« Je me sentais honteux d’avoir vendu cette croix (de Lorraine), qu’Alger n’appelait plus aujourd’hui que la croix du reniement… »
(Jean-Pax Mefret)
La tentative d’invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump a affolé les sites et blogs de la « Fachosphère ». Beaucoup ont comparé ce coup de force raté aux émeutes du 6 février 1934 à Paris, à la semaine des barricades, en janvier 1961, à Alger ou au putsch des généraux du 21 avril 1961, à Alger toujours.
Et bien, tant pis si ça doit chagriner les supporters de Trump, mais pour moi la pantalonnade du Capitole n’a rien de commun avec les événements précités. Les seules similitudes résident dans son échec et sa capacité à effrayer le bourgeois, donc, hélas, à renforcer le pouvoir.
Le 6 février 1934, l’organisation était quasi militaire, du moins chez les « Camelots du Roi » de l’« Action Française » et les « Croix de Feu » du colonel de La Roque. C’est ce dernier qui n’a pas voulu (ou pas osé ?) envoyer ses troupes contre le Palais Bourbon. La droite nationale lui a reproché ; elle avait raison. Le putsch des généraux d’avril 1961 était un coup d’état militaire. Le général Challe n’a pas voulu y associer les civils, ce en quoi, à mon humble avis, il a eu tort (1).
La semaine des barricades était également organisée de façon quasi-militaire, du moins chez les partisans de Pierre Lagaillarde (qui était lieutenant de réserve chez les parachutistes).
C’est un sentiment de trahison, d’abandon, de reniement des promesses du 13 mai 1958, qui est à l’origine de la semaine des barricades de janvier 1960. Le sursaut d’un peuple pour tenter de sauver l’Algérie française. Le mouvement insurrectionnel a été organisé par deux hommes forts de l’Algérie française, le député Pierre Lagaillarde, célèbre depuis le 13 mai et qui dispose, en qualité d’ancien président des étudiants en droit d’Alger, de nombreux fidèles, et de « Jo » Ortiz, truculent patron de bar, représentant du mouvement Poujade – l’UDCA(2) – en Algérie. Leur idée – qui peut sembler simpliste – est de rééditer le 13 mai et de faire abdiquer de Gaulle, ou au moins, de le contraindre à renoncer à sa politique d’abandon.
Ce 24 janvier 1960 avait, au départ, un air de kermesse. Puis la tension monta. Vers 17 heures les parachutistes faisaient mouvement vers la zone des barricades. Non pour fraterniser mais pour prendre position autour du camp retranché. Le général Challe, futur organisateur du putsch d’avril 1961, proposait à Ortiz une solution « garantissant sa dignité ». Il ne voulait pas opposer l’armée et les « Pieds-noirs ». Et pourtant, ce 24 janvier, le sang allait couler. De Gaulle le souhaitait. Il l’avait dit à Challe, précisé au délégué général du gouvernement, Paul Delouvrier (3):
« Au téléphone, de Gaulle disait : « cessez les harangues, tirez! ». Il me rappelait que lui avait tiré sur d’autres Français, pendant la seconde guerre mondiale, à Dakar, en Syrie… ».
Delouvrier n’obéit pas, Challe non plus. Il fallut un sous-fifre, un larbin zélé, le lieutenant-colonel Debrosse, le patron de la gendarmerie mobile. Les tirs commencèrent à 18 h 10.
La fusillade dura près de 20 minutes, dans un climat de panique car les mères de famille, venues pacifiquement avec leurs enfants, ne s’attendaient pas à servir de cible aux gendarmes. On releva 20 morts, dont 14 gendarmes et 143 blessés dont 120 gendarmes.
Aussitôt, la presse s’indigna et porta ces victimes au compte des tireurs de « Jo » Ortiz.
Les expertises produites au procès des barricades établiront que la plupart des gardes mobiles, touchés dans le dos, furent les victimes des tirs de deux fusils-mitrailleurs, destinés à les couvrir. Ces deux fusils-mitrailleurs étaient servis par des CRS placés en haut des escaliers du forum. Ces irresponsables n’avaient cessé le feu que sur l’injonction d’un officier parachutiste présent sur place, le capitaine de La Bourdonnais.
Le lendemain, Lagaillarde, en tenue léopard, et son « commando Alcazar » (4) occupaient toujours les bâtiments des facultés. Les troupes, moins disciplinées, de « Jo » Ortiz, étaient réparties dans différents immeubles englobés dans le camp retranché. L’armée s’interrogeait – déjà ! – sur son devoir d’obéissance. Les parachutistes n’attaqueraient pas.
Des officiers avaient fait savoir à Ortiz qu’ils étaient prêts à le rejoindre avec leur compagnie.
Parmi eux, deux Légionnaires parachutistes, Pierre Sergent et Roger Degueldre, qui, quelques mois plus tard, passeront à l’OAS.
De Gaulle, contre l’avis de ses ministres, voulait faire tomber les barricades par la force, même au prix d’un bain de sang. En colère, il s’était écrié: « Lagaillarde, ce sera Pucheu ». Pierre Pucheu c’est ce ministre de Vichy qui se rallia au général Giraud en Afrique du Nord. De Gaulle le fit fusiller, à Alger, le 20 mars 1944. C’est encore de Gaulle qui traita Paul Delouvrier d’ « halluciné » et sa défense des « Pieds noirs » de « galimatias pleurnichard ».
Finalement, c’est le colonel Dufour, le patron du 1er REP (5), qui mit un terme à la semaine des barricades. Il proposa aux mutins une fin honorable :
« Pour vous, ce sera la prison. Pour vos hommes, s’ils désirent s’engager, ils sortiront avec leurs armes. Les honneurs leur seront rendus et je viendrai vous serrer la main. Demain, à 10 heures, avec mon régiment, colonnes par six, décorations pendantes, armes et culasses ouvertes, je franchirai les barricades. Si vous donnez à vos troupes l’ordre de tirer, elles tireront sur des soldats désarmés ».
En inversant les rôles, Dufour avait gagné.
Le 2 février, à 10 heures, conduits par Pierre Lagaillarde, les 200 hommes du « commando Alcazar » quittaient le réduit. L’honneur était sauf !
De Gaulle fit mettre aux arrêts le colonel Dufour, pour avoir obtenu sans un coup de feu, donc sans effusion de sang, la reddition des insurgés. 16 mois plus tard, Dufour rejoindra l’OAS.
Lagaillarde arrêté, Ortiz en fuite, de Gaulle tente encore de rassurer l’armée : « Ce qu’on appelle indépendance de l’Algérie, c’est la misère et la clochardisation, la catastrophe… La France ne doit pas partir. Elle a le droit d’être en Algérie et elle y restera… ». En même temps que ces propos, il s’apprêtait à recevoir en cachette Si Salah, le chef de la Wilaya 4, prêt à se rendre.
Le 4 novembre 1960, de Gaulle franchit un pas de plus dans la trahison. Dans une allocution radiotélévisée, il prononce devant la nation des mots qu’il réservait jusque là à quelques intimes :
« Algérie algérienne » et « République algérienne ». Cette allocution fait sortir de ses gonds le bachaga Boualam, Musulman pro-français et député d’Orléansville, vice-président de l’Assemblée Nationale et président d’un mouvement né cinq mois plus tôt – le FAF – Front de l’Algérie Française.
En métropole, le « Pieds-noirs » Alphonse Juin, seul Maréchal de France encore en vie, élève une vive protestation, relayée dans toute la presse, contre l’abandon de l’Algérie. Dès le mois de décembre 1960, des drapeaux FLN apparaissent dans Alger. Au lendemain du référendum sur l’autodétermination – où le « oui » l’avait bien sûr emporté (6) – un maquis se créait près de Mostaganem, la Légion commençait à enregistrer ses premières désertions d’officiers.
Quelques plasticages avaient fait résonner Alger. De Madrid, Lagaillarde et Susini avaient jeté les bases d’une organisation de défense de l’Algérie française qui ne signait pas encore OAS. Et puis, le 21 avril 1961, l’armée franchit le Rubicon : Challe, Zeller et le « Pieds-noirs » Edmond Jouhaud, trois généraux d’armée, venaient de prendre le pouvoir, bientôt rejoints par Raoul Salan, « le Mandarin », le général le plus décoré de France, dont le prestige était resté entier en Algérie.
C’était (presque) la fin d’une bien belle histoire, celle de l’Algérie française.
Éric de Verdelhan
23 janvier 2021
1)- J’ai raconté cela dans « Hommage à NOTRE Algérie française » ; Dualpha ; 2019.
2)- UDCA : Union de Défense des Commerçants et Artisans.
3)- « Le Figaro magazine », 29 octobre 1994.
4)- En référence à l’Alcazar de Tolède, tenu par les Franquistes pendant la guerre d’Espagne.
5)- Le 1er Régiment Etranger de Parachutistes sera le fer-de-lance du putsch d’avril 1961.
6)- « oui »: 75,39% en métropole et 68,8% en Algérie. Le « non » avait totalisé 781 922 voix en Algérie alors que la population européenne ne comptait que 650 000 inscrits.
La république n’a jamais hésité à tirer sur le peuple. Et elle recommencera car beaucoup de forces de l’ordre et militaires sont légalistes-carriéristes.