MACRON VEUT UTILISER LE TRAITÉ DE DE GAULLE DE 1963 POUR FÉDÉRALISER L’EUROPE
(Jean Goychman)

Il y a 55 ans, le 22 janvier 1963, le traité de l’Élysée était signé par Adenauer et de Gaulle. Ce traité, qui engageait les gouvernements français et allemand, s’inscrivait dans la logique de la vision européenne de de Gaulle, essentiellement basée sur la coopération des États souverains. Cette conception s’opposait à celle de ceux qu’on appelait « les pères de l’Europe » qui ne juraient que par une Europe totalement intégrée qui allait, comme le disait le général, à dissoudre les nations « comme les marrons dans la purée ».

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Un traité résolument européen

Le texte de ce traité est très court. Il est articulé en trois parties distinctes.

  1. La première concerne les relations étrangères des deux pays et le souhait de faire converger leurs politiques étrangères.
  2. La deuxième concerne la mise en place d’une défense commune, avec la mise en commun progressive des différentes ressources et l’adoption d’une doctrine commune aux deux pays.
  3. Enfin, la troisième concerne l’éducation et la jeunesse, domaines dans lequel les deux pays devront développer et renforcer les liens entre eux, en favorisant notamment les échanges et les séjours.

Le plus important n’est pas écrit

Il est remarquable de constater que les grands absents de ce traité sont l’OTAN, les États-Unis et l’Angleterre. Pas un mot sur la politique américaine, et en particulier sur la « guerre froide », ni sur l’occupation militaire de l’Allemagne par les États-Unis ou l’Angleterre. Évidemment, ce n’était pas un oubli, mais l’expression d’une volonté de faire de l’Europe une construction européenne. Ceci ne pouvait passer inaperçu, surtout de la part des États-Unis, qui réagirent d’une façon épidermique. Kennedy convoqua l’ambassadeur d’Allemagne afin de lui dire que ce traité ne devait en aucun cas être ratifié tel quel par le parlement allemand.

Le Bundestag émascule le traité

Soucieux de ne pas froisser Kennedy, Gerhard Schröder imagine un plan qui consiste à faire voter en préambule « une loi interprétative du Traité » qui, dans les faits, le réduit à néant en rajoutant tout ce qui n’y figure pas, à commencer par l’OTAN, seule entité à même de protéger l’Allemagne [1]. L’ensemble, préambule et traité, ont été voté en juin 1963 par les députés allemands à une quasi-unanimité le 15 mai 1963. Toute l’histoire, en partie méconnue, de ce traité est très bien relatée sur le site (3) et mérite d’être connue si on veut pouvoir ramener les choses à leur juste valeur.

De Gaulle ne ferme pas la porte à l’Allemagne mais l’enjambe…

De Gaulle n’est pas satisfait de l’attitude allemande, mais ne le montre pas en public. Simplement, il en tire les conséquences et commence à regarder du côté de l’URSS. Et de l’Est en général. Il reconnait officiellement la République Populaire de Chine en 1964, critique violemment l’attitude américaine et le Vietnam dans son discours de Phnom-Penh en 1965 et retire la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966.

Ci-contre, illustration du traité de l’Élysée, soulignant la fragilité de la coopération franco-allemande.
Dessin de Baringou dans France Observateur, 24 janvier 1963, p. 9.
© Paul Baringou, Le Mans.
Le général de Gaulle avait lui-même un goût pour les caricatures, comme l’illustre ce récit d’un échange avec Nikita Khrouchtchev, en mars 1960 à l’Élysée : « Le président français parvint à étonner Khrouchtchev en lui présentant sa collection de “caricatures de De Gaulle”. Pendant qu’il montrait ces dessins avec un plaisir visible au Soviétique, celui-ci lui raconta qu’après la révolution, il y avait chez nous des caricaturistes de Lénine et que cela ne le mettait guère en colère. Alors de Gaulle sortit quelques caricatures de Khrouchtchev et les lui offrit en lui conseillant de suivre cet éminent exemple de tolérance. »
Alexeï ADJOUBEÏ, À l’ombre de Khrouchtchev, Paris 1989, p. 253.

Pour plus de détails, cliquez sur ce lien.

Quoi de commun avec le futur traité de 2018 ?

De Gaulle était persuadé que « la seule réalité internationale, ce sont les nations ». Emmanuel Macron est avant tout un mondialiste. C’est son credo. La souveraineté des peuples est pour lui une sorte de lubie anachronique, quelque chose que les politicards évoquent à tort et à travers tout en s’asseyant dessus. La patrie n’a pour lui aucun sens, il est citoyen du monde. Il ne croit qu’aux accords mondiaux réalisés sur des sujets globaux, comme le « réchauffement climatique » ou le contrôle de la monnaie mondiale par le FMI. Emmanuel Macron est le parfait héritier intellectuel des gens comme Peter Sutherland et David Rockefeller. Initialement prévu pour être signé « en grande pompe » avec tout le cérémonial médiatique le 22 janvier 2018, la date envisagée pour un futur traité a cependant due être repoussée… en l’absence d’un gouvernement allemand constitué. Il y a toutefois peu de chances de voir l’esprit du traité de 1963 inspirer celui de 2018. L’objectif d’Emmanuel Macron étant d’imposer un fédéralisme européen qui fera disparaître les États-nation, cela ne peut que se traduire dans le texte du futur traité. Autant le traité de 1963 était « ouvert », c’est à dire « transposable » à tous les pays qui auraient voulu le ratifier, autant on peut s’attendre à ce que le traité de 2018 soit « absorbant ». Il ne concernera que l’Allemagne et la France dans un premier temps. Elles sont, dans l’esprit de notre président, vouées à devenir le foyer de la « cristallisation fédéraliste » dans lequel viendront se dissoudre progressivement les autres États européens, dont le périmètre n’est pas encore défini.C’est un peu le principe de la « mayonnaise » dans laquelle on ajoute au fur et à mesure l’huile de l’émulsion.

« Pour eux », il y a urgence à agir

La roue de l’histoire tourne. Le monde évolue, et il évolue vite. La mondialisation qualifiée « d’heureuse » qui devait couvrir les peuples de ses bienfaits n’a pas tenu ses engagements, hormis pour les plus fortunés. Seulement 1% de ceux-ci possèdent 82% de la richesse mondiale. Les classes moyennes, orgueil justifié des systèmes démocratiques qui semblaient s’être généralisées, sont en train de fondre comme neige au soleil. Les peuples commencent à réagir. On parle, dans les milieux favorables à plus d’intégration mondiale, de « montée des populismes ». Vouloir employer des termes volontairement péjoratifs ou prétendus tels n’en ralentit pas pour autant le développement et ils le savent. La course de vitesse est engagée et les récents évènements comme les élections autrichiennes ou celle de Donald Trump les mettent en demeure de réagir s’ils veulent « reprendre la main ».

« Pour eux », il est probablement déjà trop tard

« Malheureusement » pour eux, il est probablement déja trop tard. Les grands instruments de conditionnement des esprits que sont les médias audiovisuels orientés sont progressivement délaissés et perdent de leur audience, surtout chez les jeunes, et ce ne sont pas les projets de réglementation des « fake news » qui y changeront grand-chose. La prise de conscience est là, et les plus concernés s’en émeuvent. Ce projet d’établissement d’un gouvernement mondial, qui devait s’accompagner de la fin de la souveraineté des peuples et des nations, ne verra probablement pas le jour. Il aurait pu aboutir dans le monde de l’après-guerre, mais plus dans celui d’aujourd’hui. Espérons simplement que cette perspective d’abandon n’entrainera pas, par dépit, un nouveau conflit mondial…

Jean Goychman
26/01/2018

[1] https://books.openedition.org/iheid/1080?lang=fr