Ce samedi 26 août a été organisée à Barcelone une manifestation d’annotation des événements du 17 août.
Il est difficile de qualifier cette manifestation de rue, convoquée, organisée et récupérée essentiellement par l’ultra-gauche séparatiste anarcho-islamo-catalane, qui a en tout cas rassemblé des centaines de milliers de personnes, mais aussi des personnalités aussi politiquement dissemblables que le maire de Barcelone, le président du gouvernement de Catalogne, le premier ministre espagnol et le roi d’Espagne.
Il ne s’agissait pas vraiment de réagir aux événements, puisque les réactions spontanées, de tristesse, de deuil ou de colère impuissante (côté population) et d’accusations réciproques (côté autorités) s’étaient déjà exprimées dans les jours suivant ces événements. Il ne s’agissait pas non plus de prendre en compte les événements, puisqu’aucune décision correctrice concrète ne pouvait sortir, et n’est sortie, d’un tel spectacle à vocation médiatique et à participation massive. Il ne s’agissait pas plus de réclamer la sécurité (puisque les autorités chargées d’y pourvoir étaient elles-mêmes au premier rang dans la rue) ni de demander justice (puisque le commanditaire bien connu n’a même pas été nommé par les manifestants).
Concrètement, le seul message délivré par ces foules immenses et ces autorités suprêmes à l’attention des médias du monde entier, c’est « qu’on a pris note de ces événements », et « que personne n’a peur » ! Or le but même du terrorisme est d’inspirer la terreur, autrement dit la peur. En clamant que les massacres destinés à les terroriser n’ont pas encore suffi à les effrayer, ces foules et ces autorités invitent le commanditaire à augmenter sa pression. Car ce commanditaire, dont le nom même signifie « soumission », a clairement écrit dans ses textes fondateurs − dont la diffusion écrite et l’enseignement oral hebdomadaire sont autorisés en Espagne − par quels principes il entend se répandre et s’imposer. Les méthodes peuvent suivre l’évolution séculaire des techniques du monde pas encore soumis, mais les principes ont été appliqués avec constance, sans discontinuité, pendant près d’un millénaire et demi.
Certaines religions se répandent par la raison, donc le discours rationnel et l’invitation à la réflexion. D’autres religions se répandent par la proclamation de l’amour, soit entre humains soit de Dieu envers l’Homme. D’autres encore se répandent par la peur du châtiment divin, c’est-à-dire de la punition dans une autre vie par un Dieu juste ou vengeur, ou alors par la promesse d’une justice divine, c’est-à-dire de la récompense dans une autre vie des injustices subies en ce monde. Des idéologies matérialistes, niant l’existence d’un Dieu ou du moins la possibilité d’une relation avec celui-ci (la « religion » au sens communément entendu du mot), invitent à la bonne conduite entre humains comme garantie du bien de tous, tandis que d’autres idéologies prônent l’exploitation d’une partie de l’humanité par ceux qui pourraient y parvenir. Certaines idéologies ont promis le bien-être matériel par le partage forcé d’un trésor détenu par peu, tandis que d’autres l’ont promis par la consommation irréversible et exterminatrice de l’univers vivant comme de l’inerte.
Cette idéologie de la soumission, pour sa part, a toujours annoncé sa vocation à absorber toute l’humanité, réduite à la partie qui accepte cette absorption. Depuis son origine, l’élimination violente des réfractaires contribue à la soumission des assimilables, et l’exercice de la violence par les assimilables (sur les réfractaires) démontre leur soumission. En termes religieux le sacrifice des réfractaires, accompagné de la prononciation de la formule dédiée de louange de ce Dieu plus assoiffé de sang que le Quetzalcoatl, est un moyen de purification et de salut pour les exécuteurs. En termes sociaux le sacrifice des réfractaires est un moyen d’une part de nettoyage de la société et d’autre part d’intimidation des assimilables. Ces deux fonctions sont distinctes bien que souvent non distinguées par le spectateur extérieur et la presse confusive. Quand un « dérangé mental », selon la terminologie actuelle, exécute très rationnellement des « infidèles » à l’idéologie à laquelle ils n’accordent ni foi ni fidélité, il nettoie la société d’un certain nombre de réfractaires, en plus de gagner à titre personnel quelques points de paradis s’il n’oublie pas de prononcer la formule consacrée (bismillah). Quand un « djihadiste », selon la terminologie actuelle, exécute un acte de terrorisme, il intimide (au sens étymologique) un certain nombre d’assimilables, (survivants, bien entendu). L’acte d’élimination de réfractaires en vue de la réduction du domaine insoumis ou dar-al-harb est d’autant plus efficace qu’il est ciblé, l’acte de terrorisation ou de propagation de l’islamophobie en vue de la soumission est d’autant plus efficace qu’il est aléatoire.
À Barcelone, la presse islamophile a cherché en vain des victimes mahométanes, c’est-à-dire des pertes collatérales, au sens étymologique de pertes du côté qui a frappé (pas au contresens étatsunien de pertes chez l’ennemi frappé). S’il n’y en a pas eu l’acte d’élimination de réfractaires a été une pure réussite, la mort des acteurs n’étant pas une perte puisqu’à titre personnel ils ont gagné leur paradis et qu’aux yeux de la communauté ils sont devenus un exemple. Par contre si les survivants et spectateurs clament qu’ils n’ont pas été effrayés, l’acte de terrorisme, ou de propagation de l’islamophobie nécessaire à la soumission, a été un pur échec. Le prochain devra être plus lourd donc plus coûteux en vies, ou plus aléatoire donc plus imprévisible et imparable.
Sur un autre plan, le message des manifestants de Barcelone tombe comme pain béni pour les réducteurs budgétaires des moyens de lutte contre le sentiment d’insécurité. En Espagne comme ailleurs, avec certes un récent et surprenant contre-exemple d’efficacité réactive de la part de la police catalane, le motif principal des déploiements ostensibles de forces de l’ordre (voire de forces de défense dans certains pays) est la lutte contre le « sentiment d’insécurité », un sentiment qui, d’après le discours politicien, a une origine psychologique plutôt que factuelle. Si la commission de sacrifices de rue n’altère pas le sentiment de sécurité, voire suscite la congrégation de manifestations massives de déni de sentiment d’insécurité, les ministres de l’Intérieur peuvent jubiler : on doit pouvoir réduire encore les moyens dédiés à la lutte contre le sentiment d’insécurité.
Cela ne signifie pas pour autant que le danger soit moindre. Au contraire, la témérité proclamée par les Barcelonais, et reprise en chœur par tous les soutiens à la je_suis_Barcelone, est doublement dangereuse. Elle est dangereuse parce que le déni de la réalité, la cécité volontaire (ou pas) face à un risque réel est une illusion grave, qui ne fait pas disparaître le danger mais la défense. C’est le contraire du courage, qui solidifie et arme face au danger réalisé et confronté. La peur est une protection, la témérité est une inconscience et ne pas avoir peur est une faiblesse périlleuse. Mais cette témérité est aussi dangereuse, comme on l’a vu plus haut, parce qu’en la proclamant on suscite un accroissement de la pression terroriste, le terrorisme devant frapper plus fort sur l’aveugle véritablement inconscient comme sur l’insolent qui, comme un adolescent bravache, se force à ne pas avouer sa douleur ou sa peur. Celui qui se vante, sincèrement ou fallacieusement, de ne pas avoir peur, se condamne à avoir encore plus mal.
La manifestation du 26 août à Barcelone ressemble à un déni du terrorisme, un déni de la réalité.
« Jo si que tinc por » (en français : je sais que j’ai peur).
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