PETIT COURS D’ÉCONOMIE PRATIQUE (Cédric de Valfrancisque)

« Je me sers de mon argent pour faire des économies et je me sers de mes économies pour dépenser de l’argent ».
(Francis Blanche).

« La critique est le seul instrument de vérification d’une théorie économique ».
(Karl Popper).

 

 

L’histoire se déroule dans une petite bourgade triste de basse Cévenne. Depuis huit jours, le Mistral noir charrie des nuages aussi sombres que l’âme d’un damné. Il tombe, par intermittence, une pluie glaciale et les rues, transformées en ruisseaux, sont totalement désertes.

Les temps sont durs dans ces contrées retirées du monde où le temps semble arrêté.

La ville et ses habitants croulent sous les dettes ; ici tout le monde  vit à crédit.

Je ne donnerai pas le nom de cette petite ville, qui ne manque pas de charme… en été, et en dehors des désastreux « épisodes cévenols », pour ne pas faire de publicité à la municipalité socialo-parpaillote qui la gère – ou la saigne ? – depuis vingt ou trente ans.

Une grosse Mercedes se gare, dans un crissement de freins, devant le seul hôtel du bourg, à l’enseigne de « La belle Langonaise ». Le propriétaire du lieu, David Tonverre, a donné ce nom à son auberge par amour pour une belle brune vaporeuse, séduite lors d’un bal populaire, à Langogne, dans le haut pays. Depuis, la Langonaise a pris 25 ans, 35 kilos, et elle n’est plus là. David l’a chassée lorsqu’il l’a trouvée, dans une chambre de l’hôtel, faisant la bête à deux dos (1) avec un représentant en farine de châtaigne venu de Florac. Or, David est parpaillot et le VRP était papiste ce qui aggravait grandement l’adultère : cocu, à la rigueur, mais pas par n’importe qui. Depuis qu’il a chassé son épouse légitime, David Tonverre, vit seul et cultive une haine des papistes aussi vivace que du temps de la guerre des « Camisards ». Son caractère bourru n’aide pas ses affaires, mais il s’en fout.

De la grosse limousine allemande, s’extrait difficilement un Teuton ventripotent et massif. On croirait le fruit d’une copulation entre Helmut Kohl et Angela Meckel qui furent l’un et l’autre, comme vous le savez, Führers du 4ème Reich. Otto Matik, c’est son nom, affiche l’arrogance de son père quand il débarqua au même endroit en 1944, en Panzer, pour faire la chasse aux maquis du Gévaudan. Mais le père était un bel Aryen, svelte et blond, à l’air conquérant ; Otto, lui, est obèse, chauve, et a l’air con… tout court, mais il a l’opulence vaniteuse d’un marchand de loukoums. Il rentre dans l’hôtel et plaque sur le comptoir un billet de 200 euros en aboyant :

« Batron, mondrez-moi la meilleure jambre, je peux bayer ! »

David Tonverre est aux anges : enfin un touriste, et plein aux as de surcroît, une aubaine ! Il lui donne les clefs de toutes les chambres et lui déclare : « Choisissez la meilleure chambre, Monsieur, et surtout prenez tout votre temps ; ici on n’est pas pressé ». 

Otto attaque l’escalier avec la lenteur poussive d’un pachyderme. Dès qu’il a disparu, David traverse la rue et entre chez Nicolas Batoir, le boucher, chez qui il a une « ardoise » de 200 euros.

Le boucher s’empresse de prendre le talbin et court le porter à Bénito Rô, l’éleveur d’origine transalpine qui le fournit en viande. Les parents de ce brave garçon ont choisi ce prénom en souvenir d’un démocrate italien auquel ils vouaient, dit-on, un véritable culte (2).

Bénito peut enfin régler sa facture à la Coop agricole qui le fournit en aliments pour le bétail.

Hilaire Duncon, le directeur de la Coopérative, se précipite au « Café du Commerce », là où se tiennent toutes les conversations politiques, à l’heure de l’apéritif. Conversations qui prennent de la hauteur surtout après le troisième ou quatrième pastis. Il y règle son « ardoise » qui s’élève à 200 euros et commande son « Ricard » habituel.

Le barman, Lucas Grave, un jeune voyou sans foi ni loi, embourbe le billet de 200 euros sans moufter et le refile, en douce, à Marie Couchtoilat, dite « la cagole », une vieille blonde fanée, le sein triste et la fesse molle, qui exerce le plus vieux métier du monde depuis des décennies dans le bourg.

Comme les clients se font de plus en plus rares (et qu’elle les attire de moins en moins), elle fournit ses services à crédit à quelques habitués, dont Lucas le barman.

J’ai omis de vous dire que l’ombrageux David Tonverre, faute de clients, pratique sans le moindre état d’âme le proxénétisme hôtelier.
Il loue, à crédit, une chambre à la vielle catin, or « la cagole » lui doit  précisément 200 euros. Elle court acquitter sa dette en déposant le billet de 200 euros sur le comptoir de la réception de  « La belle Langonaise » et retourne à son trottoir en ondulant du croupion.

Otto Matik redescend l’escalier, aussi lentement et lourdement qu’il l’avait monté, et éructe :

 « Arh !!! Hôdel  franzouss  dégeulass ! Che vais tormir ailleurs… ». Il ramasse son billet, le range dans un portefeuille aussi rempli que sa bedaine et retourne à sa grosse Mercedes qui démarre en trombe dans un nuage de fumée (3).  

La petite ville cévenole retombe dans son ennui et sa torpeur. Dans cette histoire, personne n’a rien produit ; personne n’a rien gagné ; mais plus personne n’est endetté : CQFD !!!!

On raconte qu’au « Café du Commerce » à l’heure de l’apéro, les discussions vont bon train. Le receveur des postes – qui est parpaillot et de gauche – le directeur de la Coop agricole – qui est de droite et papiste – et l’instituteur – qui est écolo-végétarien athée – philosophent sur des notions d’économie. Au troisième ou quatrième pastaga, ils sont tombés d’accord grâce à l’histoire du billet de 200 euros. Ils ont compris le libre échange débridé et l’économie macroniste. C’est comme ça que fonctionnent les plans de sauvetage au profit des pays européens en difficulté. 

Comme quoi, il n’est pas indispensable d’avoir fait Sciences-Po ou l’ENA.

Pour ma part, malgré mes origines cévenoles (et bien que mes aïeux comptent des papistes et des parpaillots), je n’ai rien compris. Mais on me traite assez régulièrement de « fin de race », alors, ceci explique sans doute cela ? 

Cédric de Valfrancisque

1er novembre 2021.

 

 

 

 


1)- Laquelle, malgré le lieu, n’a rien à voir avec la bête du Gévaudan.

2)- Comme je ne suis pas italien, j’ignore de qui il s’agit ?

3)- Car, c’est bien connu, les touristes à monnaie forte sont écolos et font preuve de civisme chez eux mais pas forcément chez nous. On me dit que les Allemands ont pris la sale habitude de se croire en pays conquis en juin 1940.

5 Commentaires

  1. Démonstration éclatante qu’on peut se désendetter en remboursant ses dettes avec de l’argent qu’on n’a pas.

  2. C’est un régal de lire ce billet haut en couleurs et d’un style tonique. L’itinéraire d’un simple billet de 200 euros nous explique de façon ludique l’économie de nos gouvernants.

  3. ouais mais tout cela c’est du black, et la TVA alors ! bon je rigole. Mais le Keynésianisme fonctionne selon ce principe non ?

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