FRAPPES EN SYRIE : EXPLICATIONS DÉTAILLÉES
(général Delawarde)

Cette analyse est une analyse « à chaud ». Elle s’extrait volontairement des communiqués officiels des trois pays coalisés (États-Unis d’Amérique, Royaume-Uni et France), dont on peut penser qu’ils ne sont pas totalement objectifs. Elle devra être affinée dans les prochains jours, voire les prochaines semaines.

 

Examinons les faits

Deux versions de la frappe et de ses résultats ont été diffusées :

La version russe

Le ministère de la défense russe dit avoir détecté 103 missiles air-sol ou de croisière dont 71 auraient été interceptés par la défense anti-aérienne syrienne.

La défense anti-aérienne russe n’est pas intervenue (ce que confirment les trois pays agresseurs).

L’état-major russe donne la liste des cibles suivantes avec le nombre de missiles tirés et interceptés :

  • 4 missiles auraient visé la zone de l’aéroport international de Damas : tous interceptés ;
  • 12 missiles auraient visé l’aéroport militaire de Al-Dumayr : tous interceptés ;
  • 18 missiles auraient visé l’aéroport militaire de Baly : tous interceptés ;
  • 12 missiles auraient visé l’aéroport militaire de Shayarat : tous interceptés ;
  • 9 missiles  auraient visé  l’aéroport militaire de Mezzeh : 5 interceptés ;
  • 16 missiles  auraient visé l’aéroport militaire de Homs : 13 interceptés ;
  • 30 missiles auraient visé diverses cibles dans les zones de Barzah et de Jaramani : 7 interceptés.

Cette version russe appelle six observations :

  1. 2 missiles détectés au départ se seraient perdus en route ;
  2. Le nombre de missiles interceptés dans toutes les zones aéroportuaires fortement équipées en défense sol air syrienne serait impressionnant. Ce serait même une première dans l’histoire de la défense anti-aérienne. Un tel résultat de 70% de missiles interceptés impliquerait évidemment que cette défense ait bénéficié d’un soutien russe en matière de renseignement (« data tracking »), voire de guerre électronique, sans que les russes n’aient eu à tirer un seul missile (ce qui est confirmé par le trio USA – UK – France). Il faut savoir que les missiles de croisière guidés par GPS sur la majeure partie du vol, passe sur un système interne en phase finale et deviennent vulnérables au système de guerre électronique russe. Ce système permet de ralentir la vitesse du missile considérablement et en fait une proie facile pour la défense anti-aérienne ;
  3. Si le résultat donné dans la version russe est le bon (70% de missiles interceptés), les résultats de cette frappe sont tout simplement catastrophiques pour les trois agresseurs car cela signifie qu’avec une intervention des S400 russes, aucun missile US-UK-FR, si intelligent et moderne soit-il, n’aurait atteint sa cible et que la plupart n’auraient jamais atteint le territoire syrien ;
  4. Le fait que la Russie n’ait pas activé sa défense anti-aérienne pour détruire au plus loin, et peu après leur départ, les missiles tirés vers la Syrie, signifie, sans le moindre doute, que la Russie avait été prévenue de la frappe et/ou qu’elle avait reçu des assurances qu’aucune de ses installations ne seraient visées. Sans doute avait-elle même reçu la liste des cibles pour évacuer d’éventuels soldats russes qui se seraient trouvés à proximité, les occidentaux souhaitant, à tout prix éviter un engrenage ;
  5. Le fait (confirmé par les occidentaux) qu’il n’y ait eu aucune victime, montre à l’évidence que Bachar, lui aussi, a pu faire évacuer toutes les personnes menacées très en dehors du cercle d’efficacité des missiles. Il était donc, lui aussi, prévenu. Si les zones visées étaient vraiment sensibles (entrepôts chimiques selon la version occidentale), elles étaient forcément gardées jour et nuit dans un pays en guerre. Si aucune perte humaine n’est à déplorer, il n’y a que deux solutions : soit ces zones n’étaient pas sensibles et il n’y avait personne pour les garder (simple hangar de ferme ou installation désaffectée depuis longtemps (version russe) rebaptisé dépôt chimique par les occidentaux pour les besoins de la frappe, soit le personnel de garde avait été évacué sur préavis ;
  6. Un autre fait troublant qui amène à s’interroger, est le constat que, dès le lendemain, quelques heures après la frappe sur les « présumés dépôts chimiques » détruits, des civils curieux, venus aux nouvelles, se déplaçaient sans le moindre effet de protection et ne semblaient, pas le moins du monde, inquiets ou indisposés… Cela donne une idée de la dangerosité des produits chimiques présumés, forcément disséminés par les frappes…

 

La version du Pentagone donnée en conférence de presse

Les forces US et alliées auraient tiré 105 missiles sur les installations présumées contenir des armes chimiques de l’armée syrienne. (Ce chiffre est quasiment le même que les 103 détectés par les russes). Les moyens suivants auraient été utilisés :

  • Le USS Monterey CG61 a tiré 30 missiles Tomahawk à partir de la Mer Rouge ;
  • Le USS Laboon DDG58 a lancé 7 missiles Tomahawk à partir de la Mer Rouge ;
  • Le USS Higgins DDG76 a lancé 23 missiles Tomahawk à partir du Golfe Persique ;
  • Le USS John Warner SSN785 a lancé 6 missiles Tomahawk à partir de la Méditerranée ;
  • La frégate française LANGUEDOC a lancé 3 missiles navals mer-sol SCALP/EG à partir de la Méditerranée ;
  • Les bombardiers stratégiques B-1B ont lancé 19 missiles de croisière air-sol AGM-158 JASSM ;
  • Les chasseurs britanniques Typhoon and Tornado ont lancé 8 missiles de croisière air-sol Storm Shadow/SCALP EG ;
  • Les 5 Rafales et 4 Mirages 2005 français ont lancé 9 missiles de croisière air-sol Storm Shadow/SCALP EG ;
  • Selon le Pentagone, l’attaque n’aurait visé que trois cibles :
    • 76 missiles sur le Centre de recherche et de développement de Barzah ;
    • 22 missiles sur le site de stockage de Him Shinshar ;
    • 7 missiles sur le bunker de stockage d’armes chimiques de Him Shinshar.

Bien sûr, selon le Pentagone et les États-majors français et britanniques, tous les missiles auraient atteints leur cible… et aucun n’aurait été intercepté (normal pour des missiles intelligents…). À l’appui de leurs affirmations, les américains ont montré des photos « satellite » dans le cadre d’un BDA (« Battle Damage Assessment » ou estimation des dommages après frappe).

En décembre 1998, lors de l’opération Desert Fox, les américains avaient frappé l’Irak et fourni ce type de photos « satellite ». Notre satellite français, très précis, avait donné des résultats très différents des leurs… Ils avaient été surpris de notre savoir-faire qui les prenait en flagrant-délit de mensonge.

Si la partie « moyens engagés/nombre de missiles tirés » est très probablement juste, et confirmée par les russes, la partie « cibles visées/résultats des tirs » paraît peu crédible pour les raisons suivantes :

  1. Le centre de Barzah sensé avoir été frappé par 76 missiles n’est que très partiellement détruit ainsi qu’en atteste les photos prises au sol sur le site. Avec 76 missiles sur une aussi petite entreprise, il aurait dû être pulvérisé. Il n’en n’est rien. Rappelons que les russes disent de ce centre qu’il était désaffecté depuis plusieurs années, ce qui expliquerait l’absence de victimes civiles : affirmation que j’ai personnellement tendance à croire ;
  2. Il est possible que la coalition cherche à dissimuler d’éventuels échecs de frappes sur les aéroports militaires en limitant les objectifs aux trois installations qui ont été touchées par quelques missiles. On peut ainsi affirmer que « tous les objectifs ont été touchés » ;
  3. Cette coalition à trois a trop menti au cours des années précédentes pour pouvoir être crédible aujourd’hui (Timisoara, couveuse du Koweït, armes de destruction massives de Saddam, Goutha 2013, affaire Skripal, Goutha avril 2018). Je me souviens personnellement des mensonges quotidiens de M. Jamie Shea, porte-parole de l’OTAN, sur les fausses pertes serbes au Kosovo de mars à mai 1999. L’OTAN déclarait plus de 800 matériels majeurs détruits au 78ème jour de bombardement ; en réalité, le comptage effectué après le cessez-le-feu faisait état d’une petite trentaine… Tous les MIG déclarés détruits à Pristina au premier jour de la guerre (une vingtaine) sont sortis des souterrains et ont décollé tranquillement en direction de Belgrade au moment du cessez le feu…

 

Analyse

À chacun, bien sûr, de se faire son idée sur ces frappes. On peut toutefois noter un certain nombre de faits qui ne seront pas sans conséquences pour l’avenir.

  1. Cette frappe n’a pas affecté les forces armées syriennes qui s’en sortent intactes et vont pouvoir poursuivre la reconquête du territoire national dans les prochaines semaines. Mieux : Bachar el-Assad sort probablement grandi de cette affaire aux yeux d’une forte majorité de son peuple. Il restera l’homme qui a résisté sans faiblir à une coalition USA-UK-FR, ce qui n’est pas rien. Si élection il devait y avoir demain, il la remporterait sans coup férir avec des taux d’adhésion bien supérieurs à ceux obtenus par Trump, May et Macron dans leurs pays respectifs ;
  2. Parce que les 3 pays USA-UK-FR sont censés avoir détruits les stocks d’armements chimiques présumés et le centre de fabrication lui aussi présumé, il va être difficile de monter une nouvelle accusation d’attaque au gaz dans les mois qui viennent. Il va falloir trouver autre chose. Des couveuses, peut-être ?
  3. Les 3 coalisés n’ont pas pris le risque de s’attaquer à la Russie ni à l’Iran alors que ceux-ci étaient clairement désignés comme co-responsables de la « présumée attaque chimique ». C’est un aveu de faiblesse. Ils ont montré par là qu’ils craignaient ces deux gros morceaux et préféraient s’en prendre au plus faible, la Syrie, ce qui ne les grandit pas ;
  4. Comme il a été dit précédemment, Trump a probablement fait un deal avec Poutine pour qu’il n’intervienne pas dans une frappe qui lui permettrait de sauver la face et de redorer son blason à quelques mois des élections de mi-mandat. En échange, il a dû promettre de ne pas faire trop de dégâts et lui garantir qu’aucun soldat russe ne perdrait la vie. Mission accomplie. Les médias US vont pouvoir s’occuper pendant un certain temps de ces frappes dont le résultat militaire est pourtant dérisoire ;
  5. Pour la première fois depuis 1945, la France est sortie de la légalité internationale en s’affranchissant du feu-vert de l’ONU. Son image, comme celle de l’ONU d’ailleurs, n’en sortira pas nécessairement grandie… Lire à cet égard l’article paru sur le site « Les Crises ». « L’évaluation nationale » présentée par le gouvernement pour justifier les frappes est un document manifestement rédigé par un communicant et non par un organisme de renseignement. Il n’a strictement aucune valeur, tout comme celui de 2013, d’ailleurs. Notre ministre des affaires étrangères fait dans le mauvais Colin Powell (et sa poudre de Perlimpinpin) en présentant ce genre de document ;
  6. Suite à ces frappes aériennes, les russes disent envisager d’équiper l’armée syrienne en S300 pour lui permettre de se défendre encore mieux en cas de prochaine attaque. Ceci posera un vrai problème à ses adversaires potentiels, surtout lorsqu’elle aura terminé sa reconquête de l’ouest-syrien et qu’elle passera à l’est de l’Euphrate ;
  7. Enfin et surtout, si la version russe de ces frappes est exacte (et elle pourrait fort bien l’être) l’OTAN aurait désormais un sérieux problème à résoudre car cela signifierait que la Russie est désormais capable de réduire à néant toute tentative de frappe occidentale du type de celle qui vient d’être conduite par les trois plus grandes puissances de l’OTAN agissant en coalition ;
  8. Il n’aura échappé à personne que les hasards du calendrier permettent à cette frappe d’occulter le tir-au-pigeon des snipers israéliens sur les méchants terroristes palestiniens. Nos médias et nos politiques se réjouissent de cet heureux concours de circonstance…
  9. Il n’aura échappé à personne non plus, que ces douze petits missiles que nous avons lancés sur des installations probablement désaffectées (pour ne fâcher personne) permettent de redorer à moindre frais (20 millions d’euros si l’on compte les missiles et les vols) l’image d’un président écornée par des difficultés d’ordre social (Notre Dame des Landes, grèves à la SNCF, révoltes lycéennes). Les médias mainstream vont s’en donner à cœur joie pour encenser Jupiter-Mars, chef de guerre remarquable, déterminé, etc., etc.
  10. Pas d’autre commentaire.

 

Général (2S) Dominique Delawarde
ancien Chef Situation-Renseignement-Guerre électronique
État-major interarmées de planification opérationnelle


Le général Jonathan Shaw, ancien commandant en chef des forces britanniques en Irak en 2007, déclare que tout lui semble faux dans la version officielle du bombardement chimique de la Ghouta-Est.
Au bout de 2mn, manifestement sur ordre, la journaliste met brutalement un terme à l’entretien.

[cliquez sur l’image ci-dessus]
L’interview est en anglais et la vidéo de mauvaise qualité.
Il nous a néanmoins semblé important de vous apporter ce témoignage, pour le moins… déroutant.