« Quelques idéalistes, ceux qui n’ont pas le sens tragique de l’Histoire et qui croient modifier la réalité en la niant, s’étaient réjouis des révolutions arabes. Ils saluaient la promesse de l’aube et l’émergence du printemps. Mais déjà les événements leur donnent tort : les islamistes ont pris le pouvoir en Tunisie, la charia est désormais la loi libyenne, les Frères Musulmans attendent embusqués, en Égypte. L’aube est une nuit, le printemps une ère glaciaire… »
(Marc Bonnant (1))
J’ai aimé les pays du Maghreb. Je ne les aime plus pour un tas de raisons que je n’ai pas envie de développer ici. Disons, pour résumer, que je ne supporte plus l’agressivité des Algériens, Tunisiens et Marocains à l’égard de la France, pays auquel ils doivent TOUT ce qui tient encore debout chez eux, pas plus que je ne supporte la repentance et l’auto-flagellation de nos dirigeants devant nos ex-colonisés qui ont, nous dit-on, « une revanche à prendre » contre l’ancien colonisateur honni.
On essaie de nous convaincre que ces peuples ont toutes les bonnes raisons de nous détester – pourquoi pas après tout ? – mais est-ce par masochisme qu’ils viennent massivement dans un pays raciste et islamophobe ? En réalité, ils viennent y chercher le gite, le couvert, les allocations et aides diverses et variées que nous leur allouons généreusement et sans compter. Sans parler de ceux qui se livrent aux vols, aux viols, aux agressions violentes et aux trafics de substances illicites.
Hier, 6 octobre, la Tunisie (ré) élisait son président, Kaïs Saïed (قيس سعيد), un dirigeant issu du « printemps arabe » de 2011. Et il a été réélu avec…89% des suffrages (et 27% de votants).
Pourquoi vous parler aujourd’hui de la Tunisie ? Pour trois raisons.
La première c’est que je connais ce pays où je suis allé à plusieurs reprises, du temps d’Habib Bourguiba ( الحبيب بورقيبة ) puis de Zine el-Abidine Ben Ali ( زين العابدين بن عل ). Au début des années 80, j’ai fait un tour complet du pays, mais je ne suis jamais allé à Djerba, qui est une enclave teutonne où des touristes, majoritairement allemands, viennent pour « bronzer idiots ». En revanche, je connais bien le sud tunisien : Matmata, Douze, Tozeur et Tataouine, cette oasis qui a donné l’expression « aller à Tataouine ». Son souk a été construit par les Français en 1892. Le bâtiment qui a fait la célébrité de Tataouine est le bagne de l’Armée française qu’elle abritait jusqu’en 1938. Il accueillait des mauvais garçons des BILA (2), les fameux « Bat’ d’Af’ », des condamnés de droit commun, des voyous, des proxénètes. Leurs conditions de détention étaient rudes. De nos jours, certains ignares confondent les soldats des « Bat’d’Af’ » – les « Joyeux » – avec ceux de la Légion, ce qui est une insulte à cette « Phalange magnifique » qu’est notre belle Légion Étrangère.
La seconde raison, c’est que la Tunisie est le premier pays arabe à avoir fait, en décembre 2010, une révolution pour chasser l’autocrate Ben Ali. C’était le tout début des « printemps arabes » dont je vous rappelle la chronologie. 17 décembre 2010 : début des émeutes en Tunisie ; 3 janvier 2011 : départ du mouvement de protestations en Algérie ; 25 janvier 2011 : émeutes en Jordanie ; 27 janvier 2011 : début de la révolution égyptienne ; 14 février 2011 : début de la révolte yéménite ; 15 février 2011 : soulèvement à Bahreïn ; 20 février 2011 : soulèvement contre Mouammar Kadhafi en Libye ;15 mars 2011 : mouvement de protestations au Maroc ; 19 mars 2011, enfin : début du soulèvement contre Bachar el-Assad en Syrie. La contestation, plus ou moins alimentée par les USA, la Russie, la Chine et…l’Europe (dont la France) s’est répandue comme une trainée de poudre…
La troisième raison, c’est que je veux profiter de cette élection tunisienne pour dénoncer l’angélisme, la naïveté, la bêtise ou l’aveuglement des démocraties molles – dont la nôtre – qui ont vu dans les « printemps arabes » un affaiblissement de l’Islam radical et une ouverture de ces pays aux droits de l’homme et à la démocratie (ce qui traduit, de la part des dirigeants occidentaux, une méconnaissance totale de l’Afrique et/ou de l’Islam).
En Tunisie, la contestation n’est pas née d’un désir de chasser Ben Ali, qui s’enrichissait sur le dos de son peuple (comme, d’ailleurs, Bourguiba avant lui). Les dictateurs qui se goinfrent pendant que leur peuple crève de faim, c’est assez courant en Afrique (et ailleurs dans le monde).
Mais c’est le marasme économique du pays qui est à l’origine de l’insurrection tunisienne.
Quand les Séfarades du Sentier ont délaissé la confection et le textile tunisiens pour faire fabriquer leurs fringues bon marché en Chine, au Bengladesh, au Vietnam ou en Inde, un pan entier de l’économie s’est effondré. A la même période, les attentats islamistes – dont celui effectué par un kamikaze d’Al-Qaïda, le 11 avril 2002 à Djerba qui a tué 19 personnes – ont fait fuir les touristes.
Habitué jusque-là à des taux de croissance moyens d’environ 4 à 5 %, le PIB du pays a chuté. La bonne tenue des secteurs de la pêche et de l’agriculture (+ 9,2 %) qui assuraient 12 % du PIB et 16 % des emplois n’a pas suffi à pallier la baisse de 7 % de la production industrielle (textile, mécanique, agroalimentaire, etc.) et surtout la chute de 23 % des recettes touristiques, secteur qui contribuait à hauteur de 6,5 % à la richesse du pays et employait 11,5 % de la population. Le taux de chômage a grimpé de 13 % à près de 19 % (42 % chez les jeunes) tandis que le budget tunisien passait dans le même temps d’un excédent de 1,1 % à un déficit de 3,7 % du PIB. En 2010, les revenus tirés du tourisme s’élevaient à 2,1 milliards de dinars avec 4,5 millions de visiteurs.
Même si je simplifie à l’extrême, c’est ça la vraie raison de la révolution tunisienne.
Juste après le début des émeutes à Sfax, je rentrais de je ne sais où ? Dans l’avion qui me ramenait au bercail, une voisine péroreuse « dont le père était diplomate » m’a longuement expliqué que ce genre de chose ne pouvait « absolument pas » arriver en Lybie, en Egypte et en Syrie car ces pays, bien que tenus d’une main de fer par des présidents pour le moins autoritaires, « s’ouvraient à la démocratie occidentale ». J’ai pris (j’ai subi) une leçon de politique internationale ponctuée par des affirmations péremptoires qui ne laissaient aucune place à la contradiction ou à la contestation.
N’étant pas un expert de l’Afrique – du Nord ou Noire – je vais chercher mes connaissances dans mes voyages et mes lectures. Entre autres les livres et publications du professeur Bernard Lugan qui est l’un de nos (rares) spécialistes du continent africain. Et j’ai tendance à penser qu’une partie des drames subis par les pays africains provient de notre décolonisation à la hussarde, de ce néo-colonialisme d’affaires qu’on a appelé « la Francafrique » (3) et d’une méconnaissance totale de nos dirigeants sur les mentalités africaines ou musulmanes. Ceci ne concerne que nos anciennes colonies ou protectorats bien sûr. Mais que reste-t-il, au final, de tous ces « printemps arabes » qui ont fait fantasmer d’Occident ? Les choses vont-elles mieux en Tunisie, en Algérie, au Yémen, en Lybie et en Syrie (4) ? Ces pays ont-ils découverts les droits de l’homme et les « valeurs républicaines » ?
Quand Kaïs Saïed a été élu pour la première fois, en 2019, nos ayatollahs de la bienpensance jubilaient. Candidat indépendant, il bénéficiait d’une image de probité. Il était élu avec 72,7 % des suffrages, son élection était donc incontestable. Misant sur sa voix timbrée et son allure d’ascète, il présentait un programme anti-corruption. Il promettait aussi de ne pas résider au palais présidentiel de Carthage. C’était donc un homme simple, honnête et intègre, comme les aiment les dirigeants européens qui feraient mieux de balayer devant leur porte. Et puis, n’avait-il pas déclaré, au sujet de la réforme de la Constitution, en 2013 :
« ne pas mentionner la Charia permettra d’éviter les effets négatifs/rétrogrades de celle-ci » ?
La Tunisie allait adopter la laïcité, tout le monde en rêvait !
En 2024, les choses ont bien changé ; Kaïs Saïed a tombé le masque.
« Un à un, le président Kaïs Saïed a débranché tous les contre-pouvoirs du pays » analyse l’opposant Hatem Nafti.
« S’attaquer à la justice administrative était la dernière étape de son projet politique…Quand on le voit changer la loi électorale de façon aussi décomplexée, en pleine campagne, c’est inédit », souligne-t-il.
Mais il faut comprendre que ça fait partie d’une dérive autoritaire plus large, qui touche autant les partis politiques que les simples citoyens, en passant par les médias.
La France des Bobos et des Bisounours a déchanté quand le président Kaïs Saïed a durci son discours contre les migrants subsahariens, dans un contexte de flambée xénophobe en Tunisie.
Aujourd’hui, gare à qui ose une critique sur la main de fer du président. En septembre, le numéro 3140 du magazine « Jeune Afrique » titré sur « L’hyper-président Kaïs Saïed » a été interdit à la vente en Tunisie. Son directeur a déploré un « triste retour aux années Ben Ali ».
Hier, la plupart des électeurs tunisiens étaient partagés entre le boycott de l’élection ou le fait d’aller voter pour affaiblir le score de Kaïs Saïed. Triste alternative !
Les observateurs tombent des nues et ne cachent pas leur désillusion. Il reste maintenant, au lendemain de la réélection de Kaïs Saïed, une question, c’est de savoir ce qu’il adviendra demain du peuple tunisien, avec, en toile de fond, une austérité qui va croissante, un marasme économique et des opposants de plus en plus muselés ?
Les « printemps arabes », si prometteurs, ont viré en hivers tristes, mais soyez sans crainte : si les Tunisiens sont malheureux chez eux, ils viendront un peu plus massivement chez nous.
Eric de Verdelhan
09/10/2024
1) Dans le journal suisse « Le Matin » du 6 novembre 2011.
2) BILA = Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique.
3) Que j’ai tendance à orthographier « France à fric ».
4) Je n’ai pas cité l’Égypte car il est difficile de savoir si le régime instauré par le général Abdel Fattah al-Sissi, qui a chassé Mohamed Morsi et les Frères Musulmans du pouvoir, parviendra à redresser le pays. Une chose est certaine, Abdel Fattah al-Sissi n’est pas un tendre !
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