles de l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie.

La France propose de prendre sous son aile la Syrie et le Mont Liban. Le 8 octobre 1918, une escadre française accoste à Beyrouth. Les soldats  français se joignent à leurs alliés britanniques qui occupent  déjà toute la région. La déception est grande, alors, chez les nationalistes arabes qui espéraient se tailler un état indépendant autour de Damas – la capitale de la Syrie – avec le soutien de Thomas Edward Lawrence, dit « Lawrence d’Arabie » (2). Qu’à cela ne tienne, un congrès réuni à l’initiative de l’émir Fayçal, fils du chérif de la Mecque,  proclame, le 11 mars 1920, l’indépendance de la « Grande Syrie » et en confie la couronne à l’émir. La conférence de San Remo, le 25 avril 1920, confirme le mandat de la France sur la Syrie et le Liban, et le général Henri Gouraud, chef du Corps Expéditionnaire Français, décide d’en finir avec Fayçal. Il l’expulse de Damas et écrase son armée le 24 juillet 1920, à Khan Mayssaloum, dans la chaîne de montagnes qui sépare la Syrie du Liban.

Pressée par la communauté maronite, la France détache de l’ancienne Syrie un Grand-Liban qui rassemble le Mont Liban, la vallée de la Bekaa et le littoral. Dans ces limites, les Chrétiens sont majoritaires (ce ne sera plus le cas en 1975 du fait de l’émigration et d’une natalité inférieure à celle des Musulmans). L’ « État du Grand-Liban » est officialisé le 1er septembre 1920 par un décret du général Gouraud, haut-commissaire pour le Levant. La Syrie, elle, inclut trois entités distinctes : l’État de Damas, l’État d’Alep et le Territoire des Alaouites.

La France institue, aux côtés du gouvernement, un conseil consultatif où sont représentées les… 17 communautés religieuses du pays : des Chrétiens maronites aux Juifs en passant par les Musulmans sunnites ou chiites, les Chrétiens jacobites (ou monophysites), les Druzes, les Arméniens, les Grecs orthodoxes etc… Ainsi se met en place un « communautarisme » original.

Pour les Libanais, comme pour les habitants du Moyen-Orient en général, l’appartenance religieuse  est moins une affaire de croyance que d’identité : chacun se rattache à une communauté caractérisée par son endogamie, ses rituels et ses coutumes mais aussi ses règles de droit (mariage, héritage…) et ses tribunaux propres.

Le 26 mai 1926, Henry de Jouvenel donne une Constitution au pays. Inspirée de notre  Constitution (celle de 1875), elle s’en distingue par une énorme différence: la reconnaissance des communautés et le partage du pouvoir entre elles, en fonction de leur importance.  Selon la Constitution, toujours en vigueur, les députés sont élus sur une base communautaire ET territoriale. La répartition est établie sur la base du recensement de 1932 (3). Par ailleurs, il est convenu – de façon non écrite – que la présidence de la République revienne à un Maronite et le poste de premier ministre à un Musulman sunnite. Ces dispositions satisfont la bourgeoisie sunnite et maronite de Beyrouth de même que les clans du Mont Liban. Les habitants des périphéries du sud et de l’est, y trouvent beaucoup moins leur compte et gardent la nostalgie de la « Grande Syrie ».

En juin 1941, en pleine guerre mondiale, les Britanniques, accompagnés d’un détachement des FFL (4) gaullistes, occupent le Liban et la Syrie et en chassent les représentants du régime de Vichy.  Puis,  le 25 décembre 1941, sous la pression britannique, le général Catroux, commandant des troupes françaises du Levant, proclame l’indépendance de la Syrie et du Liban !

Mais de Gaulle et son représentant, le haut-commissaire Jean Hellen, ne sont pas d’accord.

Le 11 novembre 1943, Jean Hellen fait arrêter le président  Béchara el-Khoury, ainsi que tout son gouvernement, ce qui provoque d’importantes manifestations de rue.

Les Britanniques s’en mêlent et exigent la libération des prisonniers. Celle-ci est effective le 22 novembre. Cette date – le 22 novembre 1943 – est, depuis lors, la fête nationale du Liban.

La classe politique libanaise décide de conserver les institutions léguées par la France.

Elle choisit aussi, par un « pacte national » non écrit, de consolider la répartition officieuse des postes de responsabilité entre les différentes communautés.

L’indépendance officielle est programmée le 1er janvier 1944. Mais c’est seulement en 1946 que les troupes françaises et anglaises quitteront le Liban.

Ce beau pays va devenir, dans les années 1950-70, « La Suisse du Moyen-Orient », en raison de sa puissance financière. Et sa capitale, Beyrouth, deviendra « le Paris du Moyen-Orient ».

Et puis, tout va basculer : l’ordre – ô combien précaire –  instauré par les français est remis en cause par la démographie : L’arrivée d’une importante immigration palestinienne, musulmane à 80%, et le déclin des Chrétiens. Les Musulmans chiites du sud du pays, dont le poids démographique va croissant, contestent  la prééminence des Maronites et de la bourgeoisie sunnite de Beyrouth.

La Syrie, qui considère le Liban comme son « Alsace-Lorraine », ne se résigne pas à la scission de 1920. Elle se refuse à ouvrir une ambassade à Beyrouth, attise en sous-main les rivalités communautaires et nourrit les ressentiments, chiite et palestinien, avec la complicité de l’Iran.

En 1975, bien qu’aucun recensement n’ait eu lieu depuis 1932, chacun voit bien que les Maronites sont devenus très minoritaires. C’est le début d’une terrible guerre civile, faite d’alliances improbables (et souvent  éphémères) entre les communautés.

Israël d’un côté,  la Syrie des Al-Assad, père et fils, de l’autre, soufflent sur la braise.

Et…les Français  reviennent ! Ils arrivent avec le FINUL (5). Mise en place par les résolutions 425 et 426 des Nations Unies, à l’initiative du général français Jean Cuq, c’est l’ « Opération Litani », du 14 au 21 mars 1978. Depuis, la création de l’ONU (24 octobre 1945) qui faisait  suite à la « Société des Nations » d’avant-guerre, les dirigeants occidentaux ont inventé un concept : les « soldats de la paix » chargés de missions d’interposition entre belligérants, à caractère défensif (ou de simple observation), généralement sous la bannière de l’ONU ou d’une force internationale.

Au Liban, ceci nous a amené, entre autres, au drame du 23 octobre 1983. Ce jour-là,  deux attentats-suicides frappaient les contingents américain et français de la « Force Multinationale de Sécurité » de Beyrouth. Ces attentats, revendiqués par le « Mouvement de la révolution islamique libre » puis par l’ « Organisation du Jihad islamique » ont fait 299  morts  et plusieurs centaines de blessés.

À 6 h du matin, un camion piégé touche le contingent américain. Son explosion  tue 241 soldats  et en blesse une centaine d’autres. Environ deux minutes plus tard, 58 parachutistes français de la force multinationale, (55 paras de la 3ème  compagnie du 1er RCP et 3 paras du 9ème  RCP), trouvent la mort dans un attentat similaire : l’attentat du « Drakkar » entraîne la destruction totale de l’immeuble. 15 autres paras sont blessés. 26 seulement en sortiront indemnes mais, pour la plupart, traumatisés, à vie.  

Depuis 1978, la France est présente au Liban. Elle a perdu plus de 150 hommes là-bas et elle reste l’un des principaux pays contributeurs de la FINUL.

Ayons une pensée pour les paras du « Drakkar »  et pour tous les autres, tombés pour rien, ou, plus exactement, pour une cause perdue d’avance par un phénomène démographique :

Les communautés les plus importantes du Liban actuel sont, dans l’ordre, les Musulmans chiites (plus de 30%), les Musulmans sunnites (26%), les Chrétiens maronites (25%), les Druzes (6%), les Grecs-orthodoxes, les Grecs-catholiques…etc. Les Musulmans chiites tendent à devenir le groupe prédominant. Les Chrétiens  sont en voie de marginalisation, puis, peut-être de disparition… comme dans tout le reste du Moyen-Orient…

Et la France est en voie de devenir un nouveau Liban, mais chut ! Il ne faut pas en parler. Il ne faudrait surtout pas effrayer le bourgeois et stigmatiser une communauté. On préfère adopter la politique de l’autruche : le tête dans le sable et le cul à l’air, prêts à recevoir les derniers outrages ?

   

Éric de Verdelhan

21 octobre 2023

1)- 1er RCP : 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes, basé à l’époque à Pau-Idron et commandé par le colonel Jean-Claude Cardinal.  

2)- Thomas Edward Lawrence, dit « Lawrence d’Arabie », (1888-1935) officier et écrivain britannique.

3)- Les Libanais n’ont pas organisé d’autre recensement depuis.

4)- Forces Françaises Libres.

5)- Force Intérimaire des Nations Unies au Liban.

9 Commentaires

  1. Ceux qui envahissent la France, quand il n’y aura plus rien à en tirer où iront-ils? Ils retourneront chez eux… En France, il ne restera plus guère que ceux qui ont compris comment ne plus faire la guerre.

  2. Très bonne analyse ! j’adhère à la conclusion, la « libanisation « de notre pays n’est cependant pas encore irréversible car contrairement au Liban notre communauté originelle est encore majoritaire et notre principal ennemi n’est pas encore les Islamistes , mais les politiques « collabos et lâches « qui commencent, à peine, à réaliser les conséquences de leur ignorance coupable des réalités sociétales .
    Nous connaissons nos cibles, il ne reste plus qu’à bien viser en toutes occasions…..démocratiques ou non!
    Les Français(e)s ont le droit de se défendre,non?

  3. Bonjour,
    Je rajouterai que Mitterrand a fait semblant de punir les assaillants …De mémoire les Mirage ont largué leurs bombes hors objectif sur instruction! Vrai ou faux?

  4. Toujours un problème démographique. !
    Napoléon aurait dit : « Une Nation devient ce qu’en font les mères de famille ».
    (Mais je n’arrive pas à retrouver la citation. Si quelqu’un pouvait la retrouver il serait le bienvenu).
    Pour le dire plus crûment : »Filles de France faites des enfants !  » Contraste avec ce qu’a bien proclamé clairement le président turc Erdogan. à propos de la Turquie.
    Pour ce qui concerne l’attentat du Drakkar on peut quand même observer que les militaires français ont fait preuve d’angélisme en n’empêchant pas l’accès au Drakkar par des dispositifs anti-chars. A croire qu’ils n’avaient jamais regardé les forteresses construites en France jusque vers la fin du 19 è siècle toujours munies de profonds fossés, ponts-levis, souterrains couverts de terre sur plusieurs mètres d’épaisseur etc…Et puis un officier bien instruit aurait dû ouvrir un livre d’histoire pour examiner le Krak des Chevaliers.
    Avec l’évolution des comportements de la population immigrée en France, il faudra repenser à protéger les lieux qui abritent les forces de l’ordre et leurs familles, Ces lieux sont aussi devenus très vulnérables par l’accoutumance à la tranquillité des casernes dans le style « gendarmerie de Saint-Tropez ». YéYé..Yé…Yé !

  5. Quel séisme cet attentat parmi la grande famille parachutiste. J’ai gardé le numéro spécial Paris Match qui avait couvert les funérailles de ces bérets rouges, appelés du contingent pour la plupart . On sentait bien à l’époque , qu’il y aurait un «  avant et un après «  Drakkar . Et surtout , 20 ans après la guerre d’Algérie , des Paras tombaient encore sous les lâches attentats musulmans , et le terme «  pasdamalgame «  n’avait pas encore été inventé à Paris , nos «  zelites «  ne tardèrent pas à le mettre à toutes les sauces

    • N’oublions pas que leur mémoire, mais aussi les survivants et les familles ont besoin de notre soutien et de notre présence à travers les cérémonies, les associations, parfois même un soutien matériel (certains ne s’en sont jamais remis). Il y a encore des blessures, physiques, psychiques chez les survivants, il y a encore des parents, des frères et sœurs, des neveux et nièces qui pour beaucoup n’auront jamais connu leur oncle.

  6. Le LIBAN démontre deux choses que les politiciens français ne veulent pas voir : 1°) – le multiculturalisme ne fonctionne pas, nulle part, jamais. 2°) – Sitôt que les musulmans deviennent majoritaires où que ce soit, la vie des autres devient impossible. Les Français devraient commencer à s’en apercevoir mais pour l’instant ils se contentent des marches blanches, fleurs, nounours et bougies. Le réveil va être terrible !

  7. Triste souvenir pour beaucoup cher Eric, et pour moi en particulier car j’ai fait mes 12 mois en 74/75 dans ce régiment, et donc dans ce camp très atypique d’Idron, période dont j’ai gardé de merveilleux souvenirs.
    Merci à vous
    LJ

    • Je suis un ancien du 1er RPIMa mais j’ai bien connu quelques cadres du 1er RCP.
      Paramicalement

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