TERRITOIRE DE FRANCE OU PROVINCE : UN FAUX DÉBAT (Franck Buleux)

Franck Buleux est enseignant, diplômé en droit et en sciences politiques, formateur dans les domaine des assurances. Auteur passionné par la Normandie, il a été Président de  l’association des écrivains normands.

Voici une belle réflexion sur la France et ses fractures liées à la provincialisation ou à territorialisation.

 

 

Un débat semble être engagé sémantiquement, y compris et surtout dans les hautes sphères politiques françaises, pour définir une zone géographique extérieure aux départements composants l’Île-de-France.

En effet, la proximité de Paris vaut, journalistiquement parlant, le fait de résider dans la capitale et le terme désuet, mais tellement utilisé, de « près de Paris » tend à l’assimilation du Francilien à la ville-lumière. Au demeurant, nos voisins Picards de l’Oise sont souvent estimés être domiciliés « près de Paris ». Dans le même esprit, Saint-Clair-sur-Epte, commune qui a vu, en 911, la fondation de l’identité territoriale normande, par le traité formé entre le roi des Frances Charles III le Simple et Rollon, est bien située dans le Val-d’Oise, donc « près de Paris », malgré son héritage normand.

Longtemps, le terme « province » a prévalu pour signifier un espace non francilien, provenant du latin pro vincere, représentant des pays vaincus par l’Empire romain et mis sous la tutelle du vainqueur via un gouverneur (préfet de l’époque).

Rome semble un temps lointain mais au XIXe siècle encore, Honoré de Balzac relevait que « La France (…) est partagée entre deux grandes zones : Paris et la province, la province jalouse de Paris » dans son ouvrage La Muse du département.

De population vaincue, le provincial devient le niais, celui qui n’a pas la culture, l’entregent, les relations du parisien, lui seul informé et doté d’une intelligence que l’on pourrait qualifier de purement géographique. Passez le cours de l’Epte et vous deviendrez instruit ! À Saint-Clair-sur-Epte, l’esprit vous vient tandis qu’à Château-sur-Epte (commune située dans l’Eure), vous êtes dans l’obscurantisme provincial !  On peut devenir parisien mais on vient toujours « de province », gardant ainsi des mœurs primaires. Je ne sais pas, à vrai dire, combien de générations sont nécessaires pour ne plus être « Normand de Paris » ou « Breton de Paris ».

Nos politiques, souvent parisiens même s’ils sont élus en « province » (la liste des « Normands » d’adoption – par les électeurs – est longue : Laurent Fabius, Ladislas Poniatowski, Michel d’Ornano, Jean-Louis Debré, Bruno Le Maire, André Fanton, Nicolas Bay, Elisabeth Borne…, tendent à passer de l’expression de « province » à celle de « territoire ». Souvent battus à Paris ou ailleurs (Debré, Poniatowski, Fanton…) ils ont su capter la confiance des Normands, habitants d’une province « tempérée » politiquement et facilement inclusive de horsains. Un peuple aussi tolérant ne peut que mériter des cadres politiques parisiens. Souvenez-vous, en 2014, Rouen avait une réelle envie de voir David Douillet (champion de judo et élu dans les Yvelines à l’époque) candidater… Cette envie était tellement élevée qu’il a d’ailleurs préféré renoncer.

Le territoire, lui, fleure bien la « terre », celle sur laquelle s’épanouit une population qui, elle-même, se nourrit de cette « terre » la rendant nécessaire. Cette vision charnelle entre un peuple et la terre d’où il est issu ou où il s’est installé n’est pas sans nous déplaire.

Pourtant, le terme « territoire » vient également à donner un caractère négatif à la terre. L’abus de ce terme par nos politiques parisiens n’est pas étranger à cette évolution sémantique.

Les ministres macroniens, dont le parisianisme n’est pas à démontrer, abusent de « territoires » (depuis l’ancien Premier ministre Jean Castex), parlant d’une ruralité sans démographie, ni professionnels de santé, ni migrants… Bref, le vide sidéral. Parfois, nos ministres louent le « dynamisme » de tel ou tel « territoire », comme s’il fallait distribuer des « bons points ». Comme si le territoire était devenu une terre anonyme, une technostructure gérée par un préfet issu des écoles parisiennes, parfois déconcentrées à Strasbourg ou ailleurs mais dont l’esprit reste celui de la capitale. L’École alsacienne (sic) est bien installée dans le 6e arrondissement de Paris.

Bien sûr, « territoire » est moins condescendant que « province » mais en abuser renvoie à des zones à instruire, à faire évoluer, à « investir » y compris par des cadres en télétravail, des fonctionnaires en manque de postes, des touristes ou… des migrants. Paris est « complet » et la préparation des Jeux olympiques de 2024 laisse augurer la préparation d’un « modèle » touristique aux yeux du monde. Les inégalités de ressources sont flagrantes en France : conscient de cet état, de Gaulle avait créé en 1963 la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar). En 1972, le ministère de l’Aménagement du territoire avait vu le jour… déjà, le « territoire » plutôt que la « province ».

L’âme du territoire est l’essence de chacun d’entre nous. D’ailleurs, depuis Georges Pompidou, chaque président, ou presque, provient d’un territoire : le Cantal, le Puy-de-Dôme, la Nièvre, la Corrèze… Une France du « cœur », pas du « centre ».

Le président Macron, lui provient du secteur bancaire et du ministère de l’Économie. Il n’est plus question de « part de France ». Province ou territoire, le vrai problème n’est pas forcément le terme mais celui qui l’invoque.

Le mépris technocratique peut s’entendre dans le terme « territoire ». Que représente la circonscription de Vire pour Élisabeth Borne sinon son territoire électoral ?

Seule une démarche visant à « libérer les territoires » en offrant plus de pouvoirs aux collectivités (et donc plus de moyens budgétaires) établira une politique harmonieuse française.

La « provincialisation » des Gilets jaunes les a rendus totalement « ringards », la « territorialisation » du vote Le Pen l’a rendu hermétique au savoir des universités (présentes principalement dans les Métropoles, très défavorables au vote RN), la « territorialisation » des « déserts médicaux » rend le tourisme médical parisien nécessaire en cas de maladie grave… 

Les Alsaciens parlent de « Français de l’intérieur » pour désigner les « autres » ; les politiques parisiens semblent hésiter entre « provinciaux » et « territoriaux ». Puissent-ils comprendre que la France s’entend d’un vaste espace qui ne s’arrête pas à un périphérique bruyant, sale et pollué par les véhicules thermiques.

Ah, au fait, vous avez eu un peu de temps pour suivre le Tour de France cycliste dont les animations historiques prodiguées par Franck Ferrand sont précises et spirituelles ? Certes, il n’est pas passé en Normandie mais quel plaisir de traverser, avec de vrais sportifs, toutes ces… contrées !

Franck Buleux

28 août 2023

3 Commentaires

  1. Oui Marjan Monti, tous les Algériens ont tout compris; d’une part ceux qui viennent se gaver en France parce que leur gouvernement est incapable de leur assurer quoi que ce soit, d’autre part ceux qui, aux premières loges de la décénnie de guerre civile, lancent l’alerte parce qu’ils ont trop à craindre dudit gouvernement de mafieux.

    Franck et Jean-François, pas de désespoir intégral, l’idée d’une initiative normande pour la Normandie est en gestation; qu’on se le dise.

  2. « Un peuple qui se laisse conduire à l’abattoir comme des moutons n’est pas victime mais coupable ». Mazouz Hacène
    Encore un Maghrébin qui dit ce qu’il faut dire ! lui a tout compris au contraire des Gaulois !

  3.  » Un peuple aussi tolérant ne peut que mériter des cadres politiques parisiens.  »
    Mouais.. depuis 1204, et pire encore 1450, la tolérance des Normands, au-delà de la défiance, ressemble bien à du dédain : Druker, Stirn, Borne à Vire (d’où les bleus n’osaient sortir dans les années 1790) et les autres ailleurs…
    Mayer-rossignol accessoire « maire » de Rouen pour accéder à SA métropole ne sait même pas où il est né et se présente comme normand. Cela fait-il rire les intéressés : réponse dans les résultats électoraux dont chacun peut récupérer les analyses à sa convenance. Le peuple Normand a de toutes façons dit sa messe.

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