LES MUSULMANS
PEUVENT-ILS ÊTRE FRANÇAIS, JURIDIQUEMENT PARLANT ?
(L’Imprécateur)

Pour être français, il faudrait que les musulmans fassent partie du peuple français. Pendant deux mille ans, philosophes, historiens, hommes politiques ont cherché à définir la notion de peuple. Ils sont arrivés à un consensus au XIXème siècle. Depuis, ce consensus n’a pas varié. Il a été entériné en juillet 2005 lors d’un colloque organisé à l’Université de Nanterre. Nos politiciens feraient bien d’en lire les conclusions avant de parler à tort et à travers du « peuple français » ou de sous-peuples comme le « peuple de gauche ». Ou, au minimum, lire l’essai de Gérard Bras, spécialisé dans la philosophie politique : « Le peuple du droit contre le peuple de la politique », Dissensus, N° 1 (décembre 2008).

« Le flou conceptuel ne convient pas au droit qui a pour objet de déterminer précisément personnes et choses afin de distribuer droits et devoirs à celles-là. C’est ainsi que le droit politique définit formellement le peuple comme l’ensemble de ceux qui peuvent faire valoir un droit, le droit du citoyen de participer à la délibération publique, sous les conditions définies par la loi, et qui doit assumer les devoirs afférents à ses droits. Il le fait en procédant au tracé d’une limite, d’une frontière entre citoyens et non-citoyens, frontière qui, en réalité, opère deux espèces de séparations : frontière clairement dessinée entre les citoyens nationaux et les étrangers, le peuple et les peuples étrangers ; mais aussi frontière diffuse à l’intérieur de la communauté nationale elle-même entre ceux qui sont vraiment du peuple, et ceux qui en sont exclus, voire qui en sont indignes. » (Gérard Bras)

À Nanterre avait été rajoutée la définition de la « nation » : « Le peuple est l’ensemble des hommes et des femmes acceptant de vivre ensemble sur un territoire géographique délimité, sous les mêmes lois et le même État, quelles que soient leurs origines ethniques, leurs cultures et leurs orientations politiques et religieuses. La nation serait un groupe constituant une communauté ou entité politique, consciente de son unité historique, linguistique et culturelle ».

Or, les sondages réalisés dans la population musulmane et publiés par BFMTV, Atlantico, etc. disent que pour 29% des musulmans « La loi islamique (charia) est plus importante que la loi de la République », et ce pourcentage monte à plus de 33% chez les jeunes.

Pour un pourcentage plus grand encore, partout supérieur à 50%, « Alʾislām, c’est la soumission et la sujétion aux ordres de Dieu » et de Dieu seul. Si l’État n’applique pas la loi divine, la charia, il ne faut lui obéir que dans la mesure où cela permet de rester dans le pays, mais ne jamais admettre que la règle étatique soit supérieure à la charia. 70% déclarent acheter toujours de la viande hallal. 65% se déclarent favorables au port du foulard (et 24% à celui du niqab). 37% se déclarent proches de l’islamologue radical Tariq Ramadan et des Frères Musulmans.

Donc, un tiers des musulmans vivant en France n’acceptent pas de « vivre ensemble (au sein du peuple français) sous les mêmes lois » et plus de la moitié ne reconnaissent pas « le même État ». Il leur manque au moins un et souvent deux des critères qui permettraient de dire qu’ils font partie du peuple français.

Pour simplifier, disons qu’un tiers des musulmans est prêt à tout faire pour vivre en France, un tiers préfère quand même son pays d’origine et un tiers refuse la France, ses valeurs et ses lois.

Sont-ils étrangers ? Non, car intervient la notion de « nation ». Les musulmans vivant en France sont bien une communauté ou entité politique (l’islam), consciente de son unité historique (la conquête du monde pour convertir les mécréants), linguistique (la langue arabe dans toutes ses déclinaisons locales) et culturelle (la religion mahométane). S’ils ne sont pas français par adhésion aux lois et à l’État, ils peuvent l’être juridiquement par le papier qui leur donne la nationalité française, passeport, et autre.

Le problème vient de ce que la notion de « nations dans le peuple » n’est pas reconnue en France. De même que l’on reconnaît des « nations indiennes » aux États-Unis ou en Bolivie, une « nation québécoise » au Canada, etc. On devrait parler de peuple français et, en son sein, de nations antillaise, guyanaise, réunionnaise, mahoraise, canaque, corse, bretonne, alsacienne, basque… et pourquoi pas une nation juive et une musulmane. Mais le Conseil Constitutionnel, par décision rendue publique le 9 mai 1991 a refusé de valider les notions de nation corse et de peuple corse. Ce qui a clôt le débat.

Pour le Conseil Constitutionnel, l’État français est conçu comme l’expression d’une unité linguistique et culturelle exclusive de toute pluralité. Il n’existe qu’un peuple français et qu’une nation française, une langue (le français) et une culture (la culture française). Il ressort de cette décision qu’il est impossible de reconnaître une nation musulmane au sein du peuple français.

Curieusement, le Conseil Constitutionnel n’a pas fait expressément mention de l’accord sur le droit, alors que, depuis Cicéron, tous les auteurs sont d’accord sur cet indispensable accord sur le droit que refusent les musulmans : « Tout d’abord, pour moi, un peuple ne se constitue […] que si sa cohésion est maintenue par un accord sur le droit ». (Cicéron, De Republica III, 43-45). Et Gérard Bras en 2008 reprend cette idée fondamentale : un peuple, c’est un vouloir vivre ensemble sous une loi commune, c’est-à-dire un accord sur le droit. Or les musulmans en France refusent majoritairement de reconnaître et d’entrer dans cet accord sur le droit qui lierait les citoyens français.

Si cet accord existe, on peut reconnaître des nations où l’on peut trouver une grande diversité linguistique, politique, culturelle, coutumière, religieuse ou agnostique et, surtout, ethnique.

Cette distinction entre peuple et nation valorise la notion de peuple multi-ethnique, multi-culturel et laïque (ou multi-religieux) qui correspond à l’aspiration moderne de la plupart des populations et sous-entend qu’elles acceptent de vivre harmonieusement ensemble plutôt qu’en état de conflit quasi permanent.

Elle permet à ces nations autonomes de conserver tous les avantages de l’appartenance à un grand peuple : en termes de finances, de niveau de vie, de facilités administratives (passeport, monnaie, reconnaissance diplomatique, etc.). Elle permet aussi de concevoir des institutions politiques indépendantes au sein du peuple, du moment qu’un certain nombre de principes fondamentaux sont acceptés et respectés par tous. On peut envisager des États avec leurs gouvernements, leurs parlements, cohabitant au sein d’une entité unique transcendée, en fait, par la notion plus large de « république » (ou de « royauté ») que l’on peut déclarer « une et indivisible » sans contradiction. Il est vrai que l’on entre alors dans des conceptions de type fédéral qui sont celles de tous les grands pays du monde, France excepté. La décision du Conseil Constitutionnel est d’autant moins compréhensible que cela existe déjà en France : la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie ont des gouvernements et des parlements qui légifèrent, Wallis-et-Futuna a trois royaumes, elles sont pourtant toujours au sein de la République.

Mais elles acceptent une tutelle commune, celle de la République française une et indivisible par sa Constitution, la langue française et les valeurs de la République, laïcité, égalité hommes-femmes, etc.

Ce qui empêche l’inclusion des musulmans en France dans un tel schéma, en supposant qu’ils réalisent leur unité communautaire, linguistique (tous ne parlent pas l’arabe), culturelle et religieuse (il n’y a pas que des sunnites), c’est qu’ils n’acceptent pas que la charia soit en dessous des lois de la République et que l’État français soit républicain et laïque puisqu’il devrait être islamique.

Donc, légalement, les musulmans en France ne peuvent pas faire partie du peuple français, à l’exception du tiers qui accepterait probablement de s’intégrer, mais pour le moment ils n’en manifestent pas clairement le désir.

 

L’Imprécateur