Chaude ambiance sur le plateau de Paris-Première ce mercredi soir. Après un début intéressant sur les sujets d’actualité de la semaine entre les deux Éric, la tension monta d’un cran au bout d’une heure environ. Le débat portait sur les énarques qui alternaient entre les emplois de la haute fonction publique et les postes qu’ils occupaient dans certaines entreprises privées, qui n’étaient, bien sûr, pas des PME…
La loi de 73 revient sur la scène
Toujours est-il qu’à un moment donné, le journaliste invité, Périco Légasse, rédacteur en chef de la revue Marianne et grand spécialiste de l’art culinaire (rien à voir avec la petite cuisine sur le petit réchaud) a remis sur le devant de la scène la fameuse loi, bien connue dorénavant de nos lecteurs, et qu’on appelle – entre autres – la « Loi du 3 janvier 1973 ». Je ne reprendrai pas dans le détail le texte de cette loi, quelquefois désignée sous le nom de loi « Pompidou-Rothschild », m’étant déjà exprimé sur Minurne quant aux conséquences néfastes de ce texte.
Périco Légasse a donc cité, s’appuyant sur l’exemple de ce texte, ce qui pouvait se produire lorsque les intérêts privés prenaient le pas sur les affaires publiques.
À ma grande surprise, Éric Zemmour, avec les idées duquel je suis souvent en accord, a contesté la vision de Périco Légasse, lui répliquant qu’il faisait fausse route et que le but de cette loi n’était en aucun cas d’enrichir les marchés privés, mais de lutter contre l’inflation galopante des années 70.
Petit retour en arrière
Périco Légasse a détaillé (à une petite inexactitude près, tout à fait excusable [1]) le fonctionnement de ce texte qui oblige le Trésor Public à recourir à l’emprunt, générant ainsi au fil des années une dette publique devenue insupportable. Par contre, le propos d’Éric Zemmour n’est pas en accord avec la courbe fournie par le site France Inflation :
On peut constater sur ce graphique que l’inflation qui avait connu des records durant les années de guerre était relativement modérée dans les années 70-73. On constate, au contraire, une forte augmentation entre 1975 et 1985, ce qui infirme quelque peu le discours de notre polémiste préféré.
En revanche, une comparaison intéressante est fournie par la courbe américaine de l’IPC (Indice des Prix à la Consommation) entre 1955 et aujourd’hui.
On constate qu’entre 1972 et 1983, le taux d’inflation aux États-Unis a été le plus important de la période de référence. On peut donc avancer l’hypothèse que l’inflation française trouve sa cause principale dans les mouvements inflationnistes américains et que dans les deux cas, ce fut la période entre 1975 et 1985 qui connut les plus forts taux. Cela n’a rien d’extravagant compte-tenu des importations américaines de ces années-là.
Dans ces conditions, dire que la loi de 73 avait pour objectif de réduire l’inflation à l’exclusion de tout autre paraît audacieux. Si tel était réellement le cas, cette loi aurait dû être abrogée en urgence dès 1974.
Et la dette, dans tout ça ?
S’il fallait encore s’en convaincre, quoi de plus parlant qu’une petite courbe en couleur montrant l’évolution de notre dette publique entre 1970 et maintenant ?
Le graphique montre 2 courbes :
- celle en bleu représente la dette publique réelle exprimée en pourcentage du PIB
- celle en rouge représente ce que serait notre dette publique sans la loi de 73, c’est à dire si nous avions continué à emprunter sans payer d’intérêts aux marchés financiers privés.
Alors que notre dette représentait environ 15% du PIB français en 1973, elle a commencé à grimper d’une façon quasi-exponentielle dans les années 75 pour atteindre aujourd’hui près de 100% du PIB, soit environ 2.200 milliards d’euros.
L’écart entre les 2 courbes matérialise ce que nous avons dû payer en intérêts, donc ce que notre pays aurait pu économiser si la Banque de France avait pu continuer à financer nos dépenses publiques. Ces sommes cumulées s’élèveraient aujourd’hui à environ 1.500 milliards d’euros…
Le bilan est vite fait
La justification de cette loi apparaît difficile. On en a attribué une sorte de paternité à Georges Pompidou, probablement en raison de son passage chez Rothschild. Pour ma part, je pense qu’elle s’inscrivait dans un cadre beaucoup plus général qui préfigurait la monnaie unique européenne. Retirer à la Banque de France le financement des déficits publics était indispensable pour installer la future BCE qui allait devenir à terme la seule entité en charge de l’émission et du contrôle de la monnaie unique. Certains ont présenté cela comme un pas nécessaire vers le fédéralisme européen, mais cela a surtout été une source de profits énormes pour les « marchés financiers ».
L’inflation : la bête noire des banquiers
Il est bien connu que l’inflation est souvent le plus indolore des impôts et qu’elle bénéficie à ceux qui empruntent puisque, comme je l’ai entendu dans les années 80, « on allait rembourser les dernières mensualités avec un timbre-poste… »
Côté banque, ce n’est pas la même musique car l’inflation tue naturellement la dette. Les banquiers sont donc les grands perdants et c’est la raison pour laquelle la BCE, à l’exclusion de toute autre action, n’a qu’un seul objectif qui est le maintien d’un taux d’inflation de l’ordre de 2% par an.
Enfin, je remercie Perico Légasse d’avoir eu le courage d’aborder le problème de cette loi de 73, qui est généralement passé sous silence, alors qu’il est essentiel de se souvenir comment notre dette publique a été créée et comment aujourd’hui elle compromet tout redressement économique de notre pays.
Jean Goychman
08/06/2018
[1] M. Légasse a dit que les banques privées empruntaient de l’argent à la Banque de France à un taux faible pour le prêter ensuite au Trésor Public. Ceci n’est que partiellement exact, la grosse partie de cet argent étant en fait créée à partir de rien au moyen d’une ligne de crédit…