« NOTRE INDOCHINE » (Éric de Verdelhan)

« Je suis passéiste depuis toujours. Depuis l’Indochine…
Aujourd’hui, j’ai plus de belles choses à regarder derrière moi que devant.
J’ai quoi devant, à part les quatre planches ? »
         

(Alain Delon)


Depuis presque quinze ans, j’ai commis quelques livres et des dizaines (voire des centaines) d’articles sur notre ex-empire colonial. Je ne prétends pas être un spécialiste de la question, tout au plus un historien amateur, mais je ne comprends toujours pas pourquoi nous aurions à rougir, à nous justifier, à battre notre coulpe et à faire repentance pour notre passé colonial. Assez régulièrement, je suis obligé de « remettre les pendules à l’heure » et de dénoncer, parfois vertement, quelques contrevérités, mensonges ou affabulations véhiculés par les médias, soit par ignorance, soit à des fins politiques pour flagorner une « diversité » issue de l’immigration. Je n’érige pourtant pas l’agressivité en modèle, ni la polémique en vertu, mais je veux qu’un homme digne de ce nom garde le courage d’exprimer son indignation devant le mensonge ou la félonie. Or, à l’heure actuelle  il me semble nécessaire, salutaire, voire indispensable, que les jeunes générations sachent qu’elles n’ont pas à rougir du passé de leur pays.

On ne bâtit pas une nation sur la détestation de son histoire.
Pour apprendre à aimer son pays, pour être prêt à le servir, il faut avoir la fierté de ses racines.

On peut toujours philosopher, après coup, sur la nécessité ou non de coloniser une contrée plus ou moins lointaine. On doit aussi reconnaître que tout ne fut pas idyllique, tout ne fut pas irréprochable, dans nos guerres de conquête, mais – de grâce ! – gardons-nous de juger le passé avec nos mentalités d’occidentaux décadents et ramollis du XXI° siècle.

J’ai beaucoup écrit sur l’Algérie ; aujourd’hui je vous parlerai de « notre » Indochine. Ce beau pays qu’on semble avoir oublié et dont les ressortissants sont discrets, travailleurs et, pour la plupart, parfaitement intégrés. Ils ne passent pas leur temps à récriminer et à critiquer leur terre d’accueil.

L’Algérie est devenue française avant l’Indochine, mais c’est notre cuisante défaite de Diên-Biên-Phu, suivie des Accords de Genève, qui a marqué le début du « détricotage » de notre empire.

La fille du général « Bob » Caillaud – qui était capitaine avec mon père à Diên-Biên-Phu – m’a offert un livre intitulé « Le Dieu Blanc est mort à Diên Biên Phu » (1). Le titre du livre résume bien son contenu : la suprématie de l’homme blanc a amorcé son déclin après Diên-Biên-Phu.

Mais revenons à l’origine et aux motifs de la colonisation de l’Indochine.

Rien ne prédestinait ces contrées lointaines à devenir des colonies ou protectorats français.

Etiré sur 1 600 km le long de la mer de Chine, l’Annam relevait de la civilisation chinoise. Il était l’héritier du puissant empire d’Angkor – dont l’apogée se situe entre le IX° et XIII°  siècle – lové au cœur même de la péninsule indochinoise, le royaume khmer était, comme les deux principautés qui se partageaient le Laos, de culture indienne et de religion bouddhiste. Les deux régions n’avaient rien en commun sinon d’avoir subi l’une comme l’autre l’impérialisme chinois. Mais celui-ci s’était fait sentir plus lourdement en Annam. L’Annam avait, entre le III° siècle av. J.-C. et le X° siècle, fait partie de l’empire chinois. Devenu indépendant en 939, il n’avait jamais cessé de reconnaître la suzeraineté chinoise. Ce lien de suzeraineté s’accompagnait de la conviction d’appartenir à une même civilisation.

L’arrivée de la France dans la région eut, aux yeux des Chinois, le caractère d’une agression.  Elle mettait fin à une domination millénaire. On peut se demander ce que nous venions chercher en Indochine ? La péninsule était une région lointaine. Les sollicitations de la Compagnie des Indes, qui avait envisagé d’y établir des comptoirs, étaient restées sans suite pendant deux siècles. Elle n’avait rien non plus d’un pays dont on puisse espérer beaucoup de richesses. Alors pourquoi la coloniser ?

Napoléon III avait, comme son oncle, des rêves de conquête et de grandeur. Il fut poussé à la guerre, en 1857, par l’aventurisme qui était la ligne directrice de sa politique étrangère. Il venait de gagner la guerre en Crimée ; il participait à la seconde guerre de l’opium en Chine ; il allait prendre les armes pour imposer à l’Autriche l’unité italienne ; il s’apprêtait à intervenir contre les Druzes au Liban ; et enfin, à lancer l’expédition pour tenter de donner au Mexique un empereur Habsbourg.

Pour l’Extrême-Orient, Il fut poussé par sa volonté de satisfaire son électorat catholique. Les milieux catholiques étaient indignés par les persécutions dont les missionnaires étaient les victimes de la part d’un pouvoir annamite. l’Annam comptait à l’époque 600 000 chrétiens.

L’aventure indochinoise, ne répondant  à aucune nécessité économique, suscitait d’emblée la réticence des milieux d’affaires. Le ministre des Affaires étrangères de l’empereur déclarait que le projet ne paraissait admissible « ni au point de vue du droit et des traités, ni au point de vue de l’utilité et encore moins de la nécessité ». Mais l’enjeu véritable était de ne pas laisser l’Angleterre – « la perfide Albion » – seule maîtresse du commerce avec l’Extrême-Orient. L’empereur avait obtenu l’adhésion enthousiaste de l’état-major de la Marine. Après la victoire des Anglais lors de la première guerre de l’opium (1840-1842), ils avaient reçu la concession du territoire de Hong Kong. Fortement implantés en Birmanie, ils poussaient leurs feux au Siam. Et la guerre qu’ils venaient de reprendre contre la Chine, avec l’appui des Français, ne pouvait manquer d’y renforcer leurs positions, étendant depuis l’Inde leur influence sur tout le sud-est de l’Asie. En assortissant sa participation aux côtés de l’Angleterre à la guerre de l’opium (2) d’une intervention en Indochine, la France espérait obtenir une base (ou un comptoir) en Cochinchine pour ne pas laisser à ses rivaux le bénéfice de disposer seuls d’une base navale et d’une place de commerce non loin de Canton.

Les succès de l’Armée française débouchèrent, avec l’annexion de la Cochinchine, sur une implantation territoriale beaucoup plus étendue que prévu (1862) dans un contexte où, confrontée en Chine à la révolte des Taiping (1851-1864), et réduite à quémander l’aide de l’Angleterre et de la France pour y mettre fin, la cour de Pékin n’avait pas pu intervenir dans le conflit.

C’est à l’initiative de l’amiral de La Grandière, gouverneur sur place, que fut signé le traité par lequel le roi du Cambodge plaça son pays sous le protectorat de la France (1863). C’est par la volonté de quelques jeunes officiers que fut explorée la vallée du Mékong. On découvrit à cette occasion la possibilité de relier, via le fleuve Rouge, le port de Saigon au sud de la Chine ; le Yunnan et ses mines de cuivre et d’argent. Et c’est à l’amiral Dupré que l’on doit, dès 1873, une première occupation de Hanoi et l’institution d’un protectorat de fait sur l’Annam. Cette première implantation en Indochine s’était faite sans véritable plan concerté, par la seule supériorité des forces françaises en Extrême-Orient, l’autonomie totale laissée à leurs chefs, l’impuissance du gouvernement de Hué, et l’atonie de celui de Pékin. Mais tout changea avec l’avènement de la III° République, surnommée par les historiens « la République des francs-maçons ». Après l’humiliante défaite de 1870, la droite française rêvait de reprendre l’Alsace et la Lorraine, mais la gauche voyait les choses autrement.

Elle entendait faire profiter le monde entier des idéaux hérités des Lumières.

Il est vrai que les pères fondateurs de la République avaient ouvert la voie. En 1871, Renan écrivait : « Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité ».

En 1879, c’est Victor Hugo qui déclarait dans un discours vibrant : « Allez, peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? À personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe… Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires…».

Notons, au passage, que c’est toujours au nom des idéaux des Lumières que les gens de gauche nous reprochent aujourd’hui la colonisation. Le manque de cohérence intellectuelle de ces gens-là m’étonnera toujours !

« La République des francs-maçons » avait répondu à l’appel en Tunisie, en Afrique noire et à Madagascar, mais aussi en menant la conquête du Tonkin et l’assujettissement de tout le royaume d’Annam. Léon Gambetta avait prophétisé : « La civilisation européenne aura à lutter un jour contre la subversion de la race chinoise…Il faut donc que la France s’établisse au Tonkin…afin de mettre la main sur l’Annam, sur le royaume de Siam et sur la Birmanie et d’avoir ainsi barre sur les Indes ; et d’aider la civilisation européenne contre la race jaune. »

Et Jules Ferry, le père de l’école laïque et obligatoire, cette belle conscience humaniste, déclarait : « Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… ».

Notons, là encore, que les socialos-gauchistes actuels ne parlent pas de racisme, de discrimination, de suprématisme blanc et qu’ils continuent à aduler Jules Ferry.

Cette conquête, du Tonkin en 1884, complétée en 1893 par un protectorat sur le Laos, allait permettre à l’œuvre coloniale française de réaliser de grandes et belles choses :

Des routes, des infrastructures, des institutions sociales, des hôpitaux et dispensaires, des écoles, la mise en valeur des terres et des productions agricoles comme le riz et l’hévéa, etc…

Beaucoup de colons, de fonctionnaires coloniaux, de soldats, attrapèrent « le mal jaune » en Indochine ; l’amour de ce pays et de ses habitants. J’ai compris ça il y a quelques années, quand, avant d’écrire mon livre « Au capitaine de Diên-Biên-Phu » (3) j’ai sillonné « notre » ex-Indochine, du Sud au Nord, pendant trois semaines. Ce pays est magnifique, ce pays est attachant.

Et puis, et puis… la Chine va se venger. Elle va nourrir le nationalisme vietnamien au début du XX° siècle. Plus tard, lors de la prise de pouvoir par Mao-Zédong en 1949, elle nous mènera une guerre inexpiable par l’intermédiaire du Viêtminh.

En Indo, notre Corps Expéditionnaire d’Extrême-Orient mènera une guerre de pauvres, une guerre de gueux. Il fera preuve de courage, d’héroïsme, de générosité et écrira quelques-unes des plus belles pages de notre histoire. Tout ceci se terminera tragiquement, après des combats à un contre trois, puis à un contre dix, dans la cuvette maudite de Diên-Biên-Phu, le 7 mai 1954.

Le 11 juillet 1951, le général de Lattre, le « Roi Jean », avait déclaré : « D’entreprise aussi désintéressée que cette guerre, il n’y en avait pas eu, pour la France, depuis les croisades ». Quelques  semaines plus tôt, il avait perdu son fils unique, le lieutenant Bernard de Lattre de Tassigny, tué le 30 mai 1951 près de Ninh Binh, au Tonkin.

Alors que dans les milieux militaires – chez qui le « devoir de mémoire » a encore un sens – on s’apprête à honorer la chute de Diên-Biên-Phu, je voudrais qu’on se souvienne que de 1946 à 1954, à plus de 10 000 km de la mère-patrie, des soldats français, des Légionnaires étrangers, des supplétifs, se sont battus, seuls (4), contre l’expansion de la « peste rouge », le communisme international.

Et je voudrais aussi que les jeunes générations soient fières de leur épopée glorieuse, mais je sais, hélas, que je fais preuve d’une naïveté confondante.

Eric de Verdelhan

13 avril 2024

1)- « Le Dieu Blanc est mort à Diên Biên Phu »: de Jean-Luc Ancely ; éditions Mols ; 2019.

2)- La seconde guerre de l’Opium, de 1856 à 1860.

3)- « Au Capitaine de Diên-Biên-Phu » publié chez SRE-éditions ; 2011 ?

4)- Bien que très  modérément soutenus par un « allié » américain qui, en réalité, œuvrait pour nous chasser d’Indochine.

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2 Commentaires

  1. En 1945, roosevelt fit désarmer les japonnais en IndoChine par les troupes de Tchang Kaï Chek …
    Mais la France avait envoyé un Bataillon en Corée ;
    Seuls les canons us de 105 … donnés aux chinois de mao arrivèrent à Dien Bien Phu …
    mais les B26 us basés au Japon atomisé … n’y vinrent jamais au prétexte que churchill ne voulait pas participer
    Foster dulles exprima sa grande satisfaction en mai 1954, en attendant 10 ans, pour arriver à la chute de Saï Gôn en le 30 avril 1975 !

  2. La fosse septique des maçons du grand orient caste pourrie jusqu’à la moelle ce déchet de l’humanité sont dans toute les administrations le sénat la chambre des députés le conseil constitutionnel Bercy et j’en passe à quand le grand nettoyage