Martinique : Problème de vie chère, ou « Opération Lavichère » ? (2ème partie)
(Suite de l’article « Opération Lavichère »
En essayant de nous renseigner sur ce qui est en train de se passer à la Martinique, dans une poussée d’afrocentrisme dont les chantres rivalisent de belles intentions, il faut aussi essayer d’en comprendre les différentes ramifications.
UNE ANECDOTE EXPLICITE…
Procédons par anecdotes, en commençant par celle-ci : la semaine dernière, à la Martinique, une automobiliste d’une soixantaine d’années – béké – ramasse un jeune autostoppeur qui lui explique sans la moindre gêne qu’il doit se rendre sur un rond-point pour y tenir un barrage avec d’autres militants. L’automobiliste, qui n’a pas sa langue, dans sa poche, lui passe un savon et lui demande s’il n’a pas honte. Son passager lui répond alors le plus naturellement du monde : « Si je n’y vais pas, je ne serai pas payé ».
A-t-on la moindre raison d’être surpris ?
Officiellement – médiatiquement, en tout cas – ce sont les békés qui, par leur turpitude en général et leurs multiples turpitudes en particulier, ont mis le feu aux poudres. La Martinique se serait enflammée spontanément, dans un grand élan de colère populaire, pour se rebeller contre « la vie chère » dont les békés sont les coupables.
En 2009 déjà, un vent de protestation – soigneusement préparé, il faut le souligner, et sponsorisé par quelques figures de proue de la puissance publique – avait vu le jour contre la même cible.
LE CAS MICHEL-ÉDOUARD LECLERC
2009 avait été pour Michel-Édouard Leclerc – subitement promu entrepreneur-justicier – l’occasion, de passer à l’abordage en franchisant un hypermarché en difficulté appartenant à un groupe non-béké (jusque-là sous enseigne Carrefour, au même titre et depuis plus longtemps qu’un autre groupe – béké celui-là – exploitant alors deux hypermarchés sous cette même enseigne).
Bien qu’homme de paix et grand humaniste, Michel-Édouard Leclerc, venu apporter l’apaisement aux populations en colère, s’affranchit en ces circonstances des règles élémentaires de la décence. Se référant à l’esclavage, sujet sensible depuis que Césaire avait posé ce thème comme support de son combat dialectique et politique, ce n’est pas sur la pointe des pieds que Michel-Édouard Leclerc amorça une communication qu’il jugeait appropriée. Il venait ouvertement « libérer les Martiniquais », combattre à leurs côtés la profitation (de l’engeance que nous savons), et se faisait filmer mettant la main à la pâte au déchargement de ses containers providentiels.
Pour couronner l’ouvrage, une campagne d’affichage 4X3 venait illustrer sa belle croisade en montrant sur fond rouge deux poignets brandis triomphalement après rupture de la chaîne qui les entravait.
Tout en délicatesse.
Six mois plus tard, Leclerc, qui n’avait pas fait mieux en matière de prix que les autres et moins bien en matière de gestion, remballait son arrogance et son pavillon. L’hypermarché dont il promettait d’être le sauveur sous l’enseigne Leclerc devenait – entre les mains d’un autre groupe (puissant et non béké) – un Hyper-U !
Ironie de l’histoire, le groupe repreneur, fort de 3 hypermarchés dans ses activités de distribution, est passé en 2020… sous l’enseigne Leclerc !
DE LA DIFFICULTÉ D’ENTREPRENDRE AUX ANTILLES…
La première conclusion à tirer, c’est qu’il est beaucoup plus difficile qu’on ne le croit d’entreprendre aux Antilles.
Michel-Édouard Leclerc qui n’est certainement ni tendre, ni sentimental et pas non plus ce qu’on appelle un perdreau de l’année, l’ignorait alors. Aujourd’hui, il ne doit de voir flotter ses couleurs à la Martinique qu’à un opérateur local expérimenté. Le groupe franchisé localement sous son enseigne n’est pas béké, pas très ancien non plus, et emploie près de 2 000 personnes dans diverses activités.
Depuis l’apparition du premier Prisunic à la Martinique en 1957, bon nombre d’enseignes de la grande distribution y ont aujourd’hui disparu. Elles ont pu apprendre sur place n’y avait pas de situation acquise à la Martinique où la concurrence est féroce et le combat – y compris sur les prix – quotidien. La réalité est très différente de ce que répandent des personnes mal informées ou volontairement désinformantes qui, chaque fois, font rebondir leur balle (et dirigent leurs balles) vers… les békés. Avec assurance et témérité, cela va de soi.
En ce moment, un nom est livré en pâture d’une manière ignoble par des slogans et dans la presse. La personne visée a de surcroît beaucoup fait dans le domaine du mécénat et créé une fondation active et utile dans tous les départements et territoires d’outre-mer. Eh bien l’on observera que pas un artiste, pas un intellectuel, pas un de ses obligés n’est venu prendre sa défense dans la tempête médiatique dont il est la cible.
Quelle humiliation, il est vrai, pour tous les revendicateurs locaux d’être si redevables au premier de la classe qui consacre une partie de ses activités au rayonnement de ceux qui se targuent de représenter la culture locale, une culture émancipée bien entendu, et la Martinique en général !
LE CAS HO-HIO-HEN
Allez ! Encore une anecdote ! Un jour (pas si lointain, notre histoire débute au XXe siècle) un Chinois du nom de Ho-Hio-Hen arriva à la Martinique. Il n’avait d’autre bagage que son ardeur au travail et le besoin de construire une vie digne et si possible fructueuse. Il bâtit en quelques décennies un empire grâce à son travail et à son sens du commerce. Eh oui ! À la Martinique, les fortunes qui comptent sont récentes !
La leçon à tirer de ce dernier récit est qu’il est beaucoup plus facile d’entreprendre que l’on croit aux Antilles françaises. À condition de travailler, de travailler, de travailler et de travailler encore. Et d’être économiquement utile.
Parler des « familles békés » fait certes partie du folklore, mais il n’y a – à la Martinique – de réussites que personnelles. Non seulement il ne serait pas très orthodoxe (pas encore) d’interdire à un béké d’être entreprenant, travailleur, et de réussir ou d’échouer, mais à moins d’être un enfant trouvé, tout le monde a bel et bien une famille.
Pour revenir à notre récit, les descendants martiniquais du premier Ho-Hio-Hen eurent un temps, sous les enseignes Casino et Géant, une activité dans la grande distribution et bâtirent – à l’échelle de la Martinique – deux importants centres commerciaux qui firent naufrage sans toutefois menacer la force de leur position dans le reste de leurs activités.
L’un de ces centres commerciaux fut repris et sauvé par le groupe béké tellement montré du doigt et inondé de crachats jusque dans un article de Marianne, magazine pas très regardant il faut croire, et qui a le tort déontologique de rentrer dans un dossier par la porte de l’ignorance et des ragots. Que d’emplois sauvés ! Et que de clients satisfaits de pouvoir se ravitailler à proximité de chez eux dans un centre commercial remis en état et performant !
APRÈS L’OPÉRATION LAVICHÈRE…
Après le passage de l’opération Lavichère, confort et facilité de vie sont largement compromis pour des milliers de consommateurs : raréfaction de l’offre et multiplication des embouteillages sont déjà la conséquence des nombreux incendies de grandes surfaces de l’opération Lavichère.
L’opprobre bout, les accusations fusent (accusations dont l’excès disqualifie les fondements), mais n’oublions jamais ce que dit La Fontaine devant pareil concours de mauvaise foi…
On n’osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances
Les moins pardonnables offenses
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
Aux dires de chacun étaient de simples saints.
En matière de vie chère, accuser les békés est tout simplement hors-sujet. Et pour aller plus loin dans l’examen et la conscience de ce qui est en train de se passer à la Martinique en ce moment, la vie chère n’est pas vraiment le sujet, mais le prétexte.
Le prétexte de quoi ? Devinez…
A QUI LE CRIME PROFITE ?
« Qui fait son beurre de l’opération Lavichère ? », pour paraphraser Marianne…
Qui profite des incendies et autres exactions en promettant de « pourrir la vie des békés », ce qui à force de l’entendre répéter s’impose comme l’objectif de l’opération Lavichère ?
Que sèment ces désordres, sinon la promesse de plus de sacrifices encore pour les petites gens ?
Haïti est aujourd’hui entre les mains de gangs et de politiciens corrompus – les autres sont impuissants. À la Martinique, quelques rares voix courageuses s’élèvent, dont celles de deux femmes engagées en politique et copieusement insultées par les opérateurs de l’opération Lavichère. Qui peut gober pareille mise en scène ?
Pour parler d’autre chose tout en parlant de la même chose, l’aéroport de la Martinique ne cesse de s’agrandir.
Cela signifie, soit que les Martiniquais voyagent de plus en plus (et donc qu’ils en ont la possibilité), soit que de non-Martiniquais viennent de plus en plus nombreux à la Martinique malgré la chèrté de la vie dont la complainte s’inscrit jusque dans l’inventaire des spécificités locales et alors qu’il y a tant d’autres destinations ensoleillées accessibles, attractives et meilleur marché que la Martinique.
Cela signifie les deux, en réalité.
La Martinique est attachante, et les Martiniquais sont le contraire de ce que sont ceux qui essaient de faire croire qu’ils représentent « le peuple martiniquais ». Espérons qu’ils n’y arriveront pas. Car au train où les agitateurs s’efforcent de mener les choses, la prochaine spécificité martiniquaise aura un nom : le gâchis.
Simon Zémer
9 novembre 2024
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