« Un jour viendra où les générations à naître apprendront qu’en 1962, une poignée de Français et un général nommé Salan, refusant de capituler, livrèrent le dernier combat de leur temps pour défendre les frontières africaines de l’Europe.
Et de savants professeurs, et de grands philosophes leur apprendront ce que nous avions senti confusément, à savoir que le désespoir est le maître de l’impossible…»
Dominique Venner (1)
Hier, j’ai consacré un article aux massacres d’Oran le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie. A la lecture de mon papier, un excellent ami m’a écrit aussitôt que les Français « se foutent de l’Algérie française » et que le sujet n’intéresse plus personne, c’est du passé. Il a certainement raison mais, lorsque tous les témoins seront morts, quand la France sera complètement islamisée (elle est en bonne voie) l’histoire reprendra ses droits et les gens un peu sensés méditeront peut-être la tirade de Dominique Venner, qui fut lui-même un défenseur de l’Algérie française, en entête de mon article d’aujourd’hui. Comme je m’impose un « devoir de mémoire » je me devais de parler du 5 juillet 1962 ; bien triste anniversaire, celui de l’indépendance de l’Algérie.
La fin de 132 années de présence française, mais aussi la fin de notre autosuffisance énergétique et le début de l’invasion afro-maghrébine que nous subissons depuis plus d’un demi-siècle.
Aujourd’hui, je vous parlerai du lendemain, le 6 juillet 1962. Pour tourner – une fois pour toutes, définitivement – la page tragique de l’Algérie française, il fallait au pouvoir un geste fort ; ce geste, ce sera l’assassinat – car il s’agit bien de cela – du lieutenant Roger Degueldre, le 6 juillet 1962.
Disons un mot de ce combattant oublié. Je l’ai fait dans un de mes livres (2) : Roger (Hercule Gustave) Degueldre est né le 19 mai 1925 à Louvroil (Nord) dans une famille ouvrière. En 1940, lors de l’exode, il fuit, avec sa famille, l’avancée allemande pour se réfugier dans le Sud de la France. En 1942, à 17 ans, il remonte clandestinement dans la zone occupée et s’engage dans un maquis FTP. Quittant le maquis, il sert dans la 10ème Division d’Infanterie Motorisée qui participe à la réduction de la poche de Colmar en janvier 1945. A la Libération, il s’engage dans la Légion Etrangère (3).
C’est en Indochine, au 1er REC – le célèbre « Royal-Etranger » (4) – qu’il va forger sa légende de fonceur et de guerrier capable de toutes les audaces. Le 21 janvier 1950, Degueldre, maréchal des logis (sergent), s’illustre en allant sauver, sous la mitraille, le capitaine Hervé de Blignères.
Le lieutenant Boutot, blessé, écrira : « Le capitaine est touché ; quand un cri comme celui-là monte dans une unité, les Légionnaires abandonnent toute considération de prudence et sortent leurs couteaux…C’est Degueldre qui, une fois de plus, arriva le premier ».
Cet exploit, après beaucoup d’autres, lui vaudra la Médaille Militaire. Son parfait mépris de la mort fait l’admiration des plus vieux Légionnaires. Ses qualités guerrières lui vaudront de passer une barrière quasi infranchissable à l’époque pour un sous-officier de Légion : Roger Degueldre a conquis au feu ses galons de lieutenant. Après Diên-Biên-Phu, Degueldre est muté dans ce qu’il reste du 1er BEP (5). Le voilà Légionnaire-parachutiste. Quand il arrive en Algérie, il est lieutenant, chevalier de la Légion d’Honneur et médaillé militaire. En 1954, il a 29 ans et il fait la guerre depuis l’âge de 17 ans.
Lors de la semaine des barricades en janvier 1960, il prononce devant les officiers du 1er REP un discours qui aura sans doute été le plus long de sa vie : «… Vous affirmez que rien ne vous empêchera de garder l’Algérie à la France. J’ai prêté serment avec vous. Mais sachez bien qu’en ce qui me concerne, il sera respecté. J’irai jusqu’au bout ! ». Un an plus tard, en janvier 1961, il se déclare en état d’insurrection et adresse une lettre à ses amis du REP :
«… Je viens de rejoindre la clandestinité. Les formes traditionnelles de notre combat ne me paraissent plus adaptées à l’action à mener pour sauvegarder l’Algérie française.
Tenez-vous prêts à agir. La légalité est dépassée… ».
Et Degueldre devient un déserteur à part qui continue à fréquenter le mess des officiers des régiments qu’il visite, et qui voyage en tenue d’aviateur, avec des ordres de mission « en règle », dans des appareils de l’armée, reçu comme un héros par ses camarades Légionnaires et parachutistes.
Yves Courrière, dans « Les feux du désespoir » le décrit ainsi : « Degueldre a 36 ans… Un visage très viril et par là-même très beau, des traits lourds, des yeux clairs, une bouche presque féminine.
Le cheveu châtain coupé très court. Le splendide para – 1,80m – plus puissant qu’élancé… La parole est brève, le geste mesuré. Efficace. Voilà c’est un type efficace et qui a du poids… »
Après le putsch d’avril 1961, Degueldre est muté au 4ème Etranger où…il ne se rendra pas. Passé dans l’OAS, il crée et dirige les « commandos Delta ».
Pendant un an, les « commandos Delta » vont faire trembler le pouvoir gaulliste. Attentats, démonstrations de force, ils ne reculent devant rien pour éviter le parjure et la honte de l’abandon. Leurs cibles principales : les « barbouzes » gaullistes lâchés contre les partisans de l’Algérie française.
A leur tête, Degueldre est de tous les combats, aussi dur avec lui-même qu’implacable avec les autres. Poursuivi par toutes les polices, sa tête mise à prix, il est finalement trahi et arrêté le 7 avril 1962. Le mois de juin 1962 voit arriver la sinistre « juridiction d’exception » voulue par de Gaulle.
Le général de Larminat doit la présider. Hospitalisé, Larminat se retrouve dans une chambre voisine de celle du général Ginestet, grièvement blessé à Oran. Ce dernier lui décrit les horreurs de l’indépendance. Larminat ne supporte pas ce récit, il met fin à ses jours. A un ami, il déclare : « Je ne serai pas le Fouquier-Tinville de la 5ème République. Je me tuerai ce soir ». Qu’importe! Il est remplacé par le général Gardet. La justice expéditive gaulliste ne va pas s’arrêter sur un cas de conscience !
Et pendant que les « Pieds-noirs » fuient leur terre natale, que les Harkis agonisent et que les métropolitains s’apprêtent, indifférents, à partir en vacances, un officier de l’Armée française attend de passer devant ses juges. Depuis qu’il a pris les armes dans le maquis à 17 ans, l’odeur de la mort lui est familière. Mourir ne lui fait pas peur, même si les balles sont françaises.
Sa défense est assurée par Jean-Louis Tixier-Vignancour et sa consœur, Denise Macaigne. Sachant que leur client est condamné d’avance, ils déposent une « requête en suspicion légitime » contre les membres de la Cour militaire. Aucune autorité judiciaire ne la reçoit. Le procès doit aller vite. Ainsi en a décidé le pouvoir.
Deux raisons l’imposent : la Cour de justice juge sans voie de recours, elle est donc contraire au droit français. Elle peut, de ce fait, être déclarée illégale à tout moment. Par ailleurs, au moment où s’ouvre le procès, l’Algérie française n’a plus que six jours à vivre. Il convient de la condamner en fusillant celui qui a été son défenseur le plus résolu.
Le procès n’est qu’une parodie de justice. L’instruction est inexistante. Il n’y a aucun témoin à décharge. Comprenant qu’il est déjà condamné à mort avant même d’être jugé, l’officier refuse de répondre aux questions. Il reste muet, assis les bras croisés, absent, comme si ce procès n’était pas le sien. Tout va très vite. Les dépositions des témoins à charge durent treize minutes. Le réquisitoire du procureur, qui réclame la peine de mort, ne dépasse pas quinze minutes. Seuls les avocats ne renoncent pas. Denise Macaigne souligne le passé exceptionnel de Degueldre. Tixier rappelle que le général Salan ayant été épargné, aucun de ses subordonnés ne peut être exécuté. Les membres de la Cour se retirent. Il leur faut moins de quarante minutes pour répondre aux 55 questions et rapporter l’arrêt de la condamnation à mort. Roger Degueldre reste de marbre. Il décroche ses décorations et les tend à sa femme. Dans la salle une voix s’écrie : « Soyez courageux ! », Roger Degueldre répond froidement : « C’est pour ça que je suis là ».
Pourtant, Denise Macaigne va présenter un recours en grâce au chef de l’État. Elle s’y rend seule, car de Gaulle refuse de recevoir Tixier. De Gaulle écoute l’avocate et… refuse sa grâce.
Le 6 juillet, Jean-Louis Tixier-Vignancour et Denise Macaigne arrivent à Fresnes en même temps que l’avocat général Gerthoffer et l’aumônier de la prison. A 2h30, les deux avocats et le magistrat pénètrent dans la cellule du condamné qui dort paisiblement. Ses yeux s’ouvrent. Sans dire un mot, il revêt sa tenue léopard et coiffe son béret vert. Avant de quitter sa cellule, il déclare :
« Je suis fier de mourir pour tenir le serment qu’a fait tout officier ayant servi en Algérie. Dites aux Algériens que, si je ne suis pas de leur race, n’étant pas né sur leur sol, je les ai beaucoup aimés et je les aime toujours ». Il déclare à Gerthoffer: « Je ne vous garde pas rancune, mais je vous plains ».
Il est à peine 4 heures. Le fourgon qui emmène Degueldre, encadré de quinze motards, quitte la prison de Fresnes. Le cortège est fermé par huit véhicules de police et une quinzaine d’autres de diverses administrations. A-t-on si peur qu’il s’évade ?
Le lieutenant Degueldre se présente devant son peloton d’exécution en tenue impeccable. Autour du cou, un foulard de la Légion. Il se tourne vers son avocat :
« Dites que je suis mort pour la France… ».
Il refuse qu’on lui bande les yeux. Lié au poteau, il crie : « Messieurs, vive la France ! » et entonne La Marseillaise. Émus par son courage, les soldats hésitent à tirer. La première salve ne fait que le blesser. Une seule balle, sur les douze tirées, l’atteint. La blessure n’était pas mortelle. Pourtant, l’adjudant préposé au coup de grâce se précipite pour accomplir sa sinistre besogne ; le condamné est toujours bien vivant. L’adjudant tremble et il tire… à côté. Dans l’assistance c’est la stupéfaction. Le procureur en est irrité. Il fait signe au sous-officier de se hâter. Roger Degueldre, recroquevillé, souffre. L’adjudant, toujours tremblant comme une feuille, pointe une nouvelle fois son arme, ferme les yeux et appuie sur la détente. Rien! Le pistolet s’est enrayé ! Le procureur ordonne qu’on en apporte un autre. Personne, parmi les militaires présents, n’en possède un. Il faut courir en chercher un ! Roger Degueldre est toujours bien vivant et conscient. On remet enfin un autre pistolet à l’adjudant, pâle comme un linge. Un nouveau coup de feu claque, mais pas dans la tête, dans l’omoplate ! Sous l’effet de la douleur, le supplicié tourne son regard vers le ciel. Une autre détonation, le lieutenant Degueldre rejoint enfin le paradis des braves.
Il était médaillé militaire, titulaire de la croix de guerre des TOE (6) avec palmes, de la croix de la Valeur Militaire et Chevalier de la Légion d’Honneur (7).
En 2018, lors de la cérémonie de Camerone à Aubagne, j’ai fait la connaissance de Philippe Besineau, le fils de Roger Degueldre (adopté par le capitaine Besineau). Philippe est fier de son père et sa fierté est légitime : il sait que dans notre pays déliquescent, il existe encore des hommes – chez les Légionnaires, les paras, les « Pieds-noirs » – qui admirent Roger Degueldre et qui, tous les 6 juillet, ont une pensée pour lui. Je sais bien que le drame de l’Algérie française n’intéresse plus grand monde de nos jours.
J’avais 12 ans lors de l’indépendance de l’Algérie et je ne suis même pas « pieds noirs » mais j’ai un profond respect pour les gens capables de mettre leur peau au service d’un idéal. Et puis, j’aime mieux parler de l’Algérie française que de la France algérienne.
Semper fidelis !
Eric de Verdelhan
1)- « Le cœur rebelle » de Dominique Venner ; Les Belles Lettre ; 1994.
2)- « Hommage à NOTRE Algérie française » Dualpha ; 2019.
3)- Il s’engage sous le nom d’emprunt de Legueldre, ressortissant belge.
4)- Régiment Etranger de Cavalerie, surnommé le « Royal Etranger », c’est le régiment de cavalerie de la Légion Etrangère.
5)- Le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes, anéanti une première fois à Cao-Bang et une seconde fois à Diên-Biên-Phu, renaîtra comme régiment (REP) en Algérie avant d’être définitivement dissous après le putsch d’Alger d’avril 1961.
6)- Théâtre d’Opérations Extérieures.
7)- L’exécution de Degueldre a été racontée par André Figuéras dans un livre aujourd’hui introuvable « Corrida de lieutenant » (publié en 1967).
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Merci,monsieur, je suis pieds-noir et je connais, bien sûr, le lieutenant Degueldre. Mais j’ignorais qu’il avait été, on peut le dire, massacré. La grande zora doit rôtir en enfer. Et c’est bien fait.
Honneur et Patrie
RIP, mon lieutenant.
A cette époque ça aussi c’était DE GAULLE comme l’a écrit Guy FORZY !…La moindre des choses serait de réhabilité ce héros d’un autre temps qu’un Bonaparte eut fait général !.Quant ç ceux qui jugent aujourd’hui à l’aulne de ce qu’ils savent, car eux connaissent la fin de l’Histoire, qu’auraient ils fait à sa place ?