Hommage au « Grand Charles ».
« Quand un régime tombe en pourriture, il devient pourrisseur : sa décomposition perd tout ce qui l’approche »…
« Ni aujourd’hui ni jamais, la richesse ne suffit à classer un homme, mais aujourd’hui plus que jamais la pauvreté le déclasse ». (Citations de Charles Maurras).
Parmi les manies bien françaises, il en est une qui m’irrite au plus haut point ; celle de faire parler les morts ; de leur faire dire en réalité ce qu’on a envie d’entendre. Entre 1958 et 1968, un peu plus de la moitié des Français se déclarait gaulliste, mais en 1969, de Gaulle s’est fait sortir par ceux auxquels il pensait naïvement avoir redonné une dignité en leur vendant le roman de « la France libérée par elle- même » en 1944-45. Du vivant du « général-micro », on pouvait être « gaulliste de la première heure », « gaulliste de gauche », « gaulliste social », « gaulliste de progrès », « gaulliste du centre » etc… Ces différents courants étaient traités de « Godillots » par l’opposition de droite.
J’ai souvent écrit que le gaullisme n’a jamais été un programme politique, un courant de pensée ou une idéologie, c’était une idolâtrie : un peuple de veaux (selon de Gaulle lui-même) vénérait son veau d’or. Arrivé une première fois au pouvoir sur une imposture, qui déboucha sur une épuration féroce, il y reviendra au lendemain du 13 mai 1958 pour « sauver l’Algérie française ». On connaît la suite : le massacre de 120 000 Harkis et leurs familles, 1 million 1/2 de « Pieds noirs » qui n’eurent d’alternative qu’entre « la valise ou le cercueil », 3 ou 3 500 disparus… La fin, aussi, de notre autosuffisance énergétique avec le bradage des hydrocarbures du Sahara. Sans parler de la politique catastrophique de la « Francafrique » (ou « France à Fric » ?) dans nos anciennes colonies.
Mais de Gaulle, c’était d’abord le sens du verbe, et aussi une indéniable prestance. Depuis, en dehors de Georges Pompidou, la France m’aura connu que des voyous, des incompétents ou des escrocs, parfois les trois à la fois. Je peux donc comprendre que, de nos jours, tout le monde ou presque se réclame du gaullisme et nous explique ce qu’aurait dit, ce qu’aurait fait, de Gaulle.
Pour moi, ce 20 avril est une date anniversaire. Je m’autorise donc à honorer la mémoire du « Grand Charles ». Pas de Gaulle mais Charles Maurras, qui aura été l’un des plus grands intellectuels de la fin du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème. Maurras est né le 20 avril 1868 à Martigues. Écrivain et poète provençal appartenant au « Félibrige », agnostique dans sa jeunesse, il se rapproche ensuite des milieux catholiques. Autour de Léon Daudet, Jacques Bainville, et Maurice Pujo, il dirige le journal « L’Action française », fer de lance de la formation du même nom : royaliste, nationaliste et contre-révolutionnaire. « L’Action Française » a été le principal mouvement politique de droite sous la 3ème République. Outre Léon Daudet et Jacques Bainville, Charles Maurras compte parmi ses soutiens des gens comme Georges Bernanos, Jacques Maritain, Thierry Maulnier, Philippe Ariès, Raoul Girardet (et, plus tard, le mouvement littéraire des « Hussards »). Avec plus de 10 000 articles publiés entre 1886 et 1952, Maurras demeure le journaliste politique et littéraire le plus prolifique de son siècle. Il aura une influence énorme dans tous les milieux. En 1905, il publiait « L’Avenir de l’intelligence », livre (prémonitoire) qui mettait en garde contre le règne de l’argent et son emprise sur les intellectuels.
Au lendemain de la Grande Guerre, la popularité de « L’Action Française » se traduit par l’élection de Léon Daudet comme député de Paris. Mais un grand nombre de ses dirigeants sont tombés au Champ d’Honneur. Maurras leur rendra hommage dans « Tombeaux » en 1921 (1). Dès 1918, Maurras réclamait une paix qui serve les intérêts de la nation : la division de l’Allemagne, l’annexion du Landau et de la Sarre, un protectorat français sur la Rhénanie. Là où les politiques parlent de droit, de morale, de générosité, « l’Action française » affirme la nécessité du réalisme pour préserver les équilibres internationaux. Dès 1922, Maurras a des informations précises sur Hitler. Dès lors, il dénonce le pangermanisme de la République de Weimar. En 1930, il dénonce l’abandon de Mayence par l’Armée française et titre « Le crime contre la Patrie ». La même année, « L’Action française » publie une série d’articles sur le National-socialisme allemand, présenté comme « un des plus grands dangers pour la France ». L’obsession de la menace hitlérienne se traduit par l’ouverture du journal à des officiers signant sous pseudonyme.
En 1932, le général Maxime Weygand dénonce la politique de désarmement menée par la gauche : « L’Armée est descendue au plus bas niveau que permette la sécurité de la France ». En 1933, Maurras écrivait : « Quoi que fassent ces barbares, il suffit d’appartenir au monde de la gauche française, pour incliner à leur offrir de l’encens, le pain, le sel et la génuflexion». En 1934, après la « Nuit des Longs Couteaux », il fustige l’« abattoir hitlérien ». La menace allemande constitue le fil rouge de ses préoccupations. En 1936, Maurras préface l’ouvrage antinazi de la comtesse de Dreux-Brézé. Il essaiera aussi de détourner Mussolini d’une alliance avec Hitler, puis, inquiet, il prendra diverses initiatives pour renforcer les chances de notre pays en cas de conflit. Entre temps, récompense suprême de son œuvre monumentale, le 9 juin 1938, il est élu à l’Académie Française.
Mais le président Albert Lebrun refuse de le recevoir comme le voulait l’usage. Albert Lebrun, pour ceux qui connaissent mal notre histoire, a été le président du Front Populaire, celui qui, en juillet 1940, refila, la peur au ventre, les clefs du pouvoir au maréchal Pétain et qui eut l’impudeur, à la Libération, de venir demander à de Gaulle de le laisser terminer son second mandat. Le chansonnier Martini le surnommait « Le sot pleureur » et la presse d’opposition « Larmes aux pieds ». De Gaulle, à qui je reconnais un véritable talent pour la formule vacharde, dira de lui : « Comme chef d’Etat, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État. ».
En 1940, « L’Action Française » titre en gros caractères: « Le chien enragé de l’Europe, les hordes allemandes envahissent la Hollande, la Belgique, le Luxembourg. » Et Maurras écrit : « Nous avons devant nous une horde bestiale… ». Dès le 3 septembre 1939, il reprend les accents bellicistes de l’Union Sacrée. Jusqu’aux derniers combats de juin 1940, il apporte un soutien sans faille à l’effort de guerre, mais il approuve l’armistice comme… l’immense majorité des Français. Et il qualifie de « divine surprise » l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain. La « divine surprise » ce n’est pas la victoire de l’Allemagne, comme certains ont cherché à le faire croire à la Libération, mais l’accession au pouvoir du maréchal Pétain et le sabordage de la République par les parlementaires républicains eux-mêmes.
D’ailleurs Maurras soutient le régime de Vichy, pas la politique de collaboration, car il est nationaliste et profondément germanophobe. Il s’oppose à toute orientation germanophile ; il voit dans les partisans de la collaboration les continuateurs de Jaurès et Briand et écrit que « la grande majorité des partisans de la politique de collaboration vient de la gauche française : Déat, Doriot, Pucheu, Marion, Laval, une grande partie de l’ancien personnel briandiste. »
Maurras est d’ailleurs regardé comme un adversaire par les Allemands qui font piller par la Gestapo les bureaux de « l’Action française ». En 1943, les Allemands placent Maurras parmi les personnes à arrêter en cas de débarquement. Et, en mai de la même année, en dépit de sa franche hostilité à Pierre Laval, il reçoit des mains du maréchal la Francisque Gallique (n° 2068).
Rappelons que le « résistant Morland » – un certain François Mitterrand – a été décoré de la Francisque un peu avant Maurras (N° 2022) et que ça ne choque personne.
Sous l’Occupation, les membres de « l’Action française » se divisent en trois groupes : celui des maurrassiens orthodoxes, antiallemands mais fidèles au maréchal, celui des collaborationnistes ouvertement pronazis (Robert Brasillach, Charles Lesca, Darquier de Pellepoix ou Joseph Darnand), et celui des résistants : Honoré d’Estienne d’Orves, Michel de Camaret, Henri d’Astier de La Vigerie, Gilbert Renault, Pierre de Bénouville, Daniel Cordier ou Jacques Renouvin. Le colonel Rémy dira que sa décision de résister résulta de son imprégnation de la pensée de Maurras. En revanche, ceux qui ont rejoint la collaboration déclarent avoir rompu avec l’essence de sa pensée : Rebatet qui se déchaînera contre Maurras, ou Brasillach que Maurras refusera de revoir.
À la Libération, les épurateurs se souviendront que Charles Maurras était antigaulliste. Il est emprisonné et, le 28 janvier 1945, la Cour de justice de Lyon le déclare coupable de haute trahison et d’« intelligence avec l’ennemi ». Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale. Il commenta sa condamnation par une exclamation restée célèbre : « C’est la revanche de Dreyfus ! » Selon l’historien Eugen Weber, le procès, bâclé en trois jours, fut un procès politique.
Les jurés ont été choisis sur une liste d’ennemis politiques de Maurras, les vices de forme et les trucages ont été nombreux, le motif choisi est le plus infamant et le plus contradictoire avec le sens de sa vie : Maurras était viscéralement antiallemands. De sa condamnation (art. 21, ordonnance du 26 décembre 1944), découle son exclusion de l’Académie Française (2). Entre 1945 et 1952, Maurras publia quelques-uns de ses textes les plus importants. Bien qu’affaibli, il collabore (sous un pseudonyme) à « Aspects de la France », journal fondé par des maurrassiens en 1947, à la suite de l’interdiction de l’Action française. Le 21 mars 1952, il bénéficie d’une grâce médicale accordée par le président Vincent Auriol. Il est transféré à la clinique Saint-Grégoire de Saint-Symphorien-lès-Tours.
Il meurt le 16 novembre 1952, après avoir reçu les derniers sacrements.
Certains démocrates-CRETINS ont cherché à accréditer la thèse de la conversion inventée rétrospectivement, mais le témoignage de Gustave Thibon atteste du contraire ; il écrit : « Je n’en finirais pas d’évoquer ce que fut pour moi le contact avec Maurras… je l’entends encore me parler de Dieu et de la vie éternelle avec cette plénitude irréfutable qui jaillit de l’expérience intérieure. J’ai rencontré beaucoup de théologiens dans ma vie : aucun d’eux ne m’a donné, en fait de nourriture spirituelle, le quart de ce que j’ai reçu de cet « athée » ! ». Les dernières paroles de Charles Maurras furent un alexandrin : « Pour la première fois, j’entends quelqu’un venir ».
Charles Maurras a laissé une œuvre immense : une centaine de livres, des milliers d’articles.
De lui, je n’ai lu que trois ou quatre livres (et quelques articles) : son « Enquête sur la Monarchie » (publié en 1903) et « Mes idées politiques » (publié en 1937). Un livre de vulgarisation de sa pensée qui devrait faire partie des programmes scolaires… si la pluralité de pensées politiques avait encore un sens dans notre pays décadent.
Alors, tant pis ! Je prends le risque de choquer les ayatollahs des « acquis des Lumières », les défenseurs des « Valeurs républicaines » (3) mais je pense que le père du « Nationalisme intégral » et de l’« Empirisme organisateur » – dont nos énarques feraient bien de s’inspirer – avait compris pourquoi notre pays va de mal en pis depuis qu’il a tué « Le Trône et l’Autel ». Ernest Renan qui n’est pas un de mes maîtres-à-penser, a écrit : « Le jour où la France a coupé la tête de son Roi, elle a commis un suicide ».
C’est aussi mon avis !
Éric de Verdelhan
20 avril 2025
1)- Henry Cellerier, André du Fresnois, Pierre Gilbert, Léon de Montesquiou, Lionel des Rieux, Jean-Marc Bernard, Albert Bertrand-Mistral, et 21 rédacteurs de la « Revue critique » dont Joachim Gasquet, Octave de Barral, Henry Lagrange, Augustin Cochin.
2)- L’Académie Française attendra cependant sa mort pour procéder à son remplacement.
3)- Il faudra qu’on m’explique un jour en quoi ces fameuses « valeurs républicaines » dont on nous rebat les oreilles diffèrent des oukases maçonniques ?
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Une petite rectification de forme cher Eric de Verdelhan : dans la dernière note s’est glissée une erreur probablement due au correcteur automatique. On ne rabat pas les oreilles, mais on les rebat.
C’est corrigé. Bravo pour votre vigilance !