PIERRE DE VILLIERS OU « L’HONNEUR » D’UN GÉNÉRAL
(Éric de Verdelhan)

Il y a quelques mois, j’écrivais un article dans lequel je me montrais peu enthousiaste sur le livre du général Pierre de Villiers « Servir », article dans lequel je disais, entre autres choses :

« [..] Un livre qui m’a déçu tant il est rédigé dans la langue de bois politiquement correcte inhérente à notre époque molle. Oserais-je dire que j’ai trouvé ce livre sans chaleur, sans âme, sans panache et surtout sans véritable sens critique ou polémique ? On ne demande pas au général Pierre de Villiers d’avoir les qualités épistolaires de son frère Philippe mais on pourrait attendre de lui un peu plus de franchise et de courage, d’autant plus qu’on sait pertinemment qu’il n’en manque pas ! […] »

Cet article m’a valu quelques volées de bois vert de gens qui ne supportent pas qu’on puisse critiquer un homme « aussi droit et intègre » que le général de Villiers.

Pourtant, la suite me donne raison : huit mois après sa fracassante démission du poste de Chef d’État-Major des Armées (CEMA) Pierre de Villiers a rejoint le groupe américain Boston Consulting Group où il occupe les fonctions de « Senior Advisor » du géant du conseil en stratégie.

Donc, celui qui fut le plus haut gradé responsable de la défense et de la sécurité de la France apportera désormais au cabinet américain « sa riche expérience en matière d’analyse des situations et des risques, de transformation des organisations et d’efficacité opérationnelle », souligne son nouvel employeur. « Boston Consulting Group » est un cabinet qui se présente comme le leader mondial du conseil en stratégie d’entreprise. Fondée en 1963, cette structure compte 90 bureaux dans 50 pays, œuvrant essentiellement à la réussite des entreprises américaines !

Un grand doute m’avait saisi à la lecture du livre « Servir ». Le général de Villiers s’y montrait tellement consensuel et respectueux des cercles de pouvoirs, ne voulant froisser personne, disant les choses sans les dire. Mon doute – ô combien légitime – s’est confirmé en début d’année, lorsque l’ancien CEMA se vantait devant ses pairs d’avoir vendu plus de 150.000 exemplaires de son livre.

Pour un chevalier blanc, pur, loyal et désintéressé, cela pouvait surprendre !

Pierre de Villiers entendait « faire du business » dans le civil, dont acte ! Mais son embauche par le BCG amène à s’interroger sur les valeurs qu’il prétend défendre.

  1. Il existe, pour les questions touchant à la défense et à la sécurité de notre pays, une commission de déontologie auprès du premier ministre, censée fixer les lignes rouges du recyclage de nos hauts fonctionnaires dans le privé. On ne l’a pas entendue : pourquoi ce silence ? On peut s’étonner de l’alignement de la diplomatie française sur les orientations fixées par la Maison Blanche, de nos pertes de souveraineté et d’indépendance nationale !
  2. Cette embauche confirme la toute-puissance de l’argent devenu la seule valeur suprême de notre mondialisation. C’est comme si le fric-roi était le seul impératif de tout être humain, quelles que soient ses fonctions, sa famille, son milieu et son éducation.
  3. Enfin, l’arrivée de l’ex-CEMA au BCG fracasse l’une des notions cardinales que l’on essaie (encore !) d’enseigner à nos enfants : le sens de l’honneur !

Finalement, dans notre société mercantile, tout s’achète et tout se vend, à condition d’y mettre le prix. Le sens du devoir, les valeurs de l’Occident chrétien, la défense de notre civilisation, la patrie, etc., etc., on peut gaillardement s’asseoir dessus : Esaü-Pierre de Villiers a monnayé son droit d’aînesse contre un plat de lentilles (ou une grosse poignée de dollars !) Quel dommage !!!

Dans plusieurs articles j’ai pris la défense du général Piquemal et de son action totalement désintéressée dans l’affaire de Calais. Deux généraux, deux attitudes bien différentes.

Qu’on me permette de préférer celle du général Piquemal. Elle est plus digne, elle est plus propre. Elle est tout simplement plus « morale ».

 

Éric de Verdelhan
16/04/2018