Les morceaux choisis ci-dessous sont extraits d’une conférence organisée par la chaîne YouTube de Buenos Aires en janvier 2017. Publiés initialement par Valeurs Actuelles, nous tenions à les rappeler sur Minurne car, non seulement ils tranchent radicalement dans le discours ambiant, mais ils apportent un éclairage passionnant sur la « guerre des mots » menée par la caste de bobos au pouvoir.
En ce cinquantenaire de Mai 68, ces réflexions de l’auteur de « Soumission » sont aussi pour les patriotes une incitation à l’action. D’abord mettre fin aux concepts délirants qu’on nous impose depuis des décennies et qui ont pour effet de censurer la pensée ; ensuite pourquoi pas, utiliser des méthodes similaires pour qualifier les stratégies de l’adversaire.
Au « populisme », qui est en fait le retour au peuple, privé de ses libertés fondamentales, opposons sans crainte et banalisons le « Grand Remplacement », stratégie portée par le dogme immigrationniste de ceux dont le dessein est de liquider la France.
MLS
Depuis une vingtaine d’années est apparu en France un phénomène assez étonnant, qu’on voit dans beaucoup de médias mais tout particulièrement dans le média dominant, le quotidien de référence Le Monde, qui est manifestement un organe central de ce que l’on appelle le « politiquement correct » mais que je préfère appeler le « nouveau progressisme ». […]
Immédiatement après 1945 et jusqu’à il y a à peu près vingt ans, les prolétaires, les ouvriers et plus généralement les pauvres bénéficiaient d’un a priori favorable dans les médias de l’élite. Ils étaient considérés comme respectables et leur point de vue considéré comme intéressant. De toute évidence, cette analyse était due à la domination du Parti Communiste. Peu à peu, après 1968, cette domination intellectuelle s’est effritée et a subi un coup fatal avec la publication de L’Archipel du Goulag en 1974 par Soljenitsyne, livre qui a vraiment changé l’histoire du monde. Peu à peu, avec le déclin du parti, le respect envers le prolétaire a commencé à décliner. Et on a vu apparaître ce que l’on peut appeler une révolte des élites contre le peuple.
Un mot est apparu, celui de « populisme » pour désigner les opinions populaires dont il fallait se défier. […]
L’idée a commencé à être exprimée, d’abord prudemment, puis de manière de plus en plus explicite, que le suffrage universel n’était pas la panacée et qu’il pouvait conduire à de grandes aberrations. Il y a eu un cap très important en France en 2005. Un référendum sur un traité européen, celui de Lisbonne, a eu pour résultat un NON massif de la population. Quelques années plus tard, le traité a été adopté contre l’avis de la population par le Parlement réuni en Congrès. C’était un déni de démocratie vraiment frontal qui ne s’était pas vu en France depuis très longtemps. Parallèlement, le langage employé par les élites pour parler du peuple est devenu de plus en plus insultant. […]
Entre la population et les élites, le mot « incompréhension » en France est, à mon avis, beaucoup trop faible. Ce à quoi on a affaire, c’est tout simplement de la haine. Et c’est ce même mot de « haine » que j’utilise pour qualifier mes rapports avec différents journaux, spécialement avec Le Monde. […]
La violence du débat public en France – enfin ce qu’on appelle le débat public et qui a été tout simplement une chasse aux sorcières – n’a cessé d’augmenter. Et le niveau des insultes n’a cessé de monter. […]
Avec l’arrivée de François Hollande, les choses se sont encore durcies et ont monté d’un cran car un phénomène nouveau et totalement imprévu a commencé à se produire. Certains intellectuels français, en particulier Alain Finkielkraut et Michel Onfray, ont déserté le camp des élites pour se rapprocher du camp de la population. Immédiatement ils ont été voués à l’opprobre par l’ensemble des médias, ils ont rejoint le camp des populistes abjects, où il y avait déjà Éric Zemmour et où je passais faire un tour de temps à autre. […]
On peut se poser la question : les intellectuels français sont-ils massivement passés à droite et devenus réactionnaires ? […]
Ce virage à droite n’est pas si net. La vérité, à mon avis, est qu’ils ont abandonné la gauche sans pour autant rejoindre la droite. Ils ont retrouvé quelque chose dont ils avaient complètement perdu le souvenir et même jusqu’à la notion, qui est la liberté de penser. […]
La Seconde Guerre mondiale avait profondément discrédité les intellectuels de droite. Pour être honnête, c’était un peu injuste car une partie de ceux-ci, non seulement n’a pas collaboré, mais a même résisté. […] Et à partir de 1945, l’intégralité du pouvoir intellectuel en France est tombée aux mains de la gauche. […]
Les intellectuels de ma génération sont toujours aussi ignorants des choses scientifiques et offrent toujours aussi peu de contenus, mais ils ont renoncé à dissimuler cette absence de contenu. Ils n’essaient plus du tout de produire une pensée neuve et ont renoncé à toute ambition philosophique. Les intellectuels à l’heure actuelle sont des observateurs, des commentateurs engagés des faits de société. […]
Ce qui a vraiment fait rentrer le sujet dans le débat public, c’est un petit livre de 70 pages publié en 2002 par Daniel Lindenberg. Le titre était Le Rappel à l’ordre et son sous-titre Enquête sur les nouveaux réactionnaires. […] En 2016, ce livre a été réédité avec une postface inédite de l’auteur […] dans laquelle il dit deux choses. Ce qu’il dit d’exact, c’est que son livre a été mal accueilli en 2002. On lui a reproché de mélanger tout et n’importe quoi et de regrouper comme « nouveaux réactionnaires » des gens dont les opinions n’avaient absolument rien à voir. […]
La conception du progressisme de Lindenberg est totalement nouvelle : ce qui rend une innovation bonne pour lui, ce n’est pas sa nature, c’est son caractère innovant en lui-même. La croyance de Lindenberg tient en deux points : nous vivons une époque supérieure à toutes celles qui l’ont précédée et toute innovation, quelle qu’elle soit, rend l’époque encore meilleure. La chose fausse dans sa postface est qu’il déclare que ceux qu’il avait inculpés sous la dénomination de « nouveaux réactionnaires » se sont défendus et ont protesté en disant qu’ils n’étaient pas réactionnaires. Alors qu’en réalité, c’est le contraire qui s’est produit, je m’en souviens très bien ; j’étais un des principaux accusés. Alain Finkielkraut était ravi d’être dans le même groupe de gens dont il aimait bien les écrits et, quand je lui en ai reparlé, il m’a dit : « C’est une dream team », pour situer son état d’esprit de l’époque. […]
Être qualifié de réactionnaire ne faisait plus peur à personne. Le pouvoir d’intimidation de la gauche sur les esprits était mort. Une chose curieuse est que les nouveaux réactionnaires les plus fréquemment cités par Lindenberg n’étaient pas des intellectuels à proprement parler. Il s’agissait de Maurice Dantec, Philippe Muray et moi-même. […]
Le choix de Lindenberg est excellent. Les idées de Muray et Dantec méritent d’être bien connues, bien plus que celles des intellectuels officiels et même un peu plus que les miennes ! Ce n’est pas de la modestie, mais de l’objectivité.
Qu’est-ce que je prophétisais dans mes livres – si on fait une synthèse ? D’abord l’avènement du transhumanisme. Cela commence à se produire très doucement, il est possible que cela s’accélère. […] Ensuite, dans Soumission, j’ai prédit la prise de pouvoir en Occident par un islam modéré, et que l’Occident préférait se soumettre en abdiquant ses valeurs qui ne lui conviennent plus. À l’heure actuelle, on ne peut pas dire que ce soit un islam modéré qui se manifeste en Europe. […]
Pour être complet, de petits signes commencent à apparaître. Comme on l’a vu, il y a une grande souplesse des universités occidentales, surtout françaises, à accepter des concessions dès qu’il y a des financements importants venant des monarchies du Golfe.
Il semblerait qu’il y ait une sorte d’aptitude des Français à la collaboration qui perdure.
Michel Houellebecq