BOLLARDIÈRE : DU CATHOLICISME PROGRESSISTE À L’ÉCOLO-GAUCHISME (Éric de Verdelhan)

« …La torture, ce dialogue dans l’horreur, n’est que l’envers affreux de la communication fraternelle…Céder à la violence et à la torture, c’est, par impuissance à croire en l’homme, renoncer à construire un monde plus humain. »

(Général Jacques Pâris de Bollardière).

Comme je m’y attendais, mon article du 9 décembre, sur la tolérance des cathos de gauche, m’a valu quelques remarques. Je m’y attendais, mais je ne déteste pas la provocation : elle libère la parole d’éventuels contradicteurs et peut parfois déboucher sur des échanges intéressants. Je suis un défenseur acharné de la liberté d’expression. Tous les points-de-vue m’intéressent, surtout s’ils sont contraires à mes idées et à condition qu’ils ne se limitent pas à l’insulte, l’injure ou l’invective.

À la suite de mon article, un vieux camarade m’a reproché de faire – à travers le catholicisme postconciliaire – une critique sévère et injustifiée de « la bonté et la charité qui sont pourtant des qualités et des vertus profondément chrétiennes ».  Il a parfaitement raison mais il m’a mal compris.

Non, je ne critique pas la bonté et la charité, mais la connerie, incommensurable, des naïfs ou des imbéciles qui ne veulent pas admettre que, contrairement aux idées farfelues de Jean-Jacques Rousseau, l’homme ne naît pas bon. Il naît avec des qualités mais aussi avec des défauts et des vices.

Pour qu’il garde une certaine rectitude, pour qu’il se maintienne dans le droit chemin, il lui faut, soit « la peur du gendarme », soit des valeurs morales et/ou religieuses solides, soit les deux. La société moderne part en vrille car elle a remplacé la morale par un hédonisme narcissique et égocentrique, les contraintes religieuses par l’adoration du fric-roi, et parce que les juges – roses ou rouges – ne sanctionnent plus que les gens catalogués à droite. Les délinquants, les vrais, ont droit à quelques « rappels à la loi », parfois à des amendes qu’ils ne paieront jamais (car ils se déclarent insolvables) et au pire, à de la prison avec sursis dont ils se moquent comme d’une guigne ; certains en font même un titre de gloire. « La peur du gendarme » ne concerne plus que…les gendarmes et les policiers qui n’osent plus se servir de leur arme, même quand il s’agit de protéger leur propre vie. Chez nous, contrairement à des pays comme les USA, un policier n’a pas droit à la légitime défense. S’il se sert de son arme, il sera lourdement condamné. Mais s’il se fait tuer, Macron (ou son ministre de l’intérieur) lui décernera un grade supplémentaire et la Légion d’Honneur à titre posthume. Sa veuve et sa famille auront, eux, leurs yeux pour pleurer. Ce pays s’assure la paix sociale dans les banlieues de non-droit au prix de la vie de ses flics. Les racailles l’ont bien compris ; les dealers imposent leur  loi à coups de Kalachnikov ; la peur a changé de camp !  Alors que « force doit rester à la loi », notre pays, lâche, peureux, veule, tolérant envers les voyous, surtout s’ils sont allogènes, va à sa perte mais il ne veut pas le voir. On préfère mettre la poussière sous le tapis. On se console en battant notre coulpe, alors que cette attitude, confortable en apparence, ne solutionne aucun des problèmes qui rongent notre société. Chez les cathos de gauche, c’est une seconde nature qui contamine même des gens intelligents et cultivés. Le mal frappe tous les milieux mais j’ai tendance à penser que le vulgum pecus a encore du bon sens et que, bien souvent, il n’a pas les moyens de s’apitoyer sur la misère des autres car il a du mal à boucler ses fins de mois dans un pays plus généreux avec les migrants qu’avec les Français de souche. En revanche, les intellectuels, la bourgeoisie et les milieux aisés sont toujours prêts à l’auto-flagellation et ils vont souvent encore plus loin, en dénonçant des actes malveillants imputables à leurs ancêtres (les croisades, l’inquisition, la colonisation…) voire à leurs condisciples, leurs proches ou leurs frères d’armes. Faire repentance sur le dos des autres, c’est facile, surtout quand les accusés ne sont plus là pour se défendre (et que, la plupart  du temps, il ne se trouve personne pour défendre leur mémoire injustement salie).

Aujourd’hui, pour illustrer mon propos, je vous parlerai d’un « grand humaniste » qui s’est ému jadis de la torture en Algérie. Non pas les atrocités commises par le FLN, puisqu’on nous dit que les Fellaghas étaient des résistants qui se battaient pour l’indépendance de leur pays, mais la torture pratiquée par l’Armée française en général et les parachutistes en particulier. Cette torture a été dénoncée par un général parachutiste, Jacques Pâris de Bollardière, le supérieur puis l’ami de Jean-Jacques Servan-Schreiber, co-fondateur et premier président de la FNACA. Le général de Bollardière fut un beau soldat avant de virer à l’écolo-gauchisme.

Peu de gens connaissent son histoire, même dans le petit monde parachutiste qui idéalise et honore ses héros, mais qui déteste les traîtres et ceux qui dénigrent leurs frères d’armes.

Le général Pâris de Bollardière  est né un 16 décembre (1907), c’est donc le jour anniversaire de sa naissance que je rends hommage au soldat et que je raconte la dérive écolo-gauchiste de sa fin de vie. Une dérive qui découle de la tolérance et de la repentance des cathos de gauche.  

Bollardière est né le 16 décembre 1907 à Châteaubriant (Loire-Inférieure). Il est le fils d’un officier de la Coloniale. Il fait ses études à Redon, avant d’intégrer le Prytanée militaire de La Flèche. En 1927, il entre à Saint-Cyr. Il s’y montre peu doué et indiscipliné. Il doit redoubler. Il en sort trois ans après avec le grade de sergent-chef (1). Il est nommé lieutenant en 1932. Affecté en 1935 dans la Légion Étrangère, il est nommé au 1er  Régiment Étranger d’Infanterie à Saïda, puis rejoint Marrakech l’année suivante au sein du 4ème REI.  Sa légende commence, et elle commence bien !

Affecté à la 13ème DBLE(2) en février 1940, il participe à la campagne de Norvège. Débarqué à Brest le 13 juin, il assiste à la débâcle et décide de rejoindre Londres. Embarqué sur un chalutier à Paimpol, il rallie les Forces Françaises Libres.  Avec la 13ème DBLE, il participe aux campagnes du Gabon et d’Érythrée. Son rôle dans la prise de Massaoua lui vaut d’être décoré de la Croix de la Libération. Puis avec la 1ère Division Légère Française Libre, il part en Syrie. Promu chef de bataillon en septembre 1941, il commande un bataillon à la bataille d’El Alamein où il est blessé. Mais sa décision de se replier durant l’opération d’El Himeimat est vivement critiquée par sa hiérarchie qui décide de ne pas lui rendre son commandement à sa sortie d’hôpital. Hospitalisé durant huit mois, il retrouve son unité le 15 juin 1943 à Sousse, en Tunisie.

En octobre 1943, il rejoint le BCRA(3) et devient parachutiste. Parachuté à Mourmelon le 12 avril 1944, il commande une  mission appelée « Citronelle », qui doit organiser le maquis des Manises dans les Ardennes. « Citronelle » aura un goût amer ! Mal armés, mal organisés, mal préparés, 106 maquisards, isolés dans les bois, seront massacrés. Seuls 50 hommes – dont Jacques de Bollardière –  parviennent à s’échapper. Du 20 juillet au 6 septembre, ses hommes infligent des pertes sévères aux Allemands. À son retour, le 20 septembre, il prend le commandement du 3ème  RCP (4). Il saute sur la Hollande le 7 avril 1945, lors de l’opération « Amherst ».

À la fin de la guerre, Jacques de Bollardière est l’un des officiers les plus décorés de l’Armée française. Il est Grand Officier de la Légion d’Honneur, Compagnon de la Libération, Croix de guerre 1939-1945 (cinq citations), Médaille de la Résistance Française, « Distinguished Service Order » (Royaume-Uni), Officier de l’Ordre de la Couronne (Belgique), Croix de Guerre belge, Croix du Souvenir de guerre (Pays-Bas) et, dans cette kyrielle de décorations, j’en oublie sans doute.

Nommé lieutenant-colonel, il prend le commandement des 2ème et 3ème RCP fondus en un seul régiment en février 1946. Débarqué à Saïgon avec le Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient un mois après. Il rentre en France en 1948, puis il repart en Indochine où il commande les troupes aéroportées de 1950 à 1953. C’est à cette époque que ce chrétien convaincu commence à afficher sa répugnance envers cette guerre. Ceci peut se comprendre car ce conflit fut un lamentable gâchis dont la « phase terminale » – Diên-Biên-Phu – est gravée dans nos mémoires.

Affecté (en 1954 ?) à l’École de guerre, il y enseigne la tactique des troupes aéroportées. Puis il part en Algérie en juillet 1956.  En décembre, il est nommé général de brigade : il est le plus jeune général de l’Armée française. Il a accepté les étoiles mais il ne cache pas son dégoût pour ce conflit. Il a sous ses ordres le lieutenant de réserve Jean-Jacques Servan-Schreiber qu’il autorise à diffuser son venin partout en Algérie et à entretenir des contacts avec des journalistes, de gauche de préférence.

 Jacques de Bollardière s’est beaucoup battu, et bien battu. Il n’a plus envie de se battre. Il découvre subitement que la guerre va à l’encontre de ses convictions de chrétien. Mais, au lieu de quitter l’Armée, il préfère s’épancher et faire part de ses états d’âme en public.

En raison de la dégradation de la situation dans le secteur dont il a la charge (186 assassinats, 56 fermes abandonnées durant l’année 1956), le général Massu diligente une enquête qui démontre l’inefficacité de la répression et la mauvaise tenue des troupes. Bollardière, qui ne supporte pas Massu, demande aussitôt à être relevé de son commandement en invoquant le manque de moyens, en hommes et en matériel, mis à sa disposition par ce dernier.

À peine rentré en France, il s’exprime publiquement sur la torture pratiquée, selon lui, par les parachutistes, à l’occasion de la sortie du livre de Servan-Schreiber « Lieutenant en Algérie »(5). Vis-à-vis des ses frères d’armes, c’est carrément infect. Sa prise de position dans « l’Express », le journal de Servan-Schreiber, lui vaut soixante jours d’arrêt de forteresse, le 15 avril 1957. Mais « la grande muette » est bonne fille car, malgré son soutien inconditionnel à tous ceux qui accablent l’Armée française en Algérie, on lui confie un placard doré au lieu de le mettre en retraite d’office.  

Finalement, il démissionne à l’occasion du putsch des généraux d’avril 1961 et déclare :

« Le putsch militaire d’Alger me détermine à quitter une Armée qui se dresse contre le pays. Il ne pouvait être question pour moi de devenir le complice d’une aventure totalitaire. »

Pendant deux ans, il va travailler dans une entreprise de construction navale à Lorient. Puis, comme beaucoup de catholiques progressistes, il se radicalise. Sa rencontre avec Jean-Marie Muller, en 1970, accentue son inclination gauchiste et pacifiste. Il devient, avec sa femme Simone, un membre actif du « Mouvement pour une alternative non-violente ». Il participe, avec les écolos-gauchistes, au mouvement de défense du Larzac menacé par l’extension du camp militaire. Le 17 juillet 1973, il est arrêté au large de Moruroa alors qu’il manifeste contre les essais nucléaires (et contre la dissuasion nucléaire). La marine arraisonne son voilier à l’intérieur du périmètre de sécurité délimité en vue d’un essai nucléaire. Rayé des cadres par sanction disciplinaire, il écrit au président Pompidou :

« Vivement désireux de témoigner clairement devant l’opinion publique de mon pays de mon profond désaccord, j’ai décidé de vous demander de me faire rayer de l’Ordre de la Légion d’Honneur où j’ai été élevé à la dignité de Grand Officier».

Au cours d’une longue interview accordée à « La lettre des objecteurs » il affirme :

« Je suis un objecteur de conscience. »

Il sera de toutes les luttes écolos-gauchistes de cette époque. Il sera également président de l’association « Logement et promotion sociale » de 1968 à 1978, membre d’associations régionalistes bretonnes et théoricien de la défense civile non-violente. Il déclare que ses convictions sont indissociables de sa foi chrétienne.

En 1982, lors de la réhabilitation des « soldats perdus » de l’Algérie française, quelques  officiers, connaissant le passé de Bollardière, proposent sa réintégration dans la « 2ème section » (6). Ce dernier refuse qu’on associe son cas avec celui d’officiers « terroristes ».  L’un d’eux dira à cette occasion : « Bollo – c’est son surnom – a sérieusement pété les plombs ». Que dire d’autre ? Rien !

Le général Jacques Pâris de Bollardière est décédé le 22 février 1986 à Guidel, il est inhumé à Vannes dans le Morbihan. Il aura été un grand soldat… qui a mal fini. Alors, paix à son âme !

Eric de Verdelhan.

16/12/2024

1) C’est une sanction : les « Cyrards » sortaient normalement sous-lieutenants (et accomplissaient leur cursus en deux ans).

2) DBLE. Demi Brigade de Légion Etrangère qui s’illustrera à Narvik.

3) BCRA : Bureau Central de Renseignements et d’Action. C’était le service de renseignement et d’actions clandestines de la France Libre, créé en juillet 1940.

4) RCP : Régiment de Chasseurs Parachutistes. 

5) « Lieutenant en Algérie », de Jean-Jacques Servan-Schreiber ; Julliard ;  1957.

6) Les généraux ne prennent pas leur retraite, ils sont versés d’office dans la « 2ème section » qui est en quelque sorte une réserve…fort peu utilisée.

 


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