Eric de Verdelhan possède de nombreuses qualités, qui en ont fait un partenaire incontournable de Minurne – Résistance : une culture encyclopédique, une connaissance approfondie de l’Histoire, un style plein d’humour, carnassier et souvent tueur. Mais il ne faut pas trop le chatouiller sur quelques sujets qui le font réagir à la vitesse de la lumière. Comme la franc-maçonnerie, par exemple. Mais quoi qu’on pense des « frères la gratouille » (comme il se plait à les nommer), qu’on soit profane ou initié, apprenti, compagnon ou maître, on ne peut qu’être séduit par ses articles (ses planches, allais-je dire, pour l’énerver).
J’allais oublier… Éric a aussi une grande, une énorme, une gigantesque qualité, qui se fait rare de nos jours, surtout dans les médias et même, hélas, au sein de la classe politique : un amour infini et sans concession pour la France.
« …Desaguliers, La Fayette, Guillotin et les quatre sergents de La Rochelle : nombreux sont les Francs-maçons qui ont glorifié le territoire de Saintonge… »
Jean-Luc Aubarbier (1)
Il me faut l’avouer, je suis un ours, un sauvage doublé d’un misanthrope. Je déteste ce qu’on appelle « les mondanités » : côtoyer, souvent dans l’ambiance bruyante d’une volière, autour d’une table où les plats sont, en général, aussi chiches que prétentieux (et le vin servi avec parcimonie), des gens avec lesquels je n’ai aucun atome crochu, tant ils sont tièdes, tolérants, compréhensifs à l’égard de la dégénérescence de notre pauvre pays, me fatigue et m’ennuie au plus haut point.
Donc, j’évite, autant que faire se peut, les dîners mondains mais il arrive aussi que je sois obligé d’y participer. Dans ces cas-là, j’aime jeter un pavé dans la mare des péroraisons pontifiantes de celui (ou celle) qui parle le plus fort. C’est un plaisir malsain, dirons certains. Je n’en disconviens pas mais si ça peut éviter à mes hôtes de me réinviter, c’est toujours ça de pris !
J’aime bien les repas « à la bonne franquette », entre amis (ou avec des gens sympathiques), autour d’une cuisine roborative et des vins gouleyants. Des soirées ou le rire, l’humour gaulois et la bonne humeur ne sont pas considérés comme des insanités voire des grossièretés.
Récemment je me suis trouvé dans un de ces soupers où je m’ennuie comme un rat mort car le bavard que je suis, n’a absolument RIEN à dire : on m’a appris, quand j’étais jeune, qu’en société, il ne faut parler, ni de politique, ni de religion, ni de son travail. L’humour y est également mal venu et le rire, carrément déplacé. Que reste-t-il alors ? Rien ! Nada ! Que dalle !
Des généralités sur le temps qu’il fait, des platitudes, des fadaises, des lieux communs, bien consensuels, pour ne froisser personne. On y caquette allègrement, et on n’est même pas assuré que la chère y soit de qualité. C’est long comme un jour sans pain ou un discours d’Emmanuel Macron, et, comme eux, ça fait du bien… quand ça s’arrête.
Mais heureusement, dans ces dîners d’un ennui mortel, il y a souvent le con de service : il parle fort, avec assurance et emphase. Il est pontifiant, sentencieux et moralisateur. On sent celui qui sait tout et qui a vécu. Les autres convives l’écoutent avec respect car il est cadre dirigeant, haut fonctionnaire (2) ou général. Habitué à commander, il n’aime pas être contredit, il est donc de bon ton de l’écouter religieusement, avec respect, sans l’interrompre, si possible en opinant du chef (ce n’est pas unes contrepèterie) pour lui signifier votre adhésion totale à ses idées.
Ce soir là, c’était un « général-quart-de-place » issu du Service militaire des essences (3).
Durant sa longue carrière d’embusqué, il n’a jamais risqué sa précieuse peau sur un théâtre d’opération mais il arbore fièrement deux rosettes qu’il doit sans doute à la souplesse de son échine: « la Rouge » et « la Bleue »(4), glanées dans les bureaux. Il ressemble aux bidets « Jacob Delafon » : un robinet bleu pour l’eau froide et un rouge pour l’eau chaude ; ou aux fines porcelaines de Chine qui « supportent bien les décorations mais craignent le feu ».
Nous nous sommes déjà rencontrés, une ou deux fois, chez d’autres mondains. Alors que je n’ai aucune envie d’engager la conversation avec lui (je fais mienne la citation de Michel Audiard « je ne parle pas aux cons, ça les instruit »), il se croit obligé de m’agresser en me demandant :
« Alors, vous êtes toujours aussi obsédé par la Franc-maçonnerie ? ».
Je lui réponds en souriant, sans agressivité : « L’obsession, cher monsieur, c’est une idée, une image, accompagnée d’un état émotif, qui s’impose à l’esprit sans relâche. On peut être obsédé sexuel, mais pas par les « frères la gratouille »… » Je n’ai rien d’autre à dire, mais cet imbécile tient à avoir le dernier mot : « il est vrai que dans votre province, vous êtes peu concerné(s) ».
J’ai omis de vous dire que ce type vient de la région parisienne, ce qui l’autorise à regarder les provinciaux, les gueux, les ploucs, avec la condescendance du gros colon devant le bon sauvage.
Il se trouve que je suis arrivé en Charente-Maritime par hasard. Je n’en suis pas originaire. Feu mon père m’a toujours dit que « la chèvre broute là où est son piquet », c’est donc mon métier d’inspecteur d’assurances qui m’a conduit dans ce beau pays il y a plus de 40 ans. Depuis, en dehors d’un intermède de quelques années en Bretagne, j’y suis resté car je m’y trouve bien.
Mon travail m’amenait à me déplacer dans toute la France, je n’ai donc pas eu, comme tant d’autres, l’obligation d’aller vivre à Paris. Depuis que « la plus belle ville du monde » est devenue, au fil des années, la plus sale, la plus bigarrée et la moins sûre des capitales européennes ; depuis que la grande Bertrande Delanoé puis Haîne Hidalgogol en ont fait « Boboland », j’évite d’y aller.
Mais, hélas, La Rochelle et l’île de Ré sont, comme le Lubéron, des réserves naturelles où le bobo parisien vient se reposer de ses nuits blanches, de ses excès de coke ou de ses partouzes, et se ressourcer en pédalant sur un vélo électrique. À Paris, il pédale toute l’année sur un « Vélib » au milieu d’une faune allogène en scooter ou en trottinette. Chez nous, il pédale aussi mais dans un cadre plus bucolique et surtout beaucoup plus propre.
Mais revenons à mon général-pompiste qui croyait tout savoir. Je me suis vu dans l’obligation de lui rappeler que la « Charente-inférieure » est depuis le 18ème siècle une terre franc-maçonne.
C’est le Rochelais Jean-Théophile Désaguliers qui est considéré comme le père de la Franc-maçonnerie moderne. Il était le fils de Jean Désaguliers, pasteur huguenot réfugié en Angleterre en 1683, juste avant la révocation de l’Edit de Nantes. On raconte que sa femme et son fils le rejoignent en 1690 et que l’enfant aurait quitté la France caché dans un tonneau de vin, (ou dans un panier à linge ?). Devenu pasteur anglican comme son père, en 1712, Jean-Théophile est initié en maçonnerie à la loge « Antiquité ». Il est élu en 1719 comme Vénérable de la loge. En août 1721, à l’occasion d’un voyage en Écosse, il devient membre de la loge des « Maitres maçons d’Edimbourg ».
Les historiens le citent comme grand maitre-adjoint de la « Grande Loge de Londres » en 1724 et 1725. A cette époque, il participe à la rédaction des « anciens devoirs » maçonniques.
Le pasteur James Anderson est chargé de la rédaction de ce qui deviendra les « Constitutions d’Anderson ». C’est ce texte que la « Grande Loge de Londres » adopte pour règle en 1723, fondant ainsi la franc-maçonnerie moderne (5). Jean-Théophile Désaguliers était l’ami et le disciple d’Isaac Newton, lui-même franc-maçon. Il a donné son nom à de nombreuses Loges maçonniques: au temple maçonnique de Montréal, à la « Grande Loge de France », au « Grand Orient de France », à la « Loge Nationale Française », etc…etc…
Dès 1744, la ville de La Rochelle possédait deux Loges maçonniques. Au 18ème siècle, il existait des Loges à Rochefort, Saintes, Saint Jean d’Angely, Marennes, Pons, Marans, Aulnay et Barbezieux.
Un peu plus tard, en 1777, la guerre d’indépendance américaine sera essentiellement une affaire de Francs-maçons. Le jeune marquis de La Fayette y jouera un rôle primordial en posant les bases de l’amitié (maçonnique) franco-américaine. Le « héros des deux mondes » demeura toute sa vie un Franc-maçon actif et un suppôt inconditionnel des Lumières. C’est pour cette raison, entre autres, que, bien que Charentais d’adoption, je n’ai pas mis le moindre centime dans la construction de la copie de « l’Hermione », le bateau de La Fayette, qui s’avère être un gouffre financier.
Et, pour une fois – une fois n’est pas coutume – j’étais d’accord avec Ségolène Royal quand, présidente de notre région, elle avait exigé que le Conseil Régional cesse de subventionner ce projet fumeux. « Démarré en 1997, le chantier fut un spectacle prodigieux. Plus de quatre millions et demi de personnes sont venues et revenues voir travailler les charpentiers, forgerons, ébénistes, gréeurs et voiliers… La route fut plus longue que prévue. Près de huit ans de retard sur le calendrier d’origine. Plus chère aussi. Le budget final s’élève à plus de 40 millions d’euros, dont la moitié pour la seule construction du navire » écrivait « le Monde » en Avril 2015.
Depuis l’eau a coulé sous les ponts et l’ardoise s’est alourdie, c’est un puits dans fond !
Les écolos avaient exigé que le bois servant à la construction de la coque du navire ne soit pas traité avec des produits chimiques. « L’Hermione », rongée par un champignon, est en réparation (ou en sauvetage ?) dans un chantier de Bayonne depuis de longs mois.
Finalement, ce bateau qui voulait symboliser les valeurs de « Liberté. Egalité. Fraternité » de la Franc-maçonnerie, est comme elles, complètement pourri !
Citons le bon docteur Guillotin, Saintais et Franc-maçon, qui inventa le « rasoir national ».
Passons rapidement sur la triste histoire des quatre sergents de La Rochelle, impliqués dans la tentative d’insurrection antimonarchique du général Berton en 1822. Ils refusèrent de dénoncer leurs chefs en maçonnerie dont… le marquis de La Fayette (lequel avait réuni 70 000 francs pour corrompre le directeur de leur prison et les faire évader).
Depuis toujours, la vie politique de Charente-Inférieure a été marquée par la maçonnerie.
Le Frère le plus connu fut Emile Combes qui s’illustra par ses combats contre le catholicisme.
Ce con pontifiant de général, qui pensait que les culs-terreux d’Aunis et Saintonge n’étaient pas concernés par la Franc-maçonnerie n’a pas su me dire pourquoi l’opération d’encerclement de la poche de Royan a été nommée « Opération Vénérable » ? Moi je sais. Et la preuve que je ne suis pas « obsédé » par la Franc-maçonnerie c’est que je vis en Charente-Maritime, que j’adore cette belle région et que je m’y trouve fort bien.
Éric de Verdelhan
13/9/2022
1)-« Guide secret de la Charente-Maritime » de Jean-Luc Aubarbier ; éditions Sud-Ouest ; 2019.
2)- Vous aurez noté, chers lecteurs, qu’en France il n’existe pas de bas fonctionnaires.
3)- Il en faut : ce service est indispensable à la bonne marche de nos Armées.
4)- La « rouge » est la Légion d’honneur, la « bleue », l’Ordre national du mérite.
5)- Ce texte sera remplacé en 1815 par les « nouvelles Constitutions » dont se dote la « Grande Loge Unie d’Angleterre », créée en 1813.
Bravo Éric pour ce pamphlet. J’y ai appris certaines choses que je ne connaissis pas. Je ne fréquente pas les Frères 3 points puisque je suis leur opposé. Je vis près de Nantes , ville de naissance de Anne de Bretagne qui apporta le duché de Bretagne en dot à la France par son marige avec Louis XII. Et pourtant je ne suis pas Nantais comme vous n’êtes pas Charentais. Mais voilà bien tôt 60 ans que j’ai débarqué dans cette ville, de plus en plus pourrie, et je me sens bien dans sa banlieue. Comme vous, mon métier m’a obligé à voyager sur toute la moitié ouest de notre Patrie pendant de longues années. Merci pour ce que vous m’avez appris dans ce texte.
Excellent texte d’information. J’ai apprécié l’humour. Mais je connais peu la Franc-maçonnerie. J’ai l’impression qu’elle fut utile et contructive à une époque, mais qu’elle a viré (je ne sais quand) du côté de la force noire maintenant. Peut-être que je me trompe mais j’aimerais bien savoir à quoi m’en tenir en tant que patriote amoureux de son pays mais déçu par la majorité des Français. J’ai été souvent sollicité par des membres (pas nets) de cette confrérie de la truelle mais par instinct je n’ai jamais voulu en faire partie.