OÙ VA L’EUROPE ?
(Jean Goychman)

2018 sera une année a priori sans élection pour notre pays. Cette période est propice à la réflexion car elle permet de prendre un certain recul par rapport à une actualité rendue souvent trépidante, tant la nécessité de faire de l’audimat est présente dans l’esprit de ceux qui en vivent.

Les prochaines élections se tiendront en 2019 et concerneront le Parlement Européen. Une sorte d’état des lieux de l’Union Européenne paraît indispensable pour appréhender les enjeux qui sont liés à ces élections.

D’autres priorités médiatiques

Toutefois, avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut constater que les médias classiques (les mainstreams comme on les appelle dans le microcosme dirigeant) on a décidé de mettre une sorte de chape de plomb sur les affaires européennes. On sature nos capteurs en nous parlant de la « langue inclusive », des « violences faites aux femmes » et autres sujets de même acabit. Bien sûr, ces choses sont importantes, voire primordiales pour notre société. Mais pourquoi n’en parle-t-on que maintenant ? Tout le monde peut faire le constat que ces sujets tournent en boucle des journées entières sur les chaînes TV d’info en continu, et font l’objet de débats, comme s’il s’agissait avant tout d’occuper l’espace médiatique. Il ne reste plus de potentiel d’écoute et d’attention pour le reste.

Emmanuel Macron isolé

Or il se passe actuellement, notamment en Europe, des choses qui mériteraient incontestablement d’arriver jusqu’au-devant de cette scène médiatique. Ce qu’on désigne comme « la construction européenne » est en panne. Emmanuel Macron a beau avoir largement basé son projet politique sur la nécessité de “réformer l’Europe” en proposant des mesures qui l’aurait mis sur la voie d’un fédéralisme, nécessaire selon lui, à sa construction. On ne sent guère d’enthousiasme dans les autres pays. Il faut dire que ses propositions induisent de fait un clivage entre les pays membres de la zone euro et les autres, qui représentent plus d’un tiers de l’Union Européenne. Or, il apparait clairement que, du point de vue économique, ces derniers s’en sortent mieux que ceux de la zone euro.

L’usure du pouvoir et la contestation d’Angela Merkel

Il y a donc une sorte de paradoxe qui consiste à écarter les plus dynamiques au profit de ceux qui sont à la peine. D’autant plus que l’Allemagne – souvent citée comme le meilleur élève de la classe de la zone euro – traverse actuellement une période inquiétante. Sans gouvernement est depuis plusieurs semaines sans perspectives réelles de pouvoir former une équipe majoritaire. L’Allemagne ne peut guère soutenir une quelconque initiative, pour autant qu’elle en ait, par ailleurs, l’envie. D’autant que la chancelière semble subir de plein fouet l’effet cumulé de “l’usure du pouvoir” et de certaines de ses décisions (arrêt du nucléaire après Fukujima ou accueil massif des émigrants) qui ont ébranlé une partie de son électorat traditionnel. Les dernières élections ont ainsi vu l’entrée en force de l’AfD (parti de sentiment national et souverainiste ) avec plus de 90 députés.

Élection d’Emmanuel Macron surinterprétée

Mais cette montée des sentiments nationaux n’est pas propre à l’Allemagne.

On la retrouve dans de plus en plus de pays européens. Il y a, bien sûr, le Groupe de Visegrad [1], mais également d’autres, comme l’Autriche ou les Pays-Bas – sans parler de l’Allemagne déja évoquée –de plus en plus sensibles au sentiment national. Mais il est également perceptible ailleurs en Europe, notamment en Italie et en France. Car si l’élection d’Emmanuel Macron a été surinterprétée comme la manifestation d’un immense sentiment proeuropéen dans notre pays, le résultat du référendum de 2005 continue de peser dans nos esprits et le score de Marine Le Pen – réunissant un tiers des votes exprimés – contrebalance singulièrement ce sentiment. Parmi les différentes causes à l’origine de ce phénomène, une des plus importantes est le phénomène migratoire.

« Il faut dissoudre le peuple ! »

Les instances européennes et certains gouvernements ayant simplement “oublié” que les peuples existaient encore, ont cru pouvoir se passer de leur consentement pour traiter directement ce problème capital. Il faut dire que les peuples n’ont jamais vraiment compté dans l’aventure européenne. Les rares fois où ils ont été consultés, à l’occasion desquelles ils ont manifesté leur opposition aux mesures ou aux changements prévus, n’ont eu strictement aucune incidence sur le cours des choses. On en a donc conclu, peut-être un peu vite, qu’on pouvait se passer de leur avis.

Quelle erreur ! Quelle erreur fatale ! L’autisme des dirigeants européens rappelle étrangement celui des dirigeants communistes qui s’étonnaient des grèves à répétition, ce qui avait amené la phrase prêtée à Bertolt Brecht « Il faut dissoudre le peuple et en élire un nouveau ! »

Des dirigeants en CDD

Comment a-t-on pu croire que les peuples européens, en proie à leurs propres problèmes existentiels, resteraient sans réagir devant des flux migratoires d’une telle importance ? Quel que soit le sentiment humanitaire qui réside dans l’esprit de la quasi-totalité des populations, il y a des limites infranchissables. Et c’est là où intervient le constat accablant de la coupure totale du peuple avec les élites qui prétendent le diriger. Cette attitude qui s’est généralisée au fil du temps et qui consisté à dire aux gens (pendant les campagnes électorales) ce qu’ils ont envie d’entendre et taire ce dont ils ne veulent pas a permis, certes, de se faire élire en évitant tout débat, mais ne résout rien. C’est probablement pour cette raison que le mandat que leur confie le peuple se limite à un « CDD non-renouvelable ».

Le calamiteux référendum de 2005

En plus des tendances centripètes qui s’exercent au sein de l’Europe, le climat international ne semble guère sourire aux partisans du fédéralisme européen. L’élection de Donald Trump a changé la donne. Longtemps soutenu, voire porté en sous-main par un certain nombre d’organismes d’inspiration néo-libérale mondialiste américaine, le courant fédéraliste n’a cessé de progresser en Europe jusqu’à la mise en œuvre de l’euro comme monnaie unique de la zone du même nom. Après une période de quelques années où l’utilisation de cette monnaie n’a pas posé de problème particulier, les euro-fédéralistes ont cru que le moment était venu de proposer la botte aux peuples européens sous forme d’un « traité constitutionnel » en 2005. Plusieurs peuples dont le pays prévoyait le recours au référendum, dont le nôtre, ayant voté NON. Le projet aurait dû être abandonné. Il n’en fut rien et ce fut une erreur lourde de conséquences.

Le rendez-vous raté de Bonn

Progressivement, les peuples sont en train de réaliser qu’ils ont été bernés depuis des décennies et qu’en fait, cette Europe dont on leur vantait les mérites, n’était destinée qu’à devenir une vaste zone de libre échange aux contours indéfinis, sans frontières, ouverte à tous les vents du mondialisme, dont elle devenait en fait une sorte d’« appartement témoin ». L’immigration, de surcroît, venait renforcer ce sentiment au moment même où le nouveau président américain décidait, lui, d’en limiter les effets, voire de l’interdire. Jusqu’à présent, l’influence américaine sur les affaires européennes avait trouvé un écho plus que favorable en Allemagne et en Angleterre. Le BREXIT et l’élection de Donald Trump ont rebattu les cartes. Emmanuel Macron veut croire (ou fait mine de croire) à l’émergence d’un souverainisme européen qui émanerait d’on ne sait où et qui redonnerait à l’Europe un rôle de puissance d’équilibre dans le monde. Cela risque, comme beaucoup d’autres propositions, de rester un vœu pieu. La Conférence de Bonn qui s’est tenue au début du mois, n’a fait que renforcer ce constat lorsque le président français, actant le retrait des USA de l’accord de Paris, a déclaré que la France paierait leur quote-part pour le financement du GIEC [2] en ajoutant que les autres pays européens devraient l’imiter. On ne peut pas dire qu’il ait soulevé l’enthousiasme général des participants. Du reste, cette conférence n’a eu que peu d’écho dans les médias, comme si on voulait l’oublier au plus vite…

Les nations ou le totalitarisme

Quelles conclusions tirer de tout cela ? – Dire que l’Europe est « à la croisée des chemins » ne correspond plus à rien. Pour que les chemins se croisent, il faut qu’il y en ait au moins deux. Cela n’est pas le cas en raison du refus systématique d’étudier une alternative basée une sur conception différente des relations entre États, à savoir : une « Europe des Nations et des Patries » telle que de Gaulle l’avait proposée en son temps. Or, cette conception est antinomique avec la vision mondialiste de l’Europe qui implique la disparition des États-nations. Nous sommes ainsi réellement au cœur du problème. Depuis des décennies, cet aspect fondamental des choses est resté caché. Ou du moins n’a jamais été clairement évoqué. Il n’ y a eu des approches comme l’interminable et occulte négociation du traité Euro-Atlantique connu sous le nom de TAFTA. D’autres passerelles mondiales moins connues sont nées, comme les traités de libre-échange avec l’Australie, le Canada, (déjà en vigueur avant d’être ratifié par les nations européennes) ou même avec le Japon dont personne ne parle.

Malheureusement pour les champions de l’euro-mondialisme, la situation évolue différemment.

Aux USA, Donald Trump a mis un coup d’arrêt au TAFTA, mais aussi au TIP (version océan pacifique du TAFTA). La Chine est en train de se réveiller et cette civilisation plusieurs fois millénaire n’est pas décidée à se soumettre à un gouvernement mondial, corollaire incontournable d’un monde monopolaire. La Russie, après avoir espéré un rapprochement avec l’Union Européenne dont elle considère qu’elle a été injustement éconduite, se tourne aujourd’hui vers l’Asie. Enfin, le discours de Donald Trump devant les Nations Unies en septembre, dans lequel il a rappelé la Charte de l’ONU basée sur les Nations indépendantes et souveraines, ne peut, si les mots ont encore un sens, qu’être interprétée comme la fin de cette conception du monde au profit d’une autre, basée sur la coexistence des nations et leur coopération mutuelle.

Si les dirigeants européens voulaient malgré tout persister dans leur vision actuelle et faire fi des aspirations des peuples et de leurs sentiments nationaux, alors plus rien ne subsisterait de l’immense espoir que ce projet portait au lendemain de la deuxième guerre mondiale, et il faudrait renoncer alors à toute démocratie.

Jean Goychman
25/11/2017

[1] https://www.youtube.com/watch?v=0QbCNt4maTc
[2] Le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat) n’est pas comme on le lit souvent, un groupe d’experts en climatologie. Sa mission consiste uniquement à étudier la variation du climat due à l’activité humaine, ce qui limite considérablement son champ d’investigation.