L’histoire se déroule dans une petite bourgade triste de basse Cévenne. Depuis huit jours, le Mistral noir souffle et charrie des nuages aussi sombres que l’âme d’un damné.
Il tombe, par intermittence, une pluie glaciale et les rues, transformées en ruisseaux, sont totalement désertes. Les temps sont durs dans ces contrées retirées du monde où le temps semble arrêté. La bourgade et ses habitants croulent sous les dettes ; ici tout le monde vit à crédit.
Nous ne donnerons pas le nom de cette petite ville, qui ne manque pas de charme… en été, et en dehors des désastreux « épisodes cévenols », pour ne pas faire de publicité à la municipalité socialo-parpaillote qui la gère – ou la saigne ? – depuis vingt ou trente ans sinon plus.
Une grosse Mercedes se gare, dans un crissement de freins, devant le seul hôtel du bourg, à l’enseigne de « La belle Langonaise ». Le propriétaire du lieu, David Tonverre, a donné ce nom à son auberge par amour pour une jolie brune vaporeuse, séduite lors d’un bal populaire, à Langogne, dans le haut pays. Depuis, la belle Langonaise a pris 25 ans, 35 kilos, et elle n’est plus là. David l’a chassée lorsqu’il l’a trouvée, dans une chambre de l’hôtel, faisant la bête à deux dos (1) avec un représentant en farine de châtaigne venu de Florac. Or, David est parpaillot et le VRP était papiste ce qui aggravait grandement l’adultère : cocu, à la rigueur, mais pas par n’importe qui.
Depuis qu’il a chassé son épouse légitime, David Tonverre, vit seul et cultive une haine des papistes aussi vivace que du temps de la guerre des « Camisards ».
Son caractère bourru n’aide pas ses affaires, mais il s’en fout comme d’une guigne.
De la grosse limousine allemande, s’extrait difficilement un Teuton ventripotent et massif. On croirait le fruit d’une copulation contrenature entre Helmut Kohl et Angela Meckel qui furent l’un et l’autre, comme vous le savez, führers du 4ème Reich. Otto Matik, c’est son nom, affiche l’arrogance de son père quand il débarqua au même endroit en 1944, en Panzer, pour faire la chasse aux maquis du Gévaudan. Mais le père était un bel Aryen, svelte et blond, à l’air conquérant ; Otto, lui, est obèse, chauve, et a l’air con… tout court, mais il a l’opulence vaniteuse d’un marchand de Loukoums.
Il rentre dans l’hôtel et plaque sur le comptoir un billet de 200 euros en aboyant :
« Batron, mondrez-moi la meilleure jambre, je peux bayer ! »
David Tonverre est aux anges : enfin un touriste, et plein aux as de surcroît, une aubaine ! Il lui donne les clefs de toutes les chambres et lui déclare : « Choisissez la meilleure chambre, monsieur, et surtout prenez tout votre temps ; ici on n’est pas pressé ».
Otto attaque l’escalier avec la lenteur poussive d’un pachyderme. Dès qu’il a disparu, David traverse la rue et entre chez Nicolas Batoir, le boucher, chez qui il a une « ardoise » de 200 euros.
Le boucher s’empresse de prendre le talbin et court le porter à Bénito Rô, l’éleveur d’origine transalpine qui le fournit en viande. Les parents de ce brave garçon ont choisi ce prénom en souvenir d’un démocrate italien auquel ils vouaient, dit-on, un véritable culte (2).
Bénito peut enfin régler sa facture à la Coop agricole qui le fournit en aliments pour le bétail.
Hilaire Duncon, le directeur de la Coopérative, se précipite au « Café du Commerce », là où se tiennent toutes les conversations politiques, à l’heure de l’apéritif. Conversations qui prennent de la hauteur surtout après le troisième ou quatrième pastis. Il y règle son « ardoise » qui s’élève à 200 euros et commande son « Ricard » habituel.
Le barman, Lucas Grave, un jeune voyou sans foi ni loi, embourbe le billet de 200 euros sans moufter et le refile, en douce, à Marie Couchtoilat, dite « la cagole », une vieille blonde fanée, le sein triste et la fesse molle, qui exerce le plus vieux métier du monde depuis des décennies dans le bourg.
Comme les clients se font de plus en plus rares (et qu’elle les attire de moins en moins), elle fournit ses services à crédit à quelques habitués, dont Lucas le barman.
J’ai omis de vous dire que l’ombrageux David Tonverre, faute de clients, pratique sans le moindre état d’âme le proxénétisme hôtelier :
Il loue, à crédit, une chambre à la vielle catin, or « la cagole » lui doit précisément 200 euros. Elle coure acquitter sa dette en déposant le billet de 200 euros sur le comptoir de la réception de « La belle Langonaise » et retourne à son trottoir en ondulant du croupion.
Otto Matik redescend l’escalier, aussi lentement et lourdement qu’il l’avait monté, et éructe :
« Arh !!! Hôdel franzouss dégeulass ! Che vais tormir ailleurs… ».
Il ramasse son billet, le range dans un portefeuille aussi rebondi que sa bedaine et retourne à sa grosse Mercedes qui démarre en trombe dans un nuage de fumée (3).
La petite ville cévenole retombe dans son ennui et sa torpeur. Dans cette histoire, personne n’a rien produit ; personne n’a rien gagné ; mais plus personne n’est endetté : CQFD !!!!
On raconte qu’au « Café du Commerce » à l’heure de l’apéro, les discutions vont bon train. Le receveur des postes – qui est parpaillot et de gauche – le directeur de la Coop agricole – qui est de droite et papiste – et l’instituteur – qui est écolo-végétarien athée – philosophent sur des notions d’économie. Au troisième ou quatrième pastaga, ils sont tombés d’accord grâce à l’histoire du billet de 200 euros. Ils ont compris le libre échange débridé et l’économie macroniste. C’est comme ça que fonctionnent les plans de sauvetage au profit des pays européens en difficulté.
Comme quoi, il n’est pas indispensable d’avoir fait Sciences-Po ou l’ENA.
Pour ma part, malgré mes origines cévenoles (et bien que mes aïeux comptent des papistes et des parpaillots), je n’ai absolument rien compris. Mais on me traite assez régulièrement de « fin de race », alors, ceci explique sans doute cela ?
Cédric de Valfrancisque
27 avril 2023
1)- Laquelle, malgré le lieu, n’a rien à voir avec la bête du Gévaudan.
2)- Comme je ne suis pas italien, j’ignore de qui il s’agit ?
3)- Car, c’est bien connu, les touristes à monnaie forte sont écolos et font preuve de civisme chez eux mais pas forcément chez nous. On me dit que les Allemands ont pris la sale habitude de se croire en pays conquis en juin 1940.
Génial
J’ai compris
J’attends donc que l’on vienne me casser la gueule ou peut-être me serai je casser avant
Texte succulent…
L’histoire de Cédric de Valfrancisque démontre que seul l’argent qui circule produit de la richesse, on l’a bien vu avec l’argent qui dormait à la CVB…qui a généré de la pauvreté.
N’est-ce pas ce qui se passe avec le grand sujet de la retraite et la compréhension que le public en a?
J’avais conservé votre texte de 2021, c’est un régal de le relire aujourd’hui !
Cette histoire, forcément vraie, m’en rappelle une autre :
Supposons que, chaque jour, 10 potes sortent prendre quelques bières et que leur addition se monte à 100 €.
S’ils payaient leur addition de la manière dont les français payent leurs impôts, la répartition ressemblerait à ça :
* Les quatre premiers (les plus pauvres) ne paieraient rien.
* Le cinquième paierait 1 €.
* Le sixième paierait 3 €.
* Le septième paierait 7 €.
* Le huitième paierait 12 €.
* Le neuvième paierait 18 €.
* Le dixième homme (le plus riche) paierait 59 €.
C’est ce qu’ils décident de faire et sont ravis de cet arrangement jusqu’au jour où le barman leur dit : « Puisque vous êtes tous de si bons clients, je vais réduire le coût de votre addition quotidienne de 20 € ; cela vous fera -20%. »1
Le groupe décide de prolonger l’arrangement initial. Cela ne changerait rien pour les quatre premiers mais pour les six autres, les clients “payants”, comment s’assurer que chacun bénéficie équitablement de cette réduction ?
Ils calculent que 20 € divisé par six revient à 3,33 €. Mais cela reviendrait à payer le cinquième et le sixième pour boire leurs bières ce que tous trouvent vraiment trop absurde…
Comme ils n’arrivent pas à se mettre d’accord, le barman leur propose de réduire lui-même l’addition de chacun afin que tous y gagnent :
* Les quatre premiers continuent à ne rien payer.
* Le cinquième, qui ne payait qu’un euro, rejoint les quatre premiers et ne paye plus rien (économie de 100 %).
* Le sixième paye désormais 2 € au lieu de 3 € (économie de 33 %).
* Le septième paye 5 € au lieu de 7 € (-28 %).
* Le huitième paye 9 € au lieu de 12 € (-25%).
* Le neuvième paye 14 € au lieu de 18 € (-22%).
* Le dixième paye 49 € au lieu de 59 € (-16%).
Ainsi chacun s’en tire mieux qu’avant (et oui, ils ne payent plus que 79 € en tout, encore un euro de moins même : pas de ma faute si le barman est généreux).
Mais, une fois en dehors du bar, ils commencent à comparer leurs épargnes respectives :
« J’ai seulement obtenu un euro d’économie sur les 20, alors que le n°10 en a obtenu 10 ! », se plaint le n°6.
« Ouais, c’est exact », hurle le n°5. « Moi aussi je n’économise qu’un euro ! Il est totalement injuste que le n°10 obtienne 10 fois plus que moi ! »
« Ils ont raison », tonne le n°7. « Pourquoi devrait-il récupérer 10 € quand j’en récupère seulement 2 ! Ce sont toujours les riches qui profitent ! »
« Attendez une minute !!! » Ajoutent les quatre premiers à l’unisson. « Nous, nous n’avons rien obtenu du tout ! Le système exploite les pauvres ! »
Les neuf mécontents entourent le dixième et lui cassent la figure.
La nuit suivante, le dixième homme ne vient pas au bar.
Quand vient l’heure de payer, les autres découvrent qu’ils n’ont pas assez d’argent entre eux pour payer ne serait-ce que la moitié de l’addition !
Pour ceux qui ont compris, aucune explication n’est nécessaire. Pour ceux qui n’ont toujours pas compris, aucune explication n’est possible.
Voilà une autre histoire malheureusement tout aussi vraie que la vôtre, vraie dans le sens où nous subissons cette horreur socialiste tous les jours.
Bien amicalement.