Nathalie Bianco est l’auteur de plusieurs romans (Les Petites, Les Printemps, Les Courants d’Air). Très active sur les réseaux sociaux, j’ai été séduit par ce texte publié sur Facebook, qui ne manquera pas de parler à beaucoup de parents actuels de nos chers petits…
Marc Le Stahler
11 novembre 2021
Je regarde mes fils dévaliser le frigo. Leurs longues silhouettes dégingandées, leurs mèches en bataille et leurs sourires goguenards.
Ils sont contents de ne pas être en cours et de ne pas bosser aujourd’hui. C’est un jour férié. Pas sûre qu’ils en comprennent bien le sens. Le 11 novembre, l’armistice, l’arrêt des combats…ils ont dû apprendre ça au collège, il y a quelques années mais la guerre, ils la connaissent surtout dans les jeux vidéo.
Je les regarde et je me dis qu’ils ont de la chance, parce que leur unique préoccupation aujourd’hui c’est de savoir quand est-ce qu’on va nous installer la fibre et si j’ai bien pensé à racheter du Yop aux Fruits rouges.
Je pense aux jeunes gens de leur âge, en 1914, souvent des fils de paysans ou d’ouvriers, des jeunes gens partis le cœur gonflé de courage et d’amour de leur patrie. Je me dis qu’ils devaient avoir un peu la même longue silhouette dégingandée, les mêmes mèches en bataille, le même sourire goguenard.
C’était une époque où on respectait les anciens, où on craignait son père, l’instituteur, le curé ; c’était une époque où on se découvrait devant les dames, et où on aimait son pays.
La préhistoire pour les jeunes générations…
Je regarde mes fils et je pense à ceux-là, terrés dans des tranchées comme des rats, dans le bruit incessant des balles et des obus, ceux qui ne dormaient jamais que d’un œil, qui mangeaient des bouillies infâmes, ceux qui vivaient en permanence dans la boue, dans l’humidité, dans le froid, ceux qui avaient les pieds et les mains gelés, les habits raides de crasse, ceux qui devaient puer, ceux qui voyaient agoniser leurs camarades et qui chaque jour crevaient un peu plus de peur. Je pense à ceux qui sont rentrés fracassés, brisés, éclopés, sur une jambe, avec un bras en moins, la moitié du visage arrachée, à une époque sans chirurgie réparatrice, ou prothèse en titane.
Je pense à ceux qui ne se sont jamais remis de ce cauchemar et pour lesquels toute la suite de leur vie fut juste un long et cruel enfer.
Je regarde mes fils, si désinvoltes, si insouciants, si inconscients. Ils sont le produit d’une civilisation qui n’a cessé d’évoluer vers une culture de l’hédonisme, de l’immédiateté et de l’individualisme. J’en assume ma part de responsabilité ; je suis moi-même d’une génération qui a cultivé la légèreté et le goût du bonheur et comme beaucoup, j’ai pensé que c’était un héritage suffisant.
Nous vivons une époque au cours de laquelle je suis très contente que personne ne demande à mes enfants d’aller à la guerre. Pour être honnête, si la défense de notre pays reposait sur eux et sur leurs copains, nous serions bien mal en point…
Toutefois, depuis quelques années je ne suis plus si certaine que nous ayons les moyens de notre insouciance et de notre désinvolture. Par légèreté, paresse, naïveté ou cynisme, nous nous sommes montrés bien peu à la hauteur de la mémoire des poilus.
Il y a tant de choses pour lesquelles les jeunes gens de 1914 se sont battus, sont morts et que nous avons considérées comme acquises, au point d’avoir oublié de les chérir et de les protéger à notre tour.
Je regarde mes fils et avec un peu d’imagination, en plissant les yeux, je peux voir les silhouettes de jeunes paysans de 1914 partis « faire la guerre » et défendre leur patrie. Nous pouvons les remercier et être fiers d’eux.
Mais je me demande si eux, ils pourraient être fiers de nous…
Nathalie Bianco
11 novembre 2021
cette jeunesse actuelle est dans l’immédiateté , elle ne peut donc pas comprendre ce que leurs anciens ont fait comme sacrifice pour que eux puissent vivre dans ce petit confort quotidien si naturel , presque comme un du ! mais , c’est vrai qu’à l’école on a tout fait pour les libérer du passé de notre pays .
Très joli et si émouvant texte ….étant moi-même Garde d’Honneur d’une Nécropole militaire , je pense souvent , lors de ces longues journées de garde , à tous ces Héros qui reposent soit dans une tombe individuelle , soit pour beaucoup plus dans ces immenses ossuaires où ils reposent anonymement par dizaines de milliers , et je me dis que j’aurais pu être parmi eux , ou mon fils ,ou mes frères si nous étions nés à la fin du XIXe siècle ….et souvent je me dis qu’heureusement ils ne peuvent voir ce que nous avons fait de leurs sacrifices ultimes ….. TOUT ÇA POUR ÇA !
Texte très émouvant et je pense souvent à ces anciens poilus rescapés de l’enfer que j’ai connu et qui étaient encore vivants en 39/40 malheureux de voir déferler sur nos routes à nouveau le « boche » qu’ils avaient vaincu 20 ans auparavant. Ces pauvres gars ont maintenant tous rejoints leur camarade de misère. Même nos médiats les ont oubliés cette année encore, même pas un film de cette épopée le soir du 11 novembre. La France est-elle encore la France ?
Et quand j’entends dire que la génération actuelle des jeunes est sacrifiée, quelle indécence !!!
Bien d’accord !!!
NB: ce texte est MAGNIFIQUE et bouleversant de vérité et de lucidité ! Bravo Nathalie Bianco..!