Il y a déjà fort longtemps que Chevènement n’intéresse plus personne en France – sauf quelques rares personnes de droite qui constatent que ce malheureux brûle depuis une vingtaine d’années le vaisseau du chaos qu’il s’est efforcé de mettre à flot à sa sortie de l’École Nationale d’Abrutissement.
Et pourtant, il apparaît aujourd’hui comme une des rares autorités morales de ce pays autrefois français et aujourd’hui à peine francophone – mais pour combien de temps encore ?
C’est ainsi que parmi les personnes qui tiennent aujourd’hui un discours à peu près sensé figurent Régis Debray et le Che – le nôtre : Chevènement.
Qui aurait pu prédire pareille surprise il y a quarante ans ?
Qui aurait également pu prédire que les gaullistes seraient devenus de vulgaires gauchistes en parfaite symbiose « sociétale » avec les socialos auxquels ils font semblant de s’opposer : il est vrai que le noyau dur des « gaullistes » à voté pour François-le-fécal en 1981, en parfaite conscience du mal qu’ils infligeraient à la France ce faisant. Mais comment empêcher des salauds de mettre le feu à la maison pour se cuire des œufs, quand leurs appétits les aveuglent ?
Alexis Céron
Signé Bruno Roger Petit, le texte ci-dessous est paru sur le site challenges.fr sous le titre :
« COLLEGE : QUAND CHEVENEMENT ACHEVE LA REFORME DE VALLS ET VALLAUD BELKACEM »
Une nouvelle grande voix de la gauche, celle de Jean-Pierre Chevènement, accuse la réforme du collège de porter un « égalitarisme niveleur ». Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem pourront-ils tenir encore longtemps ?
Le coup de grâce est donné par Jean-Pierre Chevènement.
Celui qui demeure, aux yeux de bien des Français, le dernier grand ministre de l’Education de ces quarante dernières années, a balayé d’un trait les dernières digues à base d’éléments de langage dressées par le tandem formé par le Premier ministre et la ministre de l’Education nationale.
Chevènement occupe en effet une place particulière dans l’imaginaire politique national. Il est et demeure le ministre qui, sous l’autorité de François Mitterrand, permit à la gauche de tourner la page de la guerre scolaire entre école publique et privée.
Il est celui qui, en quelques mois et quelques formules, réconcilia la gauche avec l’idéal d’une école publique encore et toujours bâtie sur les fondations posées par Ferry et Jaurès. Sur le sujet de l’école, il est une référence. Une voix. Une conscience.
En 1984, personne ne s’offusquait, à gauche, d’entendre un ministre de l’Education nationale décréter qu’il fallait « apprendre pour entreprendre », ou défendre la notion « d’élitisme républicain » appliquée à l’école du mérite.
Double péché d’orgueil
C’était un temps où un responsable socialiste n’aurait jamais confondu l’élitisme avec l’excellence pour l’opposer à l’égalité, confusion à laquelle s’abandonne Manuel Valls dans sa dernière contribution au débat intellectuel publiée par Libération.
Que penserait Jaurès, découvrant que son lointain successeur socialiste use du verbe « mériter », appliqué à l’école de la République, en l’encadrant de guillemets dédaigneux ?
En brandissant la menace d’un « égalitarisme niveleur », Jean-Pierre Chevènement fait écho à ce que ressentent les 60% de Français désormais opposés à cette réforme du collège, désormais perçue comme un affaiblissement supplémentaire infligé à la maison France. Une majorité de l’opinion a le sentiment que le collège 2016 sera guidé par un seul mot d’ordre : « Nous sommes nuls, restons groupés ! »
En s’entêtant, Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem commettent ainsi un double péché d’orgueil.
On ne peut pas mener une bataille culturelle et politique autour de l’école, lieu symbolique de concentration de toutes les passions françaises depuis deux siècles quand on est minoritaire dans l’opinion sur la question. Valls a beau brandir, comme il s’y essaie dans Libération, les grands mots de la gauche, « Egalité », « mouvement », « bien commun », « intérêt des enfants », il ne peut plus être entendu, ni écouté. Les rapports de force sont cristallisés.
Sur fond de panique culturelle, le fait d’annoncer que l’enseignement de l’histoire réduirait les Lumières et la civilisation chrétienne médiévale à l’état de connaissances facultatives ne pouvait qu’engendrer le rejet.
De même que la suppression des classes d’excellence « bi-langues », réputées et reconnues partout en France, ou la mise à mort du latin et du grec, contenue implicitement dans le projet présenté par le Conseil supérieur des programmes.
« Culpabilité nationale »
Destruction de symboles de filières perçues comme reflet de l’excellence de l’école. Mise à l’index identitaire sur fond de communautarisme lobbyiste et culpabilité nationale. Ces deux éléments, à eux seuls, expliquent tout à la fois pourquoi cette réforme est devenue un objet de débat national et pourquoi elle est rejetée.
De ce point de vue, les aspects de la réforme touchant à l’enseignement de l’histoire sont en grande partie initiateurs du mouvement de rejet de la réforme.
Là encore, Jean-Pierre Chevènement voit juste : « Prenons l’exemple des programmes d’histoire également. M. Lussault, président du Conseil National des Programmes, confond ce qu’il appelle le roman national avec le récit national. Je défends le récit national, qui doit être objectif. La France est une personne, qui évolue d’âge en âge : il faut apprendre son histoire, parce qu’autrement comment donner aux jeunes issus de l’immigration l’envie de s’intégrer à un pays qui passe son temps à se débiner tous les jours ? »
Jean-Pierre Chevènement tire droit au but. Parce qu’ils donnent le sentiment de céder à des lobbies communautaristes désireux d’imposer au collège une révision de l’histoire conçu comme un récit national, fédérateur et unificateur, Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem sont inaudibles, et pire encore, en décalage complet avec l’état de l’opinion française.
Les ministres en mode « complotiste »
Au premier péché d’orgueil par méconnaissance de l’opinion, Najat Vallaud-Belkacem et Manuel Valls ajoutent celui d’arrogance. Depuis une semaine, les deux socialistes refusent d’entendre les critiques de la droite (ce qui peut se comprendre, en partie) et de la gauche (ce qui est incompréhensible). A tous, ils opposent des éléments de langage en mode complotiste.
Dans Libé, le Premier ministre brandit le spectre du mensonge permanent : « Beaucoup de contre-vérités ont été dites sur cette réforme. Beaucoup de phantasmes, de peurs ont été entretenus. Les conservatismes, les immobilismes ont joué de surenchères et de démagogie ». Sur Europe 1, la ministre de l’Education nationale avait déjà entonné, ce dimanche, le même couplet, dénonçant le rejet de sa réforme pour cause de « matraquage fait de désinformation, de contre-vérités, de malhonnêteté intellectuelle depuis quinze jours ».
Les voilà tous deux loin de Mendès France, qui disait: « en démocratie, il faut d’abord convaincre ». Ce n’est pas la désinformation ou la malhonnêtété intellectuelle qui sont causes des difficultés du gouvernement à imposer sa réforme dans les collèges dans les esprits, mais sa faculté à produire des symboles désintégrateurs d’une certaine idée de l’école et son refus de prendre en considération les peurs, les frustrations, les attentes et les espoirs que des pans entiers de l’opinion placent encore dans l’école.
Ce n’est pas en sautant comme un cabri dans les colonnes de Libération ou au micro d’Europe 1 en criant « L’égalité ! L’égalité ! L’égalité ! » tout en accusant la France entière d’être manipulée par des malfaisants que l’on se montre convaincant.
Bien au contraire, puisqu’au mépris explicite envers les critiques, on ajoute le mépris implicite envers les Français, envisagés comme une masse aveugle et manipulable à volonté par un Bruno Le Maire, par exemple.
Leçon de modestie
Le mépris des autres et de tous, c’est aussi le piège que se tendent à eux mêmes Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem. Un mépris flirtant entre conscience et inconscience, mais dont les conséquences risquent d’être lourdes.
La leçon de modestie qu’adresse Jean-Pierre Chevènement au gouvernement devrait inciter ce dernier à retirer en totalité l’actuel projet et à en dessaisir Michel Lussault, l’actuel patron du Conseil des programmes.
Faute de retrait franc et massif, la machine à générer la Guerre scolaire continuera de causer des dégâts de plus en plus visibles au sein même de la gauche.
Pour en mesurer l’étendue, il suffisait de lire, ce dimanche, dans les colonnes du JDD, ces paroles de professeurs, troupes d’élite de l’électorat socialiste depuis un siècle et demi, taillant en pièces la réforme du collège, et surtout la conclusion qu’en tirait l’un d’entre eux, un certain Tanguy Simon, professeur dans les Yvelines : « Je n’ai jamais perçu autant d’amertume en salle des profs… Quand la ministre de l’Éducation passe son temps à répéter que les élèves s’ennuient au collège, c’est forcément blessant… Je suis prof de français, plus jamais je ne voterai PS. »
Vite, très vite, Manuel Valls doit méditer l’avertissement de Chevènement, invitation à considérer l’école sur un temps long, et non au gré des pressions communautaristes ou pédagogistes : « l’école est un sanctuaire, il faut éviter que la société y pénètre trop, et aujourd’hui nous souffrons que la société veut s’ingérer dans l’école à tout moment ».