« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »
(évangile selon saint Jean 15, 12-17)
Par le sacrifice de sa vie pour en sauver d’autres, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est entré dans la légende en devenant, sans le savoir et probablement sans le vouloir, un héros, ce héros tant attendu et seul capable de réveiller brutalement les consciences assoupies. Seul le héros peut montrer le chemin qui doit être à présent celui de la reconquête face à la barbarie, au séparatisme territorial instauré par le renoncement et la lâcheté des élites politiques, à la soumission à une idéologie totalitaire et mortifère. Au-delà de la confrontation de ces deux conceptions de la vie – opposant d’un côté le don de sa vie pour tuer l’autre, et d’un autre côté le don de sa vie pour en sauver d’autres – qui marque indiscutablement la victoire définitive du christianisme porteur d’espérance sur l’islamisme porteur de mort, c’est l’appel du héros qui interpelle aujourd’hui le citoyen en tant qu’homme responsable. C’est un appel qui exhume, en fait, le culte qui était voué au héros ayant marqué l’histoire du peuple et qui avait disparu depuis trop longtemps.
Ce culte du héros, qui concerne des personnages de l’Histoire dont les hauts faits sont passés dans la légende populaire, nous enseigne que les peuples ont souvent identifié leurs valeurs suprêmes comme la bravoure, le sacrifice, l’audace, à un individu qui en semblait porteur. Ses exploits – qui finalement sont la traduction de la réalisation de son engagement et l’aboutissement de sa « mission », même et surtout s’il y laisse sa vie – ont une fonction pédagogique qui se réalise par le miroir qu’il nous renvoie et l’appel qu’il nous lance pour aller de l’avant.
Comment et pourquoi – car il y a bien un pourquoi – le héros se révèle-t-il ? Car au-delà de ces valeurs qui peuvent être partagées par le plus grand nombre, l’accession du héros à son statut ne relève pas de sa volonté ou d’un calcul personnel. En effet, le héros ne se révèle que si les circonstances se présentent, sans l’avoir théorisé, ni s’y être préparé ou l’avoir planifié. Et l’acte de naissance du héros est paradoxalement souvent son acte de décès. La vraie vie du héros commence souvent après une mort qui, si elle n’est pas toujours nécessaire, souligne le courage et la violence d’un engagement voulu.
À partir du modèle d’Achille, mais également de la plupart des héros qui ont marqué l’Histoire, on peut discerner un certain nombre de qualités que l’on peut même qualifier de vertus et qui leur sont communes et reconnues, voire idéalisées par la légende qui leur survit. Parmi ces vertus, on peut reconnaître une certaine noblesse dans le comportement qui conduit le héros à affronter dignement l’adversité ou la fatalité qui l’accable et qu’il accepte avec lucidité et résignation car il a conscience que ce qui le guide peut le perdre.
Par ailleurs, il déploie une grande énergie que certains présentent comme une expansion vitale qui peut se manifester d’ailleurs comme du dédain à l’égard de la hiérarchie, voire de l’insoumission face au système en place et qui l’amène à déroger aux règles de la discipline collective. Il se signale souvent à ses contemporains par une différence qui peut flirter avec l’insolence. On ne peut s’empêcher de penser ici à la rébellion fondatrice du mythe gaullien avec le discours du 18 juin 1940 qui est devenu le fait glorieux qui a mené à la légende gaullienne.
Ensuite, on ne peut qu’admettre une autre vertu évoquée de façon magistrale par Henri Bergson dans « Les deux sources de la morale et de la religion » qui débouche sur un réel appel du héros. Par sa force de caractère, ne se satisfaisant pas d’une obligation ou d’une morale naturelle qui conduit chacun de nous à obéir à nos devoirs sociaux, le héros s’impose une autre morale complète et absolue qui se traduit par le choix individuel et personnel de modèles et qui l’amène à exercer sur les autres un véritable appel. « Pourquoi les saints ont-ils laissé des imitateurs et pourquoi les grands hommes de bien ont-ils entraîné derrière eux des foules ? Ils ne demandent rien, et pourtant ils obtiennent. Ils n’ont pas besoin d’exhorter; ils n’ont qu’à exister; leur existence est un appel. Car tel est bien le caractère de cette autre morale. Tandis que l’obligation naturelle est pression ou poussée, dans la morale complète et parfaite il y a un appel ».
Enfin, il faut évoquer cette autre vertu caractérisée par cette ardeur généreuse qui transforme l’héroïsme en geste d’amour. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il se manifeste très souvent par le sacrifice. Car le héros possède une pensée plutôt subversive et radicalement opposée à l’ordre établi, ce qui le conduit à passer à l’action pour mettre en œuvre ses idéaux, souvent par des moyens d’action vertueux mais également en prenant des risques qui forcent le respect et l’admiration. Et ce qui en fait un héros, c’est en fin de compte le fait qu’il soit prêt à tout sacrifier, que ce soit sa vie, comme sa tranquillité ou son anonymat, pour son idéal. Et pour notre camarade et frère Arnaud Beltrame, seule sa foi chrétienne animée par la charité pouvait lui demander ce sacrifice suprême et surhumain.
La possession de ces vertus ne suffit cependant pas à faire apparaître le héros, à le révéler. Ce n’est que dans l’action, paré de ces vertus, qu’il peut être reconnu comme tel et entraîner derrière lui des foules. Mais ce sont, en définitive, des circonstances particulières qui le font basculer vers le passage à l’acte libérateur et salvateur, parfois entraîné, non pas malgré lui, mais sans qu’il l’ait vraiment décidé, à l’image osée de l’écrivain qui ne maîtrise jamais pleinement son texte et est, en partie, conduit par ce qu’il écrit. De la même façon, ce sont les hommes qui font l’Histoire sans savoir ce qu’elle sera. Et le héros n’apparaît que lorsque des circonstances bien particulières se présentent pour déclencher son jaillissement. Cela peut se produire dans la guerre ou le combat – et on perçoit bien ici le lien direct de l’héroïsme avec la vocation militaire – mais également à l’occasion d’une crise morale et sociale majeure, ou au cours d’une catastrophe ou dans certaines situations qui requièrent du courage et de l’abnégation, en tout cas lorsqu’un péril imminent menace un pays ou un peuple.
Et nos élites politiques devraient savoir que l’unité d’un peuple se construit patiemment au fil des siècles et que le sentiment d’appartenance à une nation, à une patrie est fondé par la référence permanente à ses héros qui incarnent son identité. Le mythe du héros est donc particulièrement nécessaire pour maintenir l’unité d’un peuple. C’est pourquoi le multiculturalisme que nos élites veulent imposer est une imposture, une imposture, on le constate, sanglante. Dans la pièce de théâtre « La vie de Galilée », Bertolt Brecht fait dire au disciple Andrea, révolté que son maître se soit rétracté pour échapper à la mort : « Malheureux le pays qui n’a pas de héros ! » Et Galilée de rétorquer : « Malheureux le pays qui a besoin de héros ». Ces deux phrases résonnent aujourd’hui, la première comme un avertissement adressé à ceux qui ont perdu tout repère, ayant oublié leur héritage historique, spirituel et culturel et donc tout sens du collectif transmis précisément par le culte des héros, la seconde comme une supplique lancée dans la douleur et invoquant le besoin vital du héros, comme une imploration traduisant l’appel au héros. Tout cela nous montre qu’un peuple, un pays sans héros, sans héroïsme n’a plus de vitalité pour résister aux coups de boutoir du destin. C’est sa condamnation, sa disparition qui le guettent. La France, notre patrie charnelle, se trouve aujourd’hui dans cette situation périlleuse. Et elle réclamait un héros. Il s’est montré et nous indique le chemin. Le sacrifice de Arnaud Beltrame ne doit pas être vain. Il doit au contraire insuffler cette vitalité et cette volonté déterminée pour résister et engager enfin le combat pour changer les choses.
Antoine Martinez
Officier général (2s)
Vice-président des Volontaires pour la France
24/03/2018