D’UN MONDE À L’AUTRE, UNE MUTATION SANS PRÉCÉDENT DANS L’HISTOIRE. (Jean Goychman)

Les Conquistadors - Fernando Cervantes | Conflits : Revue de Géopolitique

 

Il est peu probable que les « conquistadors » espagnols de la fin du XV ème siècle aient eu conscience que l’ère qui s’ouvrait devant eux allait façonner la géopolitique planétaire pendant plus de cinq siècles.

De ce partage du monde né de la colonisation de terres jusque-là inaccessibles et de l’importation de leurs richesses, ces puissances impériales ont préféré se combattre plutôt que d’essayer de trouver les moyens d’un développement concerté qui aurait pu conduire à une certaine harmonisation par le biais d’échange réciproques entre conquérants et également avec les peuples conquis.

Ces puissances se sont succédé, chacune voulant à son tour accroître sa part de domination du monde.

La fin de la seconde guerre mondiale a vu l’apparition d’un monde bipolaire et la disparition de l’URSS en 1991 allait faire des Etats-Unis la puissance hégémonique. Bref, l’empire américain dominait le monde sans partage.

Cette domination reposait en grande partie sur la puissance maritime, civile et militaire, et sur le contrôle de l’émission du dollar, devenu monnaie mondiale.

UNE DOMINATION CONTESTÉE

Ce « nouvel ordre mondial » donnait le contrôle intégral du monde à une petite élite mondialiste qui pensait l’exercer en installant un gouvernement mondial. Cela supposait la disparition des nations et des peuples qui les avaient constituées.

Décès du milliardaire philanthrope américain David Rockefeller

David Rockefeller, dans ses mémoires, est très clair :

« Certains croient que nous (la famille Rockefeller) faisons partie d’une cabale secrète travaillant contre les meilleurs intérêts des États-Unis, caractérisant ma famille et moi comme des « internationalistes » et conspirant avec d’autres partout dans le monde pour construire une structure politique et économique globale plus intégrée – un seul monde, si vous préférez. Si c’est l’accusation, je suis coupable et fier de l’être. »

L’erreur (de son point de vue) ou la chance du « reste du monde » suivant l’opinion qu’on peut avoir, est que cette oligarchie a voulu trop tôt organiser ce monde pour optimiser ses bénéfices en faisant des pays « émergents » l’atelier du monde, leur conférant ainsi une puissance économique qui allait la dépasser quelques années plus tard.

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En août 2019, lors de la réunion des banquiers centraux à Jackson Hole (Wyoming), Marc Carney gouverneur de la banque d’Angleterre, entérinait cette situation.

 ERREUR (VOLONTAIRE OU NON) DES MÉDIAS PRO-OCCIDENT

 Patiemment, au fil du temps, la contestation de ce pouvoir hégémonique s’est développée. Peu de médias traditionnels en ont parlé. Les choses s’activaient pourtant. Un certain nombre d’organisations internationales ont vu le jour depuis le début du 21ème siècle, comme les BRICS ou l’OCS. C’est la guerre en Ukraine qui les a mis en pleine lumière. Les commentateurs pro-Occident cherchent tous à en minimiser l’impact, arguant que ces pays ont, en réalité, peu de choses en commun et beaucoup de différents entre eux. N’ont-ils rien compris ou bien ne veulent-ils pas comprendre quelle est la finalité ?

Persuadés que leur système de pensée est unique et universel, ils n’hésitent pas à dénigrer ces rapprochements entres nations car ils ne voient cela que sous l’angle du fédéralisme, comme s’il était toujours l’étape ultime de la démarche.

La vision d’un monde futur organisé différemment, qui consacrerait les État-nation, ne leur saute guère aux yeux. Pourtant, elle apparaît clairement à qui se donne la peine de regarder.

 LES BRICS NE SONT QU’UN RÉCEPTACLE POUR UNE ARCHITECTURE NOUVELLE

Nous quittons l’ère des puissances maritimes et de leur volonté hégémonique pour un monde de puissances continentales.  Les nations non-occidentales sont en train de s’organiser autour de leurs continents respectifs. Ces continents seront les pôles de ce monde multipolaire. Une analyse rapide montre que les BRICS sont présentes dans quatre continents :

L’Europe avec la Russie et bientôt la Biélo-Russie, l’Asie avec la Chine, l’Inde et récemment rejointes par l’Iran, les Emirats et l’Arabie Saoudite, l’Afrique avec l’Afrique du Sud et, bientôt de nombreux autres postulants et l’Amérique du Sud avec le Brésil et l’Argentine en 2024, en sont le signe manifeste.

Il paraît évident que tout ceci n’a rien à voir avec une structure d’intégration. Il s’agit uniquement d’une structure de coopération présente dans ces continents qui veulent échapper globalement à la domination à laquelle ils ont dû se soumettre depuis des décennies.

 LES PAYS DE L’UNION EUROPÉENNE DEVRAIENT SE POSER LA QUESTION DE LEUR AVENIR DANS CE MONDE FUTUR.

 Le cas de l’Europe est préoccupant car, réduite à l’Union Européenne, elle ne possède aucune des ressources qui peuvent permettre le développement futur des autres continents, surtout si la Russie décide de rejoindre l’Asie. On pourrait aussi développer une autre vision, qui serait celle de considérer le « grand continent », appelé par Mackinder « l’ile du monde » forme un seul et même ensemble, mais cela déséquilibrerait le monde et ce n’est pas souhaitable.

Il serait beaucoup plus logique d’avoir une vision « Gaullienne » d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural » qui redonnerait une véritable autonomie à l’Europe en tant que continent, même si cela va à l’encontre de la politique étrangère de l’Angleterre, puis des États-Unis, depuis prés de deux siècles. Ceux-ci se sont, avec constance, toujours opposés au moindre rapprochement économique entre la Russie et l’Europe occidentale. C’est une des raisons pour lesquelles ils ont, dès l’aube de la construction européenne. Ils en ont contrôlé le processus et de Gaulle l’avait rappelé dans sa conférence sur l’intégration européenne du 15 mai 1962

Vu sous cet angle, comment croire que cette guerre en Ukraine n’est pas venue à point nommé et dont la véritable cause n’est jamais évoquée ?

Les récents évènements survenus en Israël participent-ils de ce grand bouleversement ?

Il est encore un peu tôt pour le dire, mais, au-delà de la sidération que provoque un tel summum de l’horreur, on ne peut exclure qu’il ne s’agisse d’une sorte d’opération à tiroirs successifs dont les développements successifs sont encore à venir.

Jean Goychman 

11 octobre 2023