Ceux qui ont connu les années magiques et flamboyantes d’Air France, du temps où elle se positionnait parmi les premières compagnies mondiales, ne peuvent que constater avec tristesse la lente et, semble-t-il, inexorable déliquescence de notre compagnie nationale. Sans parler des infrastructures aéroportuaires françaises qui procurent souvent la fâcheuse impression de débarquer dans un pays du Tiers-Monde.
De retour de Nouméa, L’Imprécateur vient d’en faire l’amère expérience.
Il raconte…
J’éviterai désormais Air France. J’éviterais bien AirCalin aussi, mais c’est malheureusement difficile, il faut qu’un de leurs avions soit en panne ou en révision et soit remplacé par un Air Tahiti Nui, ou bien que Qantas ou Air New-Zealanbd assurent une rotation.
AirCalin : 8 heures de vol et un en-cas immonde, comme d’hab ! Pain au chocolat mou et humide avec 2g de chocolat, petite omelette avec trois minuscules rondelles de saucisse de Strasbourg, pain dur, beurre encore surgelé impossible à étaler, deux biscuits immangeables et café « lokâl » surchauffé, donc amer. À Tokyo-Narita j’ai trouvé au snack de la salle d’embarquement, côte de porc au curry, riz et petits légumes japonais trop salés seuls, mais délicieux mélangés au riz, excellent et grand café pour 900 yens (8 €).
Air France : Arrivée à Amsterdam à 15:00, correspondance pour Marseille prévue à 20:00 pour une arrivée à Marseille-Provence à 22:00. Pourquoi pas l’un des deux vols précédents ? Saturés par les hommes d’affaires qui paient le prix fort (jusqu’à 600 €), donc les « touristes » calédoniens qui ont déjà 21 h de vol + 2 h à Tokyo doivent attendre le 20:00, et surtout, ce ne sont pas des avions Air France, qui préfère remplir les siens. Source : personnel Air France à Schiphol auquel j’ai demandé s’il n’y avait pas une place libre pour un vieux fatigué et qui boite !
20:00 : tout le monde est agglutiné devant l’embarquement depuis un bon quart d’heure (personnellement, je reste assis, j’ai l’habitude, ça ne sert à rien de se précipiter puisque les places sont réservées). Annonce en anglais que le vol est reporté à 22:20, donc arrivée à 00:20. Cause, « incident technique ». J’envoie un mail à la personne qui devait venir me chercher à l’arrivée pour la prévenir, via le service mail gratuit de l’aéroport.
22:00 : annonce vol retardé à nouveau, reporté à 00:00. Problème : l’aéroport est fermé depuis 21:00, pas de snacks, plus de service postal pour téléphoner ou envoyer un e-mail, personne au guichet d’information.
Dans un snack, je vois une femme de ménage indonésienne. Je lui fais signe de venir me voir et je sors un billet de cinq euros en lui montrant par gestes (elle ne parle que le flamand), que je voudrais une petite bouteille de jus de fruit là-bas sur l’étagère. Elle regarde vivement à droite à gauche, tourne le dos à la caméra de surveillance du bar, fourre le billet dans la poche de sa blouse sans rien dire, revient avec une bouteille de jus d’ananas qu’elle sort de sa poche et me donne rapidement. Je lui dis « dankjewell » (le seul mot de flamand que je connaisse, « merci beaucoup ») et lui souffle un petit baiser sur le bout de mes doigts. Elle éclate de rire. Une petite distraction dans son triste boulot, ça fait du bien.
Un groupe de jeunes retraités caldoches + zors + 2 kanaks en voyage touristique, une quarantaine de personnes, commence à râler et à insulter le personnel Air France. Ils veulent qu’Air France les envoie à l’hôtel. La chef d’embarquement au sol, qui est batave et ne parle que le hollandais et l’anglais, essaie de leur expliquer que cela ne se fera que si l’avion n’arrive pas ou ne redécolle pas ensuite. Ils l’interrompent sans cesse en criant qu’ils ne comprennent rien. Le vol arrive vers 22:15 et une dizaine de passagers en débarquent.
00:00 : le commandant de bord annonce lui-même qu’il a eu du retard non pour un incident technique, mais en raison d’un mouvement de grève à Roissy. Amsterdam étant fermé, Marseille aussi, et l’info météo mauvaise (orages violents avec grêle) sur les Alpes, il est interdit de vol au-dessus du Sud-Est de la France. Il va devoir négocier pour obtenir des autorisations exceptionnelles de décollage et atterrissage de nuit, plus le droit de survol de l’Allemagne, de la Suisse et de l’Italie, puis le contournement au large de Nice et Saint-Tropez, ce qui provoquera un allongement du vol d’une bonne demie-heure.
La chef batave fait embarquer les familles et les « prioritisés ». Les 40 énergumènes se mettent à gueuler à l’injustice et à franchir les barrières de canalisation pour les formalités d’embarquement. Excepté les deux kanaks qui se mettent à l’écart ne voulant sans doute pas se mêler de cette échauffourée de Blancs. Tout le personnel Air France au sol intervient pour les repousser. Ils remettent les barrières en place et commencent l’embarquement.
La douzaine de Japonais présents mitraillent avec leurs portables et un autre filme.
Je me dis que ça commence à bien faire. Je vais voir la chef et je lui dis en anglais, en souriant et en lui parlant doucement pour la rassurer, que je vais parler au chef du groupe, un petit vieux z’oreille surexcité à l’accent du midi.
Je sais, comme disait Audiard, que quand un grand type de 92 kg parle à un petit de 60 kg en se collant juste devant lui et avec le ton qu’il faut, celui de 60 kg a tendance à l’écouter. Je lui dis que s’ils continuent à faire les cons, je connais les mœurs hollandaises, ce n’est pas à l’hôtel ni dans l’avion qu’ils vont aller, mais au poste de police d’Aalsmeerderbrug pour fouille et vérification d’identité, et s’ils le souhaitent dépôt d’une plainte contre Air France, mais qu’en contrepartie, leur arrivée à Marseille sera sérieusement compromise pour cette nuit. J’ai prononcé Aalsmeerderbrug à la hollandaise (1) pour qu’il comprenne bien que la Hollande, je connais, et que je ne plaisante pas. Deux ou trois de ses copains interviennent en le tirant en arrière par les bras pour lui dire de se calmer et que j’ai raison.
00:30. On embarque. Mais les hôtesses au sol, toutes hollandaises, ne contrôlent personne, affolées par toux ceux qui les agressent encore verbalement mais aussi violemment au passage. Le genre, « Parlez-moi en français, inutile de me parler en anglais, quand on travaille pour Air France, on doit parler français », etc. Une partie des cartes d’embarquement n’est pas vérifiée et à l’intérieur on se met où l’on veut.
D’ailleurs une ravissante blonde me demande si elle peut venir s’asseoir à côté de moi en me disant que si les choses tournent mal elle préfère être à côté de quelqu’un qui reste calme. C’est l’instinct très sûr de la faible femelle qui se met sous la protection du mâle dominant ! La chef de cabine essaie de mettre un peu d’ordre puis, après quelques minutes de négociations infructueuse, baisse les bras et ordonne que les gens restent où ils sont assis, mais doivent arrêter de se déplacer.
Toutes les cinq minutes le commandant annonce les autorisations de survol : Allemagne OK, Suisse OK, Italie OK… Amsterdam OK pour un décollage de nuit mais Marseille refuse l’arrivée de nuit. Grand « Oooooh » général de déception et quelques hurlements de colère reprennent, mais le commandant dit qu’il a une autre corde à son arc et qu’on doit patienter encore un peu.
La chef de cabine, subjuguée par mon charme incroyable, non, je plaisante, celle du sol a du lui dire qu’elle avait un allié potentiel à bord pour le maintien de l’ordre, me prend à part pour m’expliquer (mais surtout n’en rien dire à personne), que Marseille avait accepté de recevoir l’avion après que le commandant ait fait savoir à la direction de la compagnie qu’il avait à bord un début d’émeute sur les bras, et qu’il ne pouvait pas mettre les perturbateurs dehors sans l’aide de la police hollandaise, que son personnel était paniqué et qu’il allait décoller quand même pour calmer tout le monde et se poserait en procédure d’atterrissage forcé à Aix (toujours ouvert pour cause militaire de la protection du centre nucléaire de Cadarache) !
La direction a aussitôt donné les ordres nécessaires à Marseille, etc.
Quand je reviens à ma place, ma voisine me demande ce que la chef m’a dit, je lui mens un petit peu en lui soufflant dans l’oreille, qu’elle a très mignonne et propre, c’est de bon augure, qu’on va décoller, mais que s’il y a encore des troubles à bord, le commandant à reçu l’ordre de se poser à Aix sur la piste réservée aux vols militaires où la police arrêtera les meneurs pour les inculper. Je me relève pour aller dire à la chef de cabine ce que j’ai dit à la mignonne petite blonde. D’abord mécontente, elle comprend tout d’un coup et me fait un grand sourire.
Parce que, évidemment, pendant mon absence, ma charmante voisine n’a pu s’empêcher de tout répéter à ses voisins des rangées devant et derrière, et que la nouvelle a fait le tour de l’avion à la vitesse des ondes autour d’un portable. Tous ceux qui étaient encore debout dans l’allée à commenter et râler avec leurs copains retournent s’asseoir gentiment en faisant des sourires d’excuses aux hôtesses.
00:40. Le commandant annonce le décollage. Je n’ai jamais vu un avion faire aussi rapidement sa marche arrière pour se dégager du terminal, foncer sur les pistes annexes heureusement totalement vides à cette heure avancée de la nuit pour gagner la piste d’envol, ne pas faire le point-moteur théoriquement (?) obligatoire (2) avant le décollage, mais accélérer dès la sortie du virage et décoller directement. À mon avis, le commandant est un ancien pilote militaire habitué à agir en cas de problème avant qu’il ne tourne à la catastrophe.
Et ça a dû faire plaisir à la tour de contrôle et au personnel de l’aéroport pressé de rentrer chez lui et qui aura des trucs à raconter demain aux collègues sur ces cons de Français.
À bord, surprise : les hôtesses arrivent avec des cartons sur les bras et les ouvrent en disant que c’est tout ce qu’elles ont pu obtenir avant de quitter Amsterdam : des sandwichs et des petites bouteilles d’eau. Elles ouvrent les cartons dans l’allée et livrent à même les cartons ! Devant cette bonne volonté du personnel de bord, les gens commencent à se détendre et à plaisanter.
Pour la douzaine de Japonais, ça va faire des souvenirs incroyables, surtout que les hôtesses n’ont même pas mis de gants pour passer les sandwichs (impensable au Japon).
Arrivée à Marseille-Provence à 02:40. 2 h pour faire un trajet qui nous était annoncé durer 2 h 20 ou 30 à cause du contournement de la France par le Sud-Est ?! En fait, le commandant est bien parti direction l’Allemagne, mais, me dit-on, au-dessus de la Suisse il a viré et foncé tout droit sur Marseille en franchissant les Alpes en biais. Si c’est exact, qu’a-t-il raconté aux autorités de l’aviation civile pour justifier de ne pas respecter les couloirs aériens prévus ? Je ne sais pas. Probablement la fin des orages et le risque toujours potentiel de troubles à bord.
À Marseille, aéroport ouvert et éclairé, mais absolument personne : ni hôtesses, ni police ni douane. Juste un Africain sur sa balayeuse dans la salle d’arrivée des bagages qui nous dit (à moi et ma nouvelle copine qui me suit partout (elle a un salon de coiffure où je suis prié d’aller désormais me faire coiffer à mon retour), qu’il n’a pas de pièces d’un euro sur lui pour les caddies à bagages enchaînés. Nous avons donc tiré nos valises (3) à la main jusqu’à la sortie et nous sommes dit au-revoir.
Ensuite j’ai cherché un taxi, en ai trouvé deux qui discutaient, une bière à la main derrière une barrière du parking, trahis parce qu’ils avaient laissé allumées leurs balises de toit. Mais j’ai entendu quelqu’un qui courrait pour me rattraper en m’appelant, j’ai d’abord cru que c’était ma copine qui devait prendre le deuxième taxi et avait un problème, mais c’était la personne qui m’attendait. Elle m’a rattrapé au moment où j’allais monter dans le taxi. Il a du être déçu, il venait de calculer que la course Marseille-Aix-en-Provence allait me coûter 150 € en précisant qu’il m’arrêterait au passage à un distributeur de banque ouvert la nuit qu’il connait, parce qu’il ne prend pas les chèques ! Il préfère le cash non déclaré, il a raison.
Arrivée à la maison à 03:30. Soit avec cinq heures de retard.
Un incident ? Je veux bien. Mais en 2016 et 2017, j’ai été débarqué à Tokyo et mis par Air France sur Aeroflot parce que « Il n’y a plus de place sur le vol Air France direct pour Paris » − Surbooké ? − Oui, parce que, parait-il, les Japonais n’ont pas de tarifs préférentiels comme les Calédoniens. Alors Air France préfère échanger les pauvres Calédoniens contre des riches Japonais. Cela dit, j’aime bien. Aeroflot est maintenant presqu’au top, service à bord, repas, respect des horaires, le transit à Moscou-Cheremetievo est agréable et on y trouve une excellente vodka à un prix abordable.
Ces dysfonctionnements sont de plus en plus fréquents sur Air France, plusieurs passagers de l’Amsterdam-Marseille m’on dit qu’ils avaient eu eux aussi des problème sur d’autres lignes de la compagnie et l’un deux m’a même dit « Air France, ça sent la fin » !
Franchement, j’espère que non, mais une petite remise à niveau et une formation syndicale à la gestion des conflits s’impose.
L’Imprécateur
07/07/2018
1 : Aââââlsssmeuuurderbrougue, ça existe, à la sortie de l’aéroport, mais je ne sais pas s’il y a un poste de police !
2 : Je crois qu’il faut obligatoirement faire un stop, lancer les moteurs à fond et seulement ensuite décoller, mais je n’en suis pas certain.
3 : Sur les vols AF pour l’Amérique du Sud et l’Extrême Orient, on a droit à deux bagages de 23 kg chacun + 1 de 13 kg en cabine. Ça c’est bien, sauf quand il faut les tirer ou les porter dans les couloirs interminables des aéroports.