Le 14 mars dernier, s’est déroulé à Béziers un double-événement qui a provoqué chez certains des réactions excessives et agressives les entraînant dans un déferlement irréfléchi de critiques, voire d’accusations et d’injures incontrôlées et regrettables.
En réagissant de la sorte, ces derniers oublient qu’ils sont en fait à l’origine de ce retour de boomerang pleinement justifié – et qui était d’ailleurs prévisible – en raison de leur inconséquence d’hier sur le plan de leur gouvernance portant sur l’unité de la Nation.
Et cette inconséquence se prolonge et se confirme aujourd’hui parce qu’ils sont prêts, pour des raisons partisanes, démagogiques et clientélistes, à malmener le devoir sacré de mémoire qui anime tout peuple attaché à son Histoire en voulant précisément en cacher certaines pages et ainsi faire disparaître ceux qui les ont écrites. Peut-être est-il nécessaire et utile de leur conseiller de prendre du recul pour essayer de comprendre avant de juger de façon péremptoire et de condamner sans appel comme ils l’ont fait.
Car, que s’est-il passé ce 14 mars 2015 à Béziers ? Nous avons, en fait, assisté à deux événements en une seule et même manifestation, deux événements différents mais tellement complémentaires par les symboles qu’ils représentent. Le premier, c’est la décision du maire de débaptiser la rue du 19 mars 1962. La seconde, c’est l’organisation d’une cérémonie pour la rebaptiser du nom d’un patriote et homme d’honneur.
Il faut – c’est indispensable – rappeler les faits, rien que les faits, qui seuls peuvent permettre de comprendre une situation qui pourrait d’ailleurs se reproduire dans d’autres communes.
S’agissant du premier événement évoqué, il faut se remémorer comment le 19 mars 1962 a été décrété journée de commémoration. En effet, un projet de loi présenté par le gouvernement de Monsieur Lionel Jospin avait été adopté en janvier 2002 par l’Assemblée nationale mais n’avait pas pu être présenté au Sénat en raison du résultat que l’on sait des élections présidentielles quelques mois plus tard. Dix années sont alors passées sans que ce sujet soit repris, chacun pensant qu’il était définitivement enterré.
C’était mal connaître l’obstination et l’influence d’une association d’anciens combattants qui, contre l’avis des autres associations représentant pourtant plus de deux millions de personnes, a réussi à faire déterrer le dossier dès l’élection du nouveau Président de la République en mai 2012, profitant du fait que le Sénat avait changé de majorité à l’automne précédent. C’est ainsi que le Sénat a adopté le 8 novembre 2012 , en soirée, la proposition de loi relative à la commémoration du 19 mars 1962 par 181 voix contre 155. Au-delà du résultat du vote lui-même, c’est le procédé employé dans les discussions menées au Sénat qui est détestable et qui a renforcé le sentiment de colère des opposants à cette commémoration qui se traduit aujourd’hui par le refus – osons le dire, légitime et justifié – du maire de Béziers et de nombreux citoyens blessés d’accepter qu’une rue porte un tel nom.
N’oublions pas que lors des débats menés au Sénat au cours du dernier trimestre de 2012, l’examen de cette proposition de loi, reporté dans un premier temps au 20 novembre, avait été avancée précipitamment au 8 novembre pour des raisons qui ne trompent personne. Il s’agissait, en effet, devant l’hostilité manifestée par une large majorité d’associations patriotiques et d’anciens combattants qui commençait à prendre de l’ampleur d’empêcher au plus vite ces dernières d’organiser une action commune pour contrer ce projet. Il s’agit là d’une curieuse façon de concevoir le dialogue et de favoriser le rassemblement des Français et l’unité de la Nation. On ne pouvait donc que déplorer une telle initiative qui a finalement ravivé des tensions dont on pouvait penser qu’elles avaient tendance à s’estomper d’une part, et désapprouver la remise en cause des accords passés faisant du 11 novembre la seule date de commémoration pour tous les morts pour la France d’autre part. L’adoption du 19 mars 1962 comme date mémorielle officielle ainsi que toutes les initiatives honteuses qui en résultent ont non seulement été et continuent d’être un facteur de division des Français mais constituent, de surcroît, des agressions qui se multiplient contre la Nation. Elles justifient donc que les patriotes s’y opposent autrement que par des mots. C’est ce qui s’est passé à Béziers. Cela dit, on peut s’interroger sur l’attitude, pour le moins ambiguë, de nos gouvernants dans cette affaire surtout lorsqu’on sait que tous les présidents de la Vème République précédents qui ont eu à s’exprimer sur ce dossier ont refusé que cette date soit célébrée.
Valéry Giscard d’Estaing déclarait le 19 mars 1980: « L’anniversaire des accords du 19 mars 1962 n’a pas à faire l’objet d’une célébration. En un jour comme celui-ci il convient de tourner notre pensée vers ceux qui sont tombés en Algérie, vers les Français rapatriés et vers nos compagnons musulmans. La communauté nationale mesure ce que fut leur épreuve « .
François Mitterrand affirmait le 24 septembre 1981: » S’il s’agit de célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie, cela ne peut pas être le 19 mars parce qu’il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple…Ce n’est pas l’acte diplomatique rendu nécessaire qui peut s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire. D’autant plus que la guerre a continué et que d’autres victimes ont été décomptées et que, au surplus, il convient de ne froisser la conscience de personne « .
Le 25 septembre 2001, Jacques Chirac déclarait dans son allocution devant plus de cinq cents Harkis et leurs familles: « Pour les populations civiles, le 19 mars 1962 a marqué la fin des hostilités, mais pas la fin des souffrances. Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l’empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus ».
Le 16 avril 2007, Nicolas Sarkozy témoignait sa compassion aux Français rapatriés: « Il n’est pas question que le 19 mars soit une date officielle de commémoration. Il est arrogant de condamner et de mépriser la douleur qui fut la vôtre et celle de vos familles lorsque vous fûtes chassés de vos terres, de vos maisons et séparés de vos amis « .
Tout est dit. Peut-être faut-il le rappeler à ceux qui n’ont pas vécu ou connu ce drame ou à ceux qui ont une mémoire sélective et qui s’érigent en juge aujourd’hui.
Le second événement constitue un autre refus manifesté contre l’ignorance, voire la négation du véritable drame que notre armée a connu en 1961, dans une période trouble, déchirée entre l’obéissance au pouvoir politique qui caractérise toute force armée en démocratie et l’honneur qui a pu pousser certains à agir contre la loi par fidélité à la parole donnée. Le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, qui a illustré à la perfection ce qu’est la grandeur et la servitude du métier des armes, représente tout ce que l’esprit humain, et en particulier celui de l’officier, peut rencontrer d’interrogations, de contraintes et de contradictions lorsqu’il est confronté à des situations douloureuses. Dans ces circonstances, peuvent s’opposer, d’un côté le devoir devenu honteux et qui dégage finalement l’homme de ses responsabilités, et de l’autre la conscience personnelle ou la morale qui le pousse à forcer le destin et le guide peut-être vers sa propre perte, mais par un choix délibéré, par fidélité à l’idée qu’il se fait de l’homme.
Si on devait, en quelques mots, apporter un éclairage sur la personnalité de Hélie Denoix de Saint Marc, on pourrait rappeler ceux du général de Pouilly qui, devant le tribunal déclara courageusement : » Choisissant la discipline, j’ai également choisi de partager avec la Nation française la honte d’un abandon… Et pour ceux qui, n’ayant pas pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l’Histoire dira sans doute que leur crime est moins grand que le nôtre » !
On pourrait y ajouter la déclaration du général Dary rappelant, le jour de ses obsèques, la cérémonie au cours de laquelle il fut élevé à la dignité de Grand Croix de la Légion d’Honneur par le Président de la République en novembre 2011 et soulignant que » nul ne saura si l’accolade du chef des armées représentait le pardon du pays à l’un de ses grands soldats ou bien la demande de pardon de la République pour avoir tant exigé de ses soldats à l’époque de l’Algérie « .
Alors à ceux qui l’auraient oublié ou qui l’ignoreraient, il faut rappeler que Hélie Denoix de Saint Marc était entré très jeune dans la Résistance et que cet engagement courageux lui valut d’être arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald.
Après la Libération, il choisit la carrière des armes et il servira en Indochine, en Algérie, à Suez, à nouveau en Algérie. En désaccord avec la politique du général de Gaulle – notamment le choix du FLN comme unique interlocuteur des négociations pour l’indépendance – il entraînera le 1er régiment étranger de parachutistes dans la sédition, en rejoignant les généraux du putsch d’Alger en avril 1961. Il paiera cet acte d’une condamnation de dix ans de réclusion. En 1982 cependant, il sera réhabilité par le Président François Mitterrand et réintégré dans ses droits avec restitution de ses décorations. Il se consacrera ensuite à l’écriture et les prix littéraires qui le couronneront et les multiples conférences qu’il donnera révéleront en fait un grand humaniste et un héros prêt à entrer en résistance et à mourir pour des valeurs qui le guidaient.
Mais au fait, quel jugement ses détracteurs qui veulent occulter ces pages de notre Histoire portent-ils sur un autre soldat qui, comme lui, est entré en résistance et a désobéi en 1940 en lançant son appel du 18 juin ? Était-ce également « rance » ?
Par ailleurs, il ne s’agissait pas non plus à Béziers, comme certains l’ont prétendu, de nostalgie de l’Algérie française, mais simplement d’un devoir de mémoire réaffirmé à l’égard de tous ceux qui ont disparu dans des conditions tragiques et, s’agissant de Hélie Denoix de Saint Marc, de la célébration d’un héros.
D’ailleurs, le peuple a besoin de célébrer ses héros car, comme le disait Aristote, la cité est constituée d’un groupe d’animaux politiques réunis par un choix de vie commune, cette dernière étant assurée et consolidée par la référence à un passé mythique, à des héros communs, à des rites et des lois intégrées et partagées. C’est cela qu’ont voulu réaffirmer les milliers de citoyens présents le 14 mars à Béziers et que nos responsables politiques ont oublié ou veulent oublier.
Quant aux cent ou deux cents braillards qui, à distance, agitaient des drapeaux communistes et algériens et tentaient sans succès de perturber la cérémonie, en hurlant leur désapprobation et leur haine de la France, ce sont les mêmes qui, pendant la Seconde Guerre, ne sont entrés en résistance qu’après la rupture du pacte germano-soviétique.
Ce sont les mêmes qui pendant que nos soldats étaient engagés en Indochine se sont livrés à des sabotages de matériels et munitions envoyés sur le théâtre d’opérations.
Ce sont les mêmes qui, pendant la guerre d’Algérie ont été les porteurs de valises du FLN.
Ce sont les mêmes qui, au moment de l’exode des Pieds-Noirs ont pillé ou mis à l’eau les cadres déchargés dans les ports d’arrivée. Honte à eux !
En fait, leur seule patrie c’est la trahison hier et le mensonge aujourd’hui.
Et on pourrait en dire autant de tous ceux qui veulent réécrire notre Histoire en gommant certaines pages qui ne leur conviennent pas.
Général (2s) Antoine MARTINEZ