Quand j’ai lu Boulevard Voltaire ce vendredi matin 10 juillet, où pas moins de cinq articles étaient consacrés à la Grèce, j’ai eu peur. Ça y est, ai-je pensé, Boulevard Voltaire a été racheté par un consortium Mélenchon, Laurent, Besancenot & Cie. Car dans quatre des articles, ce sont leurs thèses antieuropéennes et anticapitalistes qui étaient développées, avec hargne, et sous divers aspects. Heureusement le cinquième, signé Henri Temple, redonnait un peu de tenue à ce blog que je lis quotidiennement avec intérêt et grand plaisir depuis sa création par Robert Ménard.
Henri Temple cherche les causes profondes de la situation grecque et en trouve une dans l’inculture de l’élite mondiale, pas seulement française, qui ignore les bases de l’analyse logique et le sens des mots.
Depuis Aristote, explique-t-il, soit 2 500 ans, la monnaie remplit trois fonctions : – moyen intermédiaire pour les échanges, – unité de compte, – réserve de valeur.
Et cette définition n’a pas évolué : le prix Nobel d’économie J.E. Stiglitz la donne toujours en 2002 dans son ouvrage Principes d’économie moderne.
Ces fonctions invariables de la monnaie ne s’exercent qu’à trois conditions :
1 / La maîtrise de l’émission, sans quoi l’instrument de mesure perd son sens et sa proportionnalité (raison pour laquelle cette émission fut, pendant des siècles, une mission régalienne).
2 / La proportionnalité du signe monétaire avec les produits courants (effet facial).
3 / L’adaptation aux besoins d’un système économique et social ouvert au commerce international.
La Grèce fut d’ailleurs un pays qui, il y a trois mille ans déjà, créait des comptoirs commerciaux partout où elle le pouvait (dont Marseille).
Or, qui a cassé récemment ce bon fonctionnement de la monnaie depuis vingt cinq siècles ? Nos élites !
Elles ont cru en des théoriciens fumeux, toujours enseignés dans nos grandes écoles comme Keynes et son système économique que j’appelle depuis longtemps « l’économie du sapeur Camember« .
En voici le principe : quand vous avez creusé un trou, que faire de la terre ? Creuser un deuxième trou plus grand pour y stocker la terre du premier. On voit tout de suite l’absurdité du raisonnement. Or, que dit Keynes ? Que vous pouvez creuser le déficit d’un Etat sans scrupule puisque vous pouvez le combler en empruntant, c’est-à-dire en creusant un autre déficit plus grand qu’il faudra l’abonder d’intérêts (*).
Or, Alexis Tsipras, François Hollande, Michel Sapin et bien d’autres croient toujours dur comme fer que ça fonctionne, bien que Fidel Castro ait dit en juillet 2010 que « ça ne marche pas », comme avant lui l’avaient compris Gorbatchev, Deng Xiaoping et quelques autres socialistes qui ont dit en substance à leurs peuples « assez de misère, l’économie socialiste ça ne marche pas, enrichissez-vous » (DengXiaoping).
Alors quand Christophe Servan s’énerve et parle de « mensonge éhonté. Je veux parler de cette affirmation selon laquelle l’Europe a aidé la Grèce à hauteur de X ou Y centaines de milliards d’euros et que, maintenant, elle doit rembourser. La vérité est qu’en dehors des rétributions prévues par les traités sur les fonds structurels, l’Europe n’a jamais aidé la Grèce, jamais« , il montre qu’il ne connait en rien la situation de la Grèce.
Et quand il prend comme exemple « mettons les choses au clair : si, demain, vous croisez un mendiant et vous lui donnez une pièce de cinq euros, vous l’aidez ; si vous lui dites que vous repasserez le lendemain et qu’il devra vous la rendre avec en sus quelques centimes d’intérêt, non seulement vous ne l’aidez pas, mais je gage qu’il vous enverra vous faire voir chez qui vous savez« , il devient nécessaire de remettre les pendules à l’heure.
Or, il y a eu un abandon bien réel de 103 milliards de dette qui sont un vrai cadeau, et avant cela les premiers 57 milliards donnés à la Grèce venaient bien des fonds structurels et c’est réellement un don non remboursable.
Cet argent venait d’où ? Des poches des contribuables européens, y compris de ceux de pays bien plus pauvres que la Grèce (comme la Slovénie et quelques autres où le Smic est la moitié du Smic grec, où les retraites sont prises beaucoup plus tard, etc.).
Ces milliards étaient donnés pour que la Grèce entame des réformes économiques afin de rattraper son retard.
Qu’en a-t-elle fait ?
Elle l’a distribué, embauché des fonctionnaires inutiles puisqu’ils étaient déjà en surnombre, augmenté les salaires des élus…
Exactement comme si vous donniez 100 euros au mendiant de Christophe Servan en lui disant qu’il aille se payer un costume correct en lui donnant une adresse où on lui donnera un travail en CDI et qu’au lieu de s’y rendre, il l’utilise pour aller se soûler et se payer une fille.
Nicolas Bonnal voit lui la Grèce victime d’un complot mondialiste : « le Minotaure » ne voudrait pas d’un gouvernement grec indiscipliné : « il faut empêcher ce membre de l’OTAN de tomber entre les mains des BRICS. La présence de Tsípras à Moscou le 9 mai dernier avait été mal vécue à Washington« .
C’est l’évidence même, mais de là à en conclure que tout a été machiné depuis des années par les Etats-Unis qui voudraient provoquer une guerre civile en Grèce, il y a de l’abus. Car si les Etats-Unis étaient si malins (au sens diabolique du terme) il leur était beaucoup plus facile et moins cher d’acheter des voix pour empêcher l’élection de Tsipras comme ils savent très bien le faire dans certains petits pays, d’autant plus que la Grèce s’y prête, qui pratique déjà la corruption à grande échelle.
La charge de Dominique Jamet m’a encore plus surpris : « … Plus sensibles à la pression de leurs opinions qu’aux souffrances de son peuple (le peuple grec) et faisant prévaloir les arguments comptables sur les considérations humaines, les tontons flingueurs et les taties tueuses de la Grande Allemagne et des vertueux pays du Nord ont envoyé les pâtres grecs se faire voir aux guichets des banques… Qui fait chanter qui ? La balle que le Premier ministre grec avait cru mettre dans le camp adverse lui a été renvoyée avec une force accrue et, par une perversité raffinée, c’est à lui que l’on impose de se faire le défenseur de la politique qu’il avait combattue et fait rejeter par son peuple. Le scénario du Grivorce, autrement dit du divorce entre la Grèce et l’Union européenne rédigé dans les studios de Bruxelles, a été approuvé par la maison de production Groß Europa. … ».
Salauds d’Allemands et de pays du Nord qui font de la peine au pauvre petit pâtre grec !
N’oublions pas que le petit « pâtre grec » Tsipras est, comme François Hollande, le fils d’une riche famille bourgeoise qui a viré très jeune (17 ans) dans le communisme où il a vu le plus sûr moyen de s’enrichir et d’arriver au pouvoir, ce qu’il a d’ailleurs réussi avec intelligence et opiniâtreté. Et n’oublions pas non plus que l’habitude prise par la Grèce de vivre richement aux crochets de ses voisins ne date pas d’hier. Déjà en 1858 un auteur français de retour de Grèce (Edmond About) disait que la Grèce était un pays où l’on vivait bien sans travailler et surtout sans payer d’impôts, ses dirigeants excellant dans l’art de rançonner les autres pays d’Europe. « La Grèce est le seul exemple connu d’un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance… tous le budgets depuis le premeir jusqu’au dernier sont en déficit… Il a fallu que les puissances protectrices de la Grèce garantissent sa solvabilité pour qu’elle puisse négocier un emprunt… (Les fermiers ne payaient pas leurs impôts) Les contribuables font ce que faisaient les fermiers, ils ne paient pas… Le percepteur est prudent, il sait qu’il ne faut exaspérer personne, qu’il a demauvais passages à traverser pour retourner chez lui… (Ils) se font un plaisir et presue’un point d’honneur à ne pas puer d’impôt« .
Avec le prélèvement à la source, les choses se sont un peu améliorées, mais une étude universitaire de 2009 (université de Chicago) montrait qu’il manque encore chaque année entre 30 et 40 % du montant de l’impôt, soit environ 28 à 30 milliards par an, du fait des entreprises, des professions libérales, des fonctionnaires (petits arrangements entre collègues) et des élus.
Jamet imaginait deux issues : Tsipras se dégonfle et rentre dans le rang, ou bien, la Grèce est mise en faillite, c’est le « grivorce » entre elle et l’Europe. Il ne croyait semble-t-il pas à la première qui verrait Tsipras « se désavouer, se discréditer, se déshonorer« . C’est pourtant la solution choisie par Tsipras dont j’ai déjà dit que, comme Hollande, il est prêt à tout pour garder le pouvoir. Car il vient à la fois de renier les promesses sur lesquelles il a été élu et de renier le résultat du référendum qu’il a lui-même provoqué.
Guillaume Nicoullaud dans Causeur est beaucoup plus clairvoyant que Dominique Jamet : « Le coup de génie de Tsipras et de ses petits camarades aura finalement consisté à convaincre ceux qui ne demandaient qu’à l’être que les Grecs sont victimes de la Troïka, des marchés financiers, des Allemands… Bref, de tout le monde sauf de leurs propres choix« .
Enfin, Gabriel Robin (Boulevard Voltaire) se réjouit de la « salutaire et réjouissante mise au point grecque, qui a donné lieu à de nombreux retournements de vestes de responsables politiques français » (comme Giscard d’Estaing).
Les banques ont joué un rôle essentiel dans cette crise, c’est évident et l’on en revient au problème de la monnaie et à l’ignorance de nos élites : pourquoi les banques et à cause de qui ? Il leur a longtemps été imposé de séparer leurs activités de gestion de l’argent des déposants et celles de spéculation. Qui a supprimé cette barrière qui empêchait les banques de se retrouver dans la situation où se trouvent les banques grecques aujourd’hui, incapables de rendre à leurs clients l’argent qu’il y ont déposé ? Bill Clinton aux Etats-Unis et Lionel Jospin en France, deux hommes de gauche !
De plus les gouvernements les ont encouragées à créer de la fausse monnaie, ou monnaie virtuelle : c’est « la fabrication et l’émission de monnaie par les banques (crédit, titrisation, spéculation), qui n’est plus guère maîtrisé, désormais, par personne. Cette fausse monnaie (ainsi que la qualifiait Maurice Allais) conduit à des enrichissements démesurés et immoraux, humiliants pour les travailleurs utiles à la société. Et donc socialement et politiquement corrosifs« .
On pourrait se demander aussi qui a coupé la monnaie de l’or qui en garantissait la stabilité et la valeur de réserve, ce qui a permis de créer de la monnaie artificiellement.
Voilà deux grands chantiers de plus pour le prochain président : réformer le système bancaire pour le rendre plus honnête et plus rigoureux dans la gestion de l’argent des autres, réformer le système monétaire pour qu’avec de la vraie et saine monnaie, on puise faire de la vraie et saine croissance.
L’Imprécateur
(*) L’énarchie stupide et incompétente qui nous gouverne a – comme à l’accoutumée – transformé en dogme une théorie (keynésienne) qui pouvait éventuellement se comprendre avec le système capitaliste des années 30, mais certainement plus du tout aujourd’hui.
Pour se replacer dans le contexte de l’époque, il faut considérer que les lois sociales étaient quasi inexistantes. Un chômeur, perdant avec son travail l’intégralité de ses revenus, ne pouvait plus consommer et alimentait l’effet pervers « baisse de consommation = baisse de la demande = baisse de la production = chômage ».
Pour casser cet effet pervers, Keynes considérait qu’il valait mieux utiliser des chômeurs à creuser des trous et à les reboucher ensuite, en leur versant un salaire, que les laisser sans revenus, ce qui n’est pas incohérent.
Mais l’indemnisation du chômage est aujourd’hui passée par là, sauf qu’on ne demande pas aux chômeurs de creuser des trous et de les reboucher !
La théorie keynésienne est donc devenue sans objet. Mais nos « zélites », dépourvues d’imagination et d’intelligence, répètent comme des perroquets ce que leurs profs leur ont appris.
MLS