ESPRIT EUROPÉEN ES-TU LÀ ?
(Jean Goychman)

Emmanuel Macron caractérisait les règles d’emploi des travailleurs « détachés » comme étant contraire à « l’esprit européen ». Rendu pensif par cette déclaration, je m’interrogeais sur ce que pouvait bien être cet esprit européen et surtout sur la façon dont il pouvait se manifester. C’est le genre de phrase qui peut vouloir dire tout et son contraire. S’agit-il de l’esprit de ce que d’aucuns appellent « la construction européenne » ou bien de l’esprit d’un hypothétique « peuple européen » ou encore d’un mode de pensée réservé à une certaine élite à laquelle le vulgum pecus que nous sommes, nous les peuples européens, n’auraient point l’honneur d’appartenir ?

Le “peuple européen” est-il un Peuple ?

Irrémédiablement patriote, l’image du cabri sautant a marqué mon adolescence. Les quelques années durant lesquelles je fus impliqué dans les affaires européennes m’ont surtout enseigné qu’il n’y avait pas (et qu’il n’y aurait probablement pas avant plusieurs siècles) de « peuple européen », comme il existe un peuple français, ou espagnol, ou allemand. Cette Union Européenne n’a pas de réelle définition au sens d’une entité internationale. De Gaulle disait, avec justesse, que « les seules réalités internationales, ce sont les nations ». Or, à la base de chaque nation, il y a un peuple. Mais cela ne suffit pas pour faire une nation. Il n’y a donc pas de nation européenne. Pas plus qu’il n’y avait de « nation soviétique »…

Simplement, on voudrait nous faire croire à l’existence potentielle de cette nation européenne qui serait « en voie future d’achèvement » comme les appartements vendus sur plan. Alors, on nous parle de « fédéralisme européen » comme d’un remède miracle. Il n’échappe à personne que ceux qui en bénéficieraient sont les plus ardents défenseurs, alors que les autres – ceux qui devraient le financer tout en feignant de s’y intéresser – font en réalité tout ce qu’ils peuvent pour l’empêcher. Qu’on le veuille ou non, l’Union Européenne n’est, à ce jour, qu’une mosaïque d’États-nations dont chacun cherche à tirer le profit maximum sur le dos des autres. Il faut arrêter de nous leurrer. On nous serine à longueur de temps que le problème de la France est le « manque de compétitivité » dû à nos coûts salariaux. Par rapport à qui et à quoi ? Si nous nous comparons à des pays où le salaire moyen est inférieur à 150€ par mois sans aucune protection sociale, nous ne pourrons jamais être compétitifs et tout le monde le sait depuis des lustres.

Si c’est par rapport à des pays plus proches de nous, appartenant comme nous à l’Union Européenne − et on peut penser que ce soit le cas − c’est autodestructeur car le bonheur des uns va faire le malheur des autres. Ce sera un jeu à somme nulle comme disent les économistes, mais cela, nos dirigeants fédéralistes se gardent bien de nous le dire. Alors, peut-être doit-on chercher ailleurs la véritable raison de cette course à la compétitivité des pays de l’UE.

L’opacité du projet européen

Nous touchons là un autre aspect des choses. Celui de l’opacité du projet européen, comme si ses promoteurs craignaient que celui-ci soit discerné trop tôt par les peuples maintenus dans l’ignorance de sa finalité. Cette façon de faire existe depuis des millénaires et est devenu le propre des « sociétés fabiennes » (1). Ces sociétés, décrites par Pierre de Villemarest (2) comme pratiquant une « méthode d’actions lentes et progressives ». Il cite le fabien américain Henry Laidler (3) qui disait en 1956 à propos de sa vision du socialisme :

« Le socialisme fabien estime que la transition (inéluctable) du capitalisme vers le socialisme doit s’effectuer graduellement. Il prévoit la socialisation de l’industrie par le biais d’agences politiques et économiques bien tenues en main ; les classes moyennes sont le meilleur vecteur pour introduire et développer la technique d’une administration destinée à un nouvel ordre social… »

Il ne faisait que préciser la pensée du professeur anglais GDH Cole, président en 1941 de la Fabian School, selon lequel toutes les formes de socialisme devaient être soutenues et utilisées vers les objectifs prévus mondialement « tant les partis sociaux démocrates, travaillistes et autres, d’Europe et du Nouveau Monde que le communisme en Russie ou divers groupes minoritaires ailleurs puisqu’il n’y a entre eux aucune différence d’objectif mais seulement de méthodes ».

Le cheval-de-Troie du Nouvel Ordre Mondial

Je ne vous surprendrai pas en disant que, parmi ces sociétés fabiennes, on trouve naturellement la Fabian School of Economics (abritée par la London School of Economics) mais également, toujours d’après Pierre de Villemarest, d’autres organismes tels que le Club des Bilderberg ou la Commission Trilatérale qui ont exercé et continuent d’exercer sur l’Union Européenne une influence déterminante. Le lecteur désireux d’en savoir plus sur leur rôle trouvera sans difficulté sur le réseau Internet les réponses adéquates.

Retenons simplement que le point de convergence de tout ceci est d’instituer une vision internationaliste de l’Homme, prélude à l’établissement d’un « Nouvel Ordre Mondial ».

Les concepts illusoires de la “Droite” et de la “Gauche”

Ainsi, le clivage artificiellement entretenu entre la Droite et la Gauche n’est qu’un artifice supplémentaire destiné à égarer le jugement populaire. Philippe Séguin, lors de son discours devant l’Assemblée Nationale pendant la campagne de Maastricht, disait que « la Droite et la Gauche n’étaient que les détaillants du même grossiste de Bruxelles ».

Les fameux “travailleurs détachés”

Que représentent dans tout ça les travailleurs détachés et leur conformité ou non à un esprit européen ? Une phrase de plus destinée à accréditer qu’Emmanuel Macron pourrait avoir une influence permettant de modifier une directive européenne qui existe et est appliquée depuis plusieurs décennies, et qui est dans la logique d’internationalisation de ce qui précède. Cette directive n’a été mise en lumière qu’en raison de la campagne du référendum de 2005 portant sur le projet de constitution européenne. Il y a fort à parier qu’autrement, elle serait restée ignorée des peuples tout en étant appliquée.

Simplement, Emmanuel Macron pense qu’en donnant l’illusion de se préoccuper des intérêts nationaux, il fera passer plus facilement la pilule du fédéralisme. Pour avancer dans cette direction, il a besoin de l’assentiment de la Chancelière allemande. Celle-ci ne le donnera – nous dit-on – que si la France contient son déficit budgétaire comme nos dirigeants s’y sont engagés (sans consulter le peuple) à moins de 3% de son PIB afin de satisfaire aux sacro-saints critères de convergence de Maastricht. (Rappelons qu’ils s’étaient également engagés en même temps à ramener la dette publique à 60% en moins de 20 ans, ce qui a totalement disparu des écrans…)

Cependant, cela ne changera pas grand-chose à l’état dans lequel se trouve l’Europe. On peut toujours faire des incantations à son esprit ou à ses valeurs, elle se trouvera toujours en proie aux mêmes vents contraires. Macron cherchera l’appui de ceux qu’il pense être ses alliés, naturels ou circonstanciels, mais le malheur des uns fera toujours, dans cet espace clos, le bonheur des autres. Reste à savoir comment va s’établir le rapport de forces. Certains pays, comme la Pologne, refuseront probablement toute modification de la directive connue sous le nom du « plombier polonais », ce qui risque encore d’aggraver la ligne de fracture entre l’est et l’ouest. Enfin, l’Allemagne ne tient certainement pas à se séparer de la main d’œuvre fournie à bon prix par les pays de l’Europe de l’Est qui sont indispensables au maintien de sa compétitivité.

Ainsi donc, à la question « Esprit européen, es-tu là ? » Nous risquons d’avoir à attendre un certain temps avant que la table commence à tourner.

Jean Goychman
24/08/2017

  1. Du nom du général romain Fabius Cunctator, surnommé “Le Modérateur”. Le Sénat le nomme Dictateur en 217 avant JC, durant les Guerres puniques. Conscient de son manque de moyens, le Dictateur harcèle Hannibal sans l’attaquer directement, cherchant à l’épuiser dans une guerre d’usure, refusant systématiquement le combat. Une stratégie qui lui vaut son surnom.

  2. Auteur du livre « Le Mondialisme contre nos libertés » (éd. L’Icône de Marie/CEI)

  3. https://en.wikipedia.org/wiki/Harry_W._Laidler