Il m’est arrivé, à différentes reprises depuis une quinzaine d’années, d’aborder le problème des dettes d’État, souvent appelées « dettes publiques »
Certains lecteurs m’ont (gentiment) reproché de ne pas être très clair dans certains aspects de ces dettes qui méritaient d’être explicités.
Je pense qu’ils ont parfaitement raison et je vais essayer de me faire pardonner.
Pour le commun des mortels, une dette doit être remboursée. Quelqu’un à la bonté de nous prêter de l’argent qu’il a gagné « à la sueur de son front » et le minimum que nous puissions faire est de lui rendre ce qui lui appartient en le remerciant pour son geste.
Les dettes publiques n’ont pas tout à fait la même nature. Tout d’abord parce que le contrôle de la monnaie d’un pays, surtout si c’est une démocratie, devrait normalement appartenir au peuple puisque c’est avec ses impôts que ces dettes seront remboursées. Dans ce sens, on devrait considérer que ces dettes sont une avance de trésorerie à l’État et qu’elle ne doit pas générer le moindre intérêt. C’est ce qui se passait avec la Banque de France jusqu’en 1973.
Mais le système actuel est bien différent. Ce n’est plus le peuple qui contrôle la monnaie mais la banque centrale du pays. Or, ces banques centrales appartiennent, pour la plupart, à des banques privées. Les propriétaires de ces banques veulent avant tout gagner de l’argent et le plus rapidement possible. Ce qui les intéresse est surtout de percevoir les intérêts produits par les sommes prêtées aux États.
UNE VISION DIFFÉRENTE DE LA DETTE
Cet aspect de la perception des intérêts est fondamental. C’est le processus qui mène au défaut les pays les uns après les autres. Or, lorsqu’un pays fait défaut, il n’a guère d’autre possibilité que de s’adresser au FMI. C’est là le piège tendu par les banquiers internationaux qui, au départ, savaient très bien ce qui allait se passer. Lorsque vous interdisez à un pays de se financer ailleurs que dans leur système, ils vous tiennent car ils décident par eux-mêmes du taux d’intérêt applicable. Et plus la situation financière du pays se tend et plus le taux est élevé, et plus la dette va croître.
Lorsque le FMI rentre dans la danse, le pays qu’il est censé aider va lui remettre quasiment toutes les clés de son économie, ou du moins, des secteurs qui rapportent le plus. Il va alors rentrer dans le cycle infernal de la servitude due à la dette.
Remarquez bien qu’en contre-partie, on tire un trait sur tout ou partie de sa dette antérieure, mais sa situation ne s’améliorera pas pour autant. Voir l’exemple de la Grèce en 2010, mais de nombreux autres pays l’ont précédé et c’est aussi la raison pour laquelle de plus en plus de pays répugnent à faire appel au FMI et sont de plus en plus tentés de rejoindre les BRICS+ aujourd’hui.
POURQUOI RENDRE LA DETTE QUASI-OBLIGATOIRE ?
Vous remarquerez qu’on ne parle exclusivement que des mécanismes qui créent la dette, à l’exclusion des causes profondes de ces dettes. Les objectifs sont en réalité différents d’un pays à l’autre. Le champion incontesté de la dette est les Etats-Unis, avec une dette d’environ 34 000 milliards de dollars (plus de 10 fois la dette française) Rapportée à leur PIB, qui est d’environ 26000 milliards de dollars, cela représente un ratio de 130 %. Vous voyez qu’en matière de dette, la France est « petit joueur ».
On peut avoir également une autre vision des choses en considérant que les budgets d’un Etat doivent être en équilibre et interdire tout déficit budgétaire. Les Etats-Unis n’appliqueront jamais cette règle en raison de la double nature du dollar qui est à la fois leur monnaie domestique et la monnaie internationale.
Pour que les États-Unis puissent exercer leur domination, il est essentiel d’imposer le dollar comme monnaie dominante, voire exclusive, pour le commerce international. La seule façon de créer les dollars est par la dette résultant de l’émission de bons du Trésor américain vers la FED, qui approvisionne des comptes ou imprime des dollars à concurrence des sommes portées par ces bons. Comme ces dollars sont nécessaires au commerce international, ils partiront à l’étranger pour régler les achats des importations américaines et ne sont pas censés y revenir.
Mais les pays étrangers ont besoin de se prémunir des fluctuations du dollar par rapport à leur propre monnaie. Cela s’appelle « la couverture du risque de change ». Ils vont alors acheter ces bons américains à un prix que seule la FED peut fixer. Ces bons, qui représentent la dette américaine, vont s’exporter hors du territoire américain, ce qui fait souvent dire que les dettes américaines sont payées par les autres pays et qu’ainsi les Américains n’en supportent pas les effets, si ce n’est le paiement des intérêts par l’impôt fédéral.
Pour les autres pays, les résultats sont plus contrastés. Ils doivent subir les effets de leur dette lorsqu’elle augmente démesurément. Le premier effet est une perte de confiance dans leur capacité à rembourser, souvent exprimée par une note attribuée par les « agences de notation », censée quantifier le risque pris par les créanciers à leur prêter de l’argent. Si cette note diminue, les taux d’intérêts consentis augmentent. Moins on vous fait confiance et plus vous devez verser d’intérêts.
C’est comme ça !
D’autant plus que ces sommes prêtées viennent la plupart du temps de nulle part car créées à partir de rien. Mais peu importe, il faut payer. Du moins tant que votre capacité d’emprunt vous permet de le faire. Or, celle-ci ne dépend que du bon vouloir de ceux qui prêtent, et cela ne leur coûte pas grand-chose que du papier et de l’encre, voire une simple ligne d’instruction numérisée. De plus, ils peuvent interpréter à leur guise les notes données par les agences.
En termes clairs, les dettes servent essentiellement à réduire à la servitude les pays, d’une façon beaucoup plus sûre et moins chère que ne le fût jadis la colonisation par voie militaire.
Voici comment un système financier, reposant uniquement sur la confiance, a pu être mis en place pour assurer sa domination sur l’ensemble de la planète.
« Le dollar est notre monnaie et c’est votre problème »,
disait John Connaly lorsqu’il était le secrétaire du Trésor américain.
Jean Goychman
29/03/2024
Vive le contre pouvoir qui s organise avec certains pays pour que la vie continue…et merci pour les explications détaillées
Je viens de lire votre article et je vois que je n’avais pas tout à fait tort.
« les sommes prétées viennent la plupart du temps de nulle part car crées à partir de rien »
« la dette servant essentiellement à reduire les pays à la servitude de façon sure et durable »
Merci pour ces explications
Je vais lire votre article apres avoir écrit l’impression que je ressentais jeudi apres midi : je disais à ma femme: mais ce n’est pas nous qui avons cette dette /C’est simplement l’europe qui nous doit du fric et dont on ne sera jamais remboursé.
Maintenant je vais lire votre article pour voir.