«… A la guerre, c’est une faute grave de sous-estimer son adversaire (…) mais il serait ridicule de le surestimer (…). Le bilan nous est favorable, logiquement la victoire est certaine. Mais la victoire est une femme qui ne se donne qu’à ceux qui savent la prendre. On ne peut vaincre qu’en attaquant…. »
(Lettre du général Navarre (photo ci-dessous) publiée dans le journal « Caravelle » (1)
Diên-Biên-Phu, de sinistre mémoire, fut, dans un premier temps, le théâtre d’une éclatante victoire française, à mettre au crédit des qualités offensives des parachutistes du général Gilles et plus particulièrement ceux du fameux « bataillon Bigeard ».
Un procès verbal de réunion du commandement des forces terrestres du Nord-Vietnam, du 17 novembre 1953, indique ceci : « Le général Navarre demanda aux généraux Masson, Dechaux et Gilles s’ils avaient des objections à présenter à l’exécution de l’opération aéroportée sur Diên-Biên-Phu, baptisée « Castor ». Tous furent unanimes pour déconseiller cette opération… Le général Dechaux fit remarquer que l’entretien de cette nouvelle base allait grever lourdement le potentiel de l’aviation de transport et que la météo étant souvent différente sur le delta et au-dessus de Diên-Biên-Phu, on aurait des difficultés certaines pour assurer correctement le ravitaillement de cette base… Le général Navarre maintient néanmoins sa décision d’exécuter l’opération « Castor » en donnant des arguments : – d’ordre stratégique : couverture du Laos ; – d’ordre économique : mainmise sur les stocks de riz notamment dans la cuvette de Diên-Biên-Phu… ».
Pour Navarre, Diên-Biên-Phu est une position stratégiquement importante puisqu’elle se situe au carrefour des routes venant du nord et convergeant vers le Laos. Un verrou qui interdira le passage des divisions du général Giap si elles avaient l’intention de déferler vers la vallée du Mékong.
Le 20 novembre 1953, à 4h30 du matin précisément, un « Privateer » de l’Aéronavale qui va sonder la météo décolle en même temps qu’un « Dakota » muni de postes radios pour assurer toutes les liaisons de commandement. Il a, à son bord, un chargement de généraux à qui il appartient de déclencher ou d’annuler la plus grande opération aéroportée de la guerre d’Indochine.
Lorsque, vers 5h45, le jour se lève, le général Bodet et le général Dechaux s’approchent du général Gilles, le patron des paras, qui fouille le paysage de son œil unique. « ça va se lever ? » demande Gilles devant l’épaisseur de la brume. Les généraux se regardent et secouent la tête.
Gilles (photo à gauche) est maussade : un an plus tôt il était enfermé dans le camp retranché de Na-San. Il s’en est tiré et y a gagné ses étoiles de général de brigade. On est revenu le chercher pour diriger l’opération « Castor ». Refaire Na-San, mais, cette fois, à une distance deux fois plus grande des bases arrière. A l’échelon de Gilles, on se borne à servir et à exécuter. Il jettera son groupement aéroporté, l’accrochera au sol, puis passera la main car sa santé commence à donner des signes d’inquiétude (2).
A 7h20, le signal de départ est donné. Les chefs de bataillons ne connaissent leur destination que depuis l’avant-veille. C’est sous les ailes des avions que les exécutants apprennent où ils vont, comment se déroulera la manœuvre, et reçoivent l’ordre d’embarquer.
A 8h15, le décollage de l’armada commence. Une soixantaine de « Dakota » prennent l’air et se rassemblent par cellules de trois, leur nez peint en bleu, jaune ou orange, en une longue colonne qui s’étire sur plus de 10 kilomètres. Dans chaque appareil, 24 parachutistes, engoncés dans leur équipement, fument ou chantonnent pour tuer le temps. « L’idée de quitter un avion au bout d’une ficelle n’a jamais laissé indifférents que ceux qui ne sautent pas » a dit un jour un officier d’aviation. Pour avoir souvent sauté « au bout d’une ficelle » puis, sans ficelle du tout, je confirme ses dires !
Dans la cuvette de Diên-Biên-Phu la brume se lève et le petit peuple de la plaine vaque à ses occupations sans se douter que le ciel va lui tomber sur la tête.
Entre 10h30 et 10h45, les premiers avions larguent 2 000 parachutes sur les deux zones désignées. L’une, au nord-ouest du village de Diên-Biên-Phu et baptisée « Natacha », où saute, avec une compagnie du génie, le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux, commandé par Bigeard.
L’autre au sud, sur la zone baptisée « Simone », pour le 2/1er RCP(3) de Bréchignac.
Sur la zone « Simone », le bataillon Bréchignac s’étale sur une zone déserte, à 5 kilomètres de « Natacha ». Le saut a été effectué trop au sud et aucune résistance ne se manifeste.
Sur « Natacha », au contraire, les Viets pullulent et se battent durement. Les compagnies du 6ème BPC, prises sous le feu avant même d’atterrir, sont clouées au sol. Un parachute est tombé en torche; 10 hommes sont tués dont 2 en l’air, 10 gravement blessés, 21 légèrement, 11 en sautant.
Les rafales claquent, les hommes s’appellent, se regroupent comme ils peuvent, tentent de courir à travers les rizières qu’on n’a pas encore moissonnées. Bigeard écrira (4) : « Ce jour-là, la surprise était des deux côtés… ».
Mais déjà, à Hanoï, on refait le plein des avions pour une nouvelle noria.
A 14h le largage du 1er BPC a lieu sur « Natacha » où Bigeard commence à peine à y voir clair. Vers 16h, les Viets s’échappent vers le sud. Le lieutenant Allaire, fidèle bras droit de Bigeard, écrira quelques années plus tard (5) : « Le chef de bataillon vietminh stationné à DBP avait probablement décidé d’envoyer deux compagnies à l’exercice sur la portion de terrain qui, pour nous, représentait la D.Z. « Natacha ». Et si nous pensions trouver quelques rebelles dans cette histoire, nous ne pensions pas les trouver si vite… La dispersion a joué en notre faveur. Car, pour trouver une troupe, encore faut-il qu’elle ait un axe. Or chaque compagnie du bataillon ayant un point de regroupement particulier à l’arrivée au sol, l’éclatement ajoutait à la dispersion. Les équipes qui partaient en tous sens, ou les combattants isolés, contribuaient à décontenancer l’adversaire, toujours préoccupé de chercher notre axe d’effort principal… ».
En clair, la surprise, la pagaille et la fougue des paras ont permis d’emporter le morceau. La chance aussi car le sort des armes aurait pu être différent. Pour l’anecdote il faut savoir que le lieutenant Allaire, plutôt que de porter plusieurs pulls (ou un survêtement) sous son treillis pour se protéger du froid, avait gardé… son pyjama.
A 17h30, à la nuit tombante, Bigeard (photo à droite) a gagné ; il est maître du terrain et l’ennemi est en fuite, abandonnant ses morts sur place. Il établit son P.C. à Diên-Biên-Phu dont il tient les accès avec ses quatre compagnies. Le bataillon Bréchignac s’installe sur les premières collines de l’est.
Le 1er BPC, deux batteries d’artillerie de 75 sans recul, une compagnie de mortiers de 120 et une antenne chirurgicale, largués dans l’après-midi, restent sur « Natacha ». Un médecin-capitaine, qui sautait pour la première fois, a été tué. Les Viets ont laissé plus de 100 cadavres et quelques blessés sur le terrain. Le soir même, le général Navarre envoie un câble chiffré « secret » à Paris :
« L’opération a débuté ce matin par largage, à 10h30, d’une première vague de deux bataillons parachutistes. Une deuxième vague, composée d’un bataillon renforcé par des éléments d’un groupe de canons de 75 SR a sauté à 15h. Un accrochage dans le centre-ville a été signalé en début d’après-midi et s’est terminé à notre avantage. L’opération aéroportée doit se poursuivre demain par le parachutage de trois nouveaux bataillons… »
Le moins que l’on puisse dire c’est que le général n’est pas trop ému par les pertes humaines subies par nos troupes mais qu’il a, ce jour-là, le triomphe modeste.
Le 21 novembre, le général Gilles saute à son tour sur « Natacha », en même temps que le lieutenant-colonel Langlais. Bigeard, par radio, dirige les « B26 » vers les Viets. L’opération « Castor » ressemble maintenant à un entraînement de routine.
Pierre Langlais écrira :
« Le 21 novembre 1953, vers 8 heures, je regardais, suspendu à mon parachute, monter vers moi le vallée de Diên-Biên-Phu. Cette vallée était l’objectif de l’opération « Castor » déclenchée la veille et mettant en œuvre, aux ordres du général Gilles, 6 bataillons paras articulés en 2 groupements. Je commandais l’un de ces groupements… Le sol, une rizière dure et sèche, approchait rapidement. Je larguai mon sac, pris des tractions et, en me relevant, après un atterrissage assez rude, je constatais que ma cheville gauche refusait tout service. Le lendemain j’étais évacué et, en maudissant ma malchance, je dis à Diên–Biên-Phu un adieu que je croyais bien définitif… ».
48 heures plus tard, les services de transmissions français qui écoutent et décryptent les émissions radios du Vietminh signalent que la division 308 a reçu l’ordre de se porter à marche forcée sur Tuan Giao, bientôt suivie par la 312 et par la division « lourde » 351.
Pour le général Navarre, cela signifie que les Viets se sont détournés de leur projet d’attaque du delta et qu’ils ont décidé d’engager le combat à Diên-Biên-Phu.
« Castor » n’avait été conçue que comme une opération secondaire. Or, de toute évidence, la plus importante partie du corps de bataille vietminh se préparait à livrer bataille à Diên-Biên-Phu.
Si Navarre accepte le combat, l’enjeu de Diên-Biên-Phu deviendra essentiel. S’il le refuse, il prendra un avantage – certes provisoire mais certain – sur son adversaire, empêtré avec ses divisions sur les mauvaises pistes de la Haute Région. Mais, dans ce cas, le Laos, le seul des états de l’« Union Indochinoise » à avoir accepté d’entrer dans l’Union Française, subira le déferlement communiste.
Navarre s’interroge longtemps. Hésitation de Normand sans doute (6) ! Quelques jours avant Noël, il aurait même été tenté d’ordonner le repli de la garnison et de faire cesser les travaux d’aménagement du futur camp retranché. Le général Cogny, responsable du Tonkin, l’en aurait dissuadé, même si, plus tard, il soutiendra le contraire (7). Navarre accepte finalement l’idée de mener bataille jusqu’au bout…
Erwan Bergot (8), qui a participé à la bataille, donne un bilan précis de l’opération « Castor » des 20 et 21 novembre 1953 : « La prise de Diên-Biên-Phu a coûté 15 tués aux paras (dont 11 pour le seul 6èmeBPC de Bigeard) et 45 blessés » (9). Parmi les morts, le médecin-capitaine Raymond du GAP 1, frappé au bout de son parachute. Coté Vietminh, les pertes (identifiées) se montent à 115 tués, ce qui témoigne de l’acharnement du combat.
Après « Castor » les paras ne perdent pas de temps puisque, en quatre jours, ils remettent en service la piste d’aviation. Désormais Diên-Biên-Phu est relié au reste du monde par une noria aérienne qui fonctionne sans arrêt, apportant des renforts de troupes, un important matériel, et embarquant les blessés et les malades.
Le GAP 2, constitué du 8ème Choc du capitaine Tourret, le 1er BEP (10) du commandant Guiraud et du 5ème BPVN (11), des commandants Leclerc et Bouvery, est venu renforcer les trois premiers bataillons de l’opération « Castor». Dès le 23 novembre, 4560 parachutistes sont regroupés dans la vallée et ces troupes s’activent comme des fourmis.
Le 1er janvier 1954, un capitaine parachutiste arrive à Diên-Biên-Phu, affecté au GAP 2 du lieutenant-colonel Pierre Langlais. Il sera fait prisonnier le 7 mai et connaîtra la longue marche vers les camps-mouroirs du Vietminh. Il en reviendra pesant… 39 kilos. A Diên-Biên-Phu, il aura glané la Légion d’Honneur, la TOE (12) avec palmes, et des ennuis de santé que le suivront toute sa vie.
Ce capitaine, c’était mon père. Je lui ai rendu hommage dans mon premier livre (13).
A travers lui, mon hommage va à tous les combattants de cette bataille de titans, à tous ces soldats qui se sont battus pour l’honneur, et qui ont été sacrifiés pour que la France puisse hâter la signature des accords de Genève et abandonner lâchement aux communistes des populations amies qui lui faisaient confiance…
Eric de Verdelhan
30 octobre 2021
1)- « Caravelle » était le journal du Corps Expéditionnaire français d’Indochine.
2)- Le général Gilles termine son temps en Indochine et souffre de gros problèmes cardiaques.
3)- 2ème Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes.
4)- « Pour une parcelle de gloire » de Bigeard; Plon; 1975.
5)- Faits relatés dans la revue « Béret rouge », en 1963.
6)- Bien que lui soit natif de Villefranche-de-Rouergue, les Navarre sont d’origine normande.
7)- Après la chute de DBP, Navarre et Cogny n’ont eu de cesse que de s’accuser de ce désastre.
8)- Rien que sur Diên-Biên-Phu, Erwan Bergot est l’auteur de six livres.
9)- « Bigeard » d’Erwan Bergot; Perrin; 1988. Sur le bilan de l’opération « Castor », aucun auteur n’arrive aux mêmes chiffres: Jules Roy parle de 90 Viets tués, Roger Delpey de 11 tués Français …
10)- Bataillon Etranger de Parachutistes.
11)- 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens. Surnommé le « Bawouan ».
12)- Croix de guerre des Théâtres d’Opérations Extérieures.
13)- « Au capitaine de Diên-Biên-Phu » ; SRE-éditions ; 2011.
Tous ces soldats courageux morts pour la FRANCE font partie des 100 millions de morts de l’idéologie communiste et pourtant, le parti communiste français a toujours pignon sur rue chez nous…
Honneur et Patrie . Respect à tous ces hommes qui ne se sont battus que pour l’honneur . trop jeune , j’aurai aimer en faire partie .