L’AFFAIRE DE SUEZ : UNE HUMILIATION … (Éric de Verdelhan)

« Techniquement, la plus réussie des opérations parachutistes depuis l’Indochine fut celle de Suez. Menée dans le plus grand secret, elle donna aux paras de Massu  l’occasion de pousser leur entraînement à fond et de percevoir des renforts matériels dont l’administration militaire n’était pas coutumière. Toute la 10° Division Parachutiste prit part à cette opération dont la réalisation fut exemplaire, mais dont l’ampleur fut limitée par le cessez-le-feu qui bloqua l’avance des paras français et les frustra de leur victoire … » (« Histoire Mondiale des Parachutistes » (1))

              

La presse, pour ne pas dire que l’antisémitisme qui ressurgit en France est dû aux islamo-gauchistes et aux intégristes musulmans, nous a ressorti l’affaire du « détail » – qui date de 1987 – et les condamnations de Jean-Marie Le Pen pour ses calembours antisémites.

Ceci m’a remémoré un « détail » honteux de notre histoire dont c’est presque l’anniversaire en ce mois de novembre ô combien maussade et pluvieux, l’« Opération Mousquetaire » en 1956, car le lieutenant Le Pen, qui servait alors chez les Légionnaires parachutistes, y participa.    

La Guerre Froide - Mini-doc - La crize du canal Suez

L’affaire de Suez, c’est un épisode militairement glorieux et politiquement honteux, bien oublié de nos jours. Ce fut une magnifique victoire de nos parachutistes, une victoire qui leur laissa un goût amer car chez les « centurions », on n’aime pas faire tuer des soldats pour rien.

Je réalise, en écrivant cet article, qu’il tombe à deux jours près à une autre date anniversaire, celle de l’inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869. Une belle œuvre française inaugurée par l’impératrice Eugénie sur le navire « L’Aigle », suivie par Ferdinand de Lesseps et ses cadres à bord du « Péluse », de la Compagnie des Messageries Maritimes. C’est à la France que le monde doit d’ouverture du canal de Suez ; c’était une époque où notre nation était encore grande et fière.

Mais revenons à mon sujet, à savoir l’« Opération Mousquetaire » :

Le conflit de Suez est parti de la volonté de Gamal Abdel Nasser, colonel-président-dictateur de l’Égypte, de pactiser avec l’URSS, de reconnaître la Chine communiste et surtout de nationaliser le canal de Suez, voie commerciale vitale qui était détenue très majoritairement (2) par des intérêts franco-britanniques. Cette nationalisation avait pour but, entre autres, de financer la construction du barrage d’Assouan après que les États-Unis et la Banque Mondiale eurent refusé d’accorder des prêts pour le financer. D’autre part, Nasser dénonçait la présence coloniale du Royaume-Uni au Proche-Orient et soutenait le FLN contre la France dans la guerre d’Algérie.

Dès la fin de l’été 1956, le premier ministre britannique, Anthony Eden, tente de mobiliser  l’opinion publique sur la nécessité, pour le monde libre, d’entrer en guerre contre Nasser, celui qu’il surnomme à juste titre « le Mussolini du Nil ».

Cette crise de Suez  portera le nom d’« Opération Kadesh » mais, pour les parachutistes  de la 10° DP (3), ce sera l’« Opération Mousquetaire ». Quand le conflit éclate, après moult reports, il oppose l’Égypte à une alliance née d’un accord secret – le protocole de Sèvres – entre l’État d’Israël, la France et le Royaume-Uni. Cette alliance répondait à des intérêts communs: Israël, comme la France et l’Angleterre, avait besoin du canal de Suez pour assurer son transport maritime  mais, en plus, les Israéliens justifiaient leur intervention comme une riposte aux attaques fédayins de plus en plus fréquentes sur leur territoire. Cette crise intervenait dans un climat de guerre froide entre l’URSS et les États-Unis. Ce conflit sera, au final, « arbitré » par les deux  grandes puissances.

Les trois nations alliées vont aligner 34 000 soldats, dont les 8 300 hommes de la 10° DP du général Massu, qui étrenne ses étoiles toutes neuves. Depuis la fin du mois de septembre 1956, le P.C. français est basé sur l’île de Chypre, à  Limassol précisément. Des éléments venus de Kehl, en Allemagne, de Pau, de Bayonne ou de Tarbes, viennent renforcer les unités paras venues d’Algérie.

Le 29 octobre 1956, Israël envahit la bande de Gaza et le Sinaï et atteint rapidement le canal de Suez. Le 31 octobre, la France et l’Angleterre entament plusieurs  vagues de bombardements sur l’Égypte afin de forcer la réouverture du canal.

Pierre Chateau-Jobert — WikipédiaLe soir du 5 novembre, une partie du 2° RPC (4), aux ordres du colonel Pierre Château-Jobert, dit « Conan », appuyée par des commandos du 11° Choc, saute près de la ligne de chemin de fer de Port-Saïd. Nos paras s’emparent de l’aéroport et  permettent l’arrivée massive de renforts aériens.

« Conan » a assuré le succès de l’opération en prenant un risque énorme: faire larguer ses hommes à …150 mètres d’altitude. Il sait qu’il faut 14 à 15 secondes pour que 30 paras « giclent » d’un « Nord 2501 »(5). Ils ont ensuite quelques secondes pour vérifier leur coupole, larguer leur  gaine largable  et  faire une traction avant d’impacter le sol. C’est court mais ça fonctionne (6)!

Au matin du 6 novembre, les 40 et 42° bataillons britanniques peuvent débarquer.

Les Anglais innovent en faisant usage, pour la première fois, d’hélicoptères d’assaut. (Cette technique sera reprise avec succès par les parachutistes français en Algérie).

Passons sur l’effet de surprise et les étapes de ce conflit éclair. Nos paras enfoncent partout les positions égyptiennes. Le 1° REP vient participer à la curée en débarquant par mer, le  6, avec ses « Alligators ». La journée du 7 novembre est consacrée à regrouper les unités. Les britanniques ont donné l’ordre d’un cessez-le-feu pour minuit, personne ne sait encore pourquoi ? 

A Chypre, les paras du 1° RPC, ceux du 3° RPC de Bigeard, des éléments venus de Tarbes ou de Bayonne, attendent avec impatience l’ordre d’embarquer pour l’Égypte. « Quand les Russes ont appris que le régiment Bigeard allait sauter, ils n’ont pas hésité et ont menacé d’intervenir … » dira un ancien du 3°RCP. Le régiment de Château-Jobert, a eu, à lui seul, 11 tués et 41 blessés dans ses rangs, éléments du 11° Choc compris, mais il a infligé une mémorable  raclée aux Égyptiens: 203 tués, trois fois plus de  blessés, 153 prisonniers, 531 armes capturées dont 47 canons, mitrailleuses et mortiers.

Le 19 novembre, il est décidé de ne laisser en Égypte que quelques troupes dont le 2° RPC de « Conan », le 1° REP, et une « centaine » du 11° Choc (7).

Les troupes qui attendent à Chypre et qui rêvaient d’en découdre seront doublement flouées de leur victoire. Le capitaine de Verdelhan, mon père, n’aura fait qu’un aller-retour sans gloire à Chypre. Comme d’autres paras il n’aura pas droit aux lauriers des vainqueurs, mais, comme eux, il vivra mal cette nouvelle humiliation. (Il y a quelques années, je suis allé à Chypre avec mon épouse et l’un de mes fils. A Limassol nous avons pris un cargo qui nous a conduits au Caire, puis à Suez. Un demi-siècle après l’humiliation de Suez, j’ai terminé ce chemin que mon père n’avait pas pu faire).

Dès le 21 novembre, des contingents de l’ONU, imposés par les Soviétiques et les Américains, arrivent sur le sol égyptien. Les paras du 2° RPC et du 1° REP sont relevés par des Indiens et des Colombiens ; ils rembarquent pour l’Algérie à partir du  10 décembre. D’autres éléments, maintenus à Chypre, ne rentreront à Pau et Tarbes qu’en février ou mars 1957.

L’arbitrage entre Soviétiques et Américains aura des conséquences graves : après ce conflit, pourtant gagné militairement par les coalisés du protocole de Sèvres, dont Israël, la communauté juive d’Égypte (environ 75 000 personnes) présente depuis plus de 25 siècles, doit quitter le pays. Nasser  proclame que  « Tous les Juifs sont des sionistes et des ennemis de l’État». Des milliers de Juifs se voient forcés de quitter l’Égypte avec une seule valise, après avoir « fait don » de leurs biens au gouvernement égyptien. 35 000 d’entre eux iront en Israël, 10 000 en France, 15 000 au Brésil, et 10 000 aux États-Unis. Une nouvelle fois, des Juifs se voient condamnés à l’exode.

L’Angleterre – la « perfide Albion » – aligne sa politique sur celle des États-Unis, lâchant, du même coup, son allié français. En France, on met en place des bons de rationnement en essence, qui disparaissent seulement en juillet 1957. L’autre conséquence, beaucoup plus grave, c’est que la France perd la face aux yeux du monde. Que la position du FLN en sort renforcée et que les paras français digèrent mal leur victoire volée et leurs morts pour rien.

En 1987, j’ai rencontré le colonel Château-Jobert, chez un ami commun, près de Saintes. Ce petit homme avait encore, à près de 80 ans, la fougue de sa jeunesse. Sur le fiasco de Suez, il fulminait et en parlait avec colère. Un certain nombre de gens ayant participé à l’« Opération Mousquetaire » feront parler d’eux, plus tard, en choisissant la dissidence: Château-Jobert d’abord, puis Dufour, Denoix de Saint Marc, Faulques, Sergent, Degueldre et bien d’autres.

A Suez, au 1° REP, il y avait aussi « le plus jeune député de France » de l’époque.

Élu sous l’étique de l’UDCA de pierre Poujade (8), ancien sous-lieutenant d’Indochine, il avait « rempilé » comme lieutenant chez les Légionnaires paras. Ce jeune homme bravache et un tantinet « grande gueule » s’appelait Jean-Marie Le Pen. A ma connaissance, sous la 4° République, trois députés, pas un de plus, ont abandonné provisoirement leur mandat  pour aller se battre en Algérie.

Le Pen a eu le courage de mettre « sa peau au bout de ses idées », comme l’écrira plus tard le capitaine Pierre Sergent, et ce comportement force le respect, quoiqu’on pense du personnage et ses choix politiques ultérieurs. On juge un homme à ses actes, pas à ses propos !

L’« Opération Mousquetaire » a valu à Jean-Marie Le Pen le surnom de « croque-mort de la 10°DP ». En effet, il avait insisté auprès de sa hiérarchie pour que les morts égyptiens soient inhumés selon leur croyance, en direction de La Mecque.

En guise de conclusion, je rappelle que Jean-Marie Le Pen s’était engagé en Indochine pour que les Vietnamiens ne tombent pas sous la coupe des communistes du Vietminh; il défendait des asiatiques. Il a « rempilé »  en Algérie pour que les Algériens pro-français ne soient pas massacrés par les tortionnaires du FLN ; il défendait des musulmans.  Et il s’est porté volontaire pour l’opération de Suez, aux côtés de l’Armée israélienne. Et il se trouve encore des gens pour le traiter de raciste ou d’antisémite. Je tenais à rappeler ces quelques « détails » dont la presse ne nous parle jamais.

Éric de Verdelhan

15 novembre 2023

1)- « L’Histoire Mondiale des Parachutistes ». Production Littéraire; 1974.

2)- 52% par la France, 44% par l’Angleterre et…4% par d’autres.

3)- 10° Division Parachutiste, aux ordres du général Massu.  

4)- Régiment de Parachutistes Coloniaux. La 10° DP comprenait, entre autres, les 1°, 2° et 3° RPC  et le légendaire 1° REP.

5)- Plus connu sous l’appellation de « Noratlas ».

6)- En saut d’entraînement, on largue à 400 mètres, et en saut opérationnel à 250 mètres, ce qui est déjà bas !

7)- Pour une raison que je ne saurais expliquer, le 11° Choc parle de « centaine » quand les autres unités parlent de « compagnie »

8)- Union de Défense des Artisans et Commerçants.

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7 Commentaires

  1. Israel génocide GAZA pour installer en plein sur la ville de GAZA le canal BEN GOURION planifié depuis des lustres : c’est de ça que vous feriez mieux de parler, car vous êtes certainement au courant….?

    • Comme beaucoup d’autres puisque l’on supprime de plus en plus de chapitres qui ont fait l’Histoire et la Grandeur de notre Patrie.

  2. Notons que les 10.000 juifs qui ont choisi la France n’en voulait pas tant à notre peuple d’avoir été sous le contrôle de Vichy et pensaient sûrement que les Français n’étaient pas racistes, comme certains individus ne cessent de le prétendre de longue.