Mon premier véritable engagement en politique date de 1969, et il me donne l’occasion de rendre un hommage à un combattant de toute une vie : Roger Holeindre, président-fondateur des « Jeunesses Patriotes et Sociales », mouvement dont j’ai été adhérent.
Cet hommage est tiré, en partie, de mon livre « Cœur Chouan et Esprit Para » qui sortira chez Dualpha (Editions de Philippe Randa) au cours du 1er semestre 2020.
Eric de Verdelhan
Roger Holeindre est né en 1929 en Corse. Il passe sa petite enfance dans les Vosges puis en Seine-Saint-Denis. En août 1944, alors âgé de 15 ans, il réalise son premier fait d’arme: dans la banlieue parisienne, il enlève, seul, deux mitrailleuses jumelées aux Allemands.
Titulaire d’un simple CEP, le voilà ouvrier métallurgiste, mais ce métier ne l’enchante guère, il rêve d’aventures, d’action, de voyages.
En 1948, à 17 ans, il signe un engagement pour aller se battre en Indochine et choisit les parachutistes coloniaux. Il fera trois séjours en Indo avant de rejoindre, comme sous-officier para, décoré de la Croix de Guerre des TOE (1), une autre guerre qui débute en Algérie.
Grièvement blessé lors d’un corps-à-corps à l’arme blanche, Roger Holeindre est démobilisé. Son courage physique exceptionnel lui vaudra la Croix de la Valeur Militaire, la Médaille Militaire, et le surnom, qui ne va plus le quitter, de «Popeye», ce marin de dessins animés, nourri aux épinards et doté d’une force surhumaine. Il aurait pu rester dans l’armée, dans un quelconque emploi sédentaire et/ou administratif, mais il refuse : il entend continuer à se battre, mais autrement.
Civil, il s’installe dans la ville de Tébessa et y monte un restaurant : « Le Français ». Il se fait rapidement une solide clientèle de militaires et de partisans de l’Algérie française.
C’est là, à Tébessa, que son chemin va croiser celui d’un commandant parachutiste, chef du 5ème bureau de la 25ème DP (2) du général Ducourneau. Ce commandant, c’était mon père, qui servait sous les ordres du légendaire colonel Bréchignac. Ils étaient l’un et l’autre des anciens de Diên-Biên-Phu. Dans mes archives, j’ai retrouvé une des citations de mon père, elle dit ceci :
« …de Verdelhan des Molles Joseph, chef d’escadron …Chef du 5° bureau de la 25° DP …s’est, pendant plus de 9 mois, particulièrement distingué dans le domaine de l’action psychologique, de l’organisation des populations, des mouvements de jeunesse et de la scolarisation… S’est personnellement occupé de la ville de Tébessa. En dépit de nombreuses difficultés matérielles, a ouvert 3 écoles, scolarisé plus de 250 enfants. Créé et animé un mouvement de jeunesse, organisé le quartier pilote de la Zaouia, mis en place une auto-défense, réalisé le fichier général de la ville, envoyé en métropole sans aucune aide extérieure une colonie de vacances de 60 jeunes Musulmans…
A obtenu des résultats remarquables sur le plan de la pacification… ».
Pour effectuer ce travail de titan, mon père a été aidé par Roger Holeindre.
Ce dernier va créer une « Maison des jeunes » et participer à l’éducation et aux loisirs de centaines de jeunes Musulmans. Activité sociale qui lui vaudra d’être cité en tant que civil à l’ordre de l’armée.
Dans « Requiem pour l’Algérie française » (3), j’écrivais ceci : « Quand on découvre le travail abattu par mon père et Roger Holeindre en faveur de la jeunesse musulmane, comment ose-t-on traiter ces gens-là de racistes ? De naïfs, peut-être. D’idéalistes, sans doute.
Ils n’étaient « Pieds-noirs » ni l’un ni l’autre mais ils aimaient passionnément ce pays… »
Après le putsch des généraux d’avril 1961, Roger Holeindre passe à l’OAS. En décembre de la même année, il crée, dans le Constantinois, à proximité de Guelma, le « Maquis Bonaparte » avec quelques « soldats perdu » de l’Algérie française.
Le 6 février 1962, les membres du « Maquis Bonaparte » sont arrêtés : il aura fallu une action conjointe de soldats français ET d’une katiba de l’ALN pour en venir à bout. Ainsi donc, avant les accords d’Evian (19 mars 1962), une unité française se battait avec une unité « fellagha » contre des défenseurs de l’Algérie française.
Ce fait historique, peu connu, est aussi honteux que l’attaque conjointe de miliciens français et d’unités SS contre le maquis du Vercors en 1944.
« Popeye », comme tant d’autres, connaîtra la prison avant d’être amnistié. A sa sortie, il entame une carrière d’écrivain et de grand reporter à « Paris Match ».
Mais il n’abandonne pas pour autant ses convictions politiques : il prodigue ses conseils aux jeunes militants nationalistes du mouvement « Occident ».
Lors de l’élection présidentielle de 1965, il fait partie du service d’ordre de Tixier-Vignancour. Il y côtoie un certain Jean-Marie Le Pen, ex-député poujadiste, qui a servi chez les Légionnaires paras en Indo et en Algérie. Juste avant mai 68, il préside le « Front Uni de Soutien au Sud-Vietnam ».
Ce front fédère des mouvements nationalistes dont « Occident ».
Le 28 avril 1968, Roger Holeindre sera blessé par un commando de maoïstes des « Comités Vietnam de Base » venu détruire une exposition sur les atrocités commises par le Vietcong.
Après mai 68, il fondera les « Jeunesses Patriotes et Sociales » (JPS), et le « Parti National Populaire », tout en dirigeant la revue « Contrepoison ».
Dès lors, « Popeye » et quelques autres tenteront, sans grand succès, de fédérer les droites patriotes et nationalistes. Hélas ces groupuscules préfèrent « groupusculer » et se chamailler, souvent pour de simples questions sémantiques ou des rivalités de personnes.
A cette époque, « Occident » est dirigé par Alain Robert, assisté de quelques trublions forts en gueule qui feront ensuite de belles carrières au sein de la droite parlementaire : Madelin, Longuet, Devedjian, Gloasguen… Un jour, « Popeye » sort un de ces messieurs (Longuet, si ma mémoire est bonne) à coup de gifles, d’un meeting car, résistant à 15 ans, il ne supporte pas qu’on puisse chanter devant lui – sur l’air de « L’eau vive » de Guy Béart : « Ma petite est à Dachau/elle est dans la chaux vive ».
Je m’étonne toujours que les journalistes de « Libé », du « Monde », de « Médiapart » ou de l’« Obs », si prompts à ressortir le passé sulfureux des leaders de la droite nationale, ne racontent jamais ce genre d’infamies quand elles touchent la droite molle !
En 1973, Roger Holeindre participe, aux côtés de Jean-Marie Le Pen et de François Brigneau, à la fondation du « Front National », toujours dans l’optique de fédérer les droites nationales.
Grâce au scrutin proportionnel, il sera plus tard élu député de la Seine-Saint-Denis (1986-1988) sous les couleurs du FN. Durant des décennies, Il aura été l’un des vice-présidents du parti de Le Pen. Une amitié sincère unit les deux hommes : celle de centurions qui ont connu le feu en Indochine et en Algérie. Il préside également le « Cercle National des Combattants » qui regroupe des anciens combattants de sensibilité « nationale ».
En 1998, il conduit la liste FN aux élections de Corse. Il manque de peu le seuil de qualification au second tour[].
Lors de la scission mégrétiste, il mobilise autour de Jean-Marie Le Pen, au nom de leur amitié et évite ainsi l’implosion du parti. Son ambition affichée est de poursuivre l’œuvre de Jean-Pierre Stirbois : un courant solidariste au sein du FN.
En 2010, lors de la campagne pour la succession de Jean-Marie Le Pen, il soutient Bruno Gollnisch. Marine Le Pen gagne aisément une élection qui n’en est pas une puisqu’elle était jouée d’avance. A peine élue, elle déclare vouloir débarrasser le parti « des zozos (?) et des nostalgiques de l’Algérie française » puis elle entreprend de « dédiaboliser » le FN.
Holeindre lui répond qu’il n’entend pas renier ses idées car cela reviendrait à dire qu’il s’est trompé de combat pendant plus de 40 ans. Le 15 janvier 2011, il démissionne du FN avec fracas et déclare : « Marine Le Pen n’incarne en rien les valeurs que je défends depuis toujours »[].
Son ami Jean-Marie Le Pen aurait, dit-on, tenté de le faire revenir sur sa décision et il lui aurait répondu : « Ta fille est entourée d’une cour de « tapettes » que je ne supporte pas… ».
Connaissant l’homme, c’est tout à fait plausible !
Durant l’été 2011, Roger Holeindre a rejoint le « Parti de la France » animé par Carl Lang, prouvant ainsi qu’à 82 ans il avait encore envie de se battre pour ses idées…
Il aura occupé les dernières années de sa vie de combattant à dénoncer l’imposture gaulliste et les mensonges autour du gouvernement de Vichy.
Le 30 janvier dernier, « Popeye » a définitivement posé son barda de baroudeur.
Que Saint Michel – le saint patron des parachutistes – l’accompagne au Paradis des Braves.
Durant ses huit années de guerre, en Indochine et en Algérie, il aura glané la Médaille Militaire, la Croix de guerre des TOE, la Croix de la Valeur Militaire, la Croix du Combattant, la Médaille d’Outre-Mer, la Médaille des blessés de guerre… Peut-être que j’en oublie quelques unes…
Mais aujourd’hui, je pense à l’homme, à sa grande gueule – au sens noble du terme – à son « cœur gros comme ça », à son courage, à ses convictions profondes, à son verbe franc et direct, « brut de fonderie » et qui savait appeler un chat un chat.
Je pense aussi, avec une certaine nostalgie, à cette époque lointaine où toute la fine fleur du courant nationaliste fréquentait le « Bivouac du grognard », son restaurant des Halles.
« Libération » a écrit cette semaine : « Pendant la traversée du désert du futur président du FN, Holeindre l’accueille dans son restaurant des Halles, le « Bivouac du grognard ». Tout ce que l’extrême-droite compte de demi-soldes en quête de nouvelles aventures s’y retrouve… ».
Cette époque, c’est celle de mes 20 ans, avant mon départ chez les paras, et les demi-soldes dont parle « Libération » étaient, pour nous, des modèles de droiture, de courage et de patriotisme.
Roger Holeindre laisse une œuvre immense : une bonne trentaine de livres.
Je me contenterai, ici, de citer ceux que j’ai lus (et que je conseille à mes lecteurs) :
« Le Levain de la colère », éd. Saint Just, 1963.
« Requiem pour trois sous-off », 1974 (rééd. Héligoland, 2009).
« Le Rire du cosaque », Robert Laffont, 1981.
« À tous ceux qui n’ont rien compris », Robert Laffont, 1989.
« Aux larmes, citoyens ! », Robert Laffont, 1999.
« Torture ? Ils ont dit torture ! » éd. Cercle national des combattants, 1999.
« Algérie : imposture mensonges et trahisons », éd. Cercle national des combattants, 2005.
« La Guerre psychologique ou les nouveaux collabos », Les Éditions d’Héligoland, 2005.
« Trahisons sur commande : histoire du PCF», Les Éditions d’Héligoland, 2007.
« L’Homme qui faisait se battre les Français entre eux », Les Éditions d’Héligoland, 2009.
« Tout va mal en France… C’est la faute à Pétain ! », Les Éditions d’Héligoland, 2009.
« Les Sanglots de l’homme blanc commencent à me fatiguer », Atelier Fol’fer, 2010.
« C’était des hommes : histoire de la guerre d’Indochine », Les Éditions d’Héligoland, 2012.
« 1935 / 2015… 80 ans de mensonges: ça suffit ! », Les Éditions d’Héligoland, 2015.
Au revoir Monsieur Holeindre, vous allez nous manquer, et pourtant nous ne vous pleurerons pas : les grandes douleurs sont muettes, et vous n’aimiez pas « les épanchements de gonzesse ».
Vous resterez dans nos mémoires, à jamais, car vous apparteniez à une espèce en voie d’extinction : la race des Hommes Libres.
Eric de Verdelhan
2 février 2012
1)- : TOE = Théâtre d’Opérations Extérieures.
2)- : 25ème Division Parachutiste. Il y avait deux DP en Algérie, la 10ème et la 25ème. Elles seront toutes les deux dissoutes après le putsch d’Avril 1961.
3)- :« Requiem pour l’Algérie française » DFS ; 2012.
J’ai eu le grand honneur d’être son voisin de table lors d’un repas privé. Lorsqu’il prenait la parole, les têts se tournaient respectueusement vers lui et buvaient ce que ce grand homme de France avait sur le coeur.
Je garde de ce moment rare un souvenir ému.