« VIVE LA COLONIALE ! » (Eric de Verdelhan)

« C’était la dernière cartouche. Et, avec elle, le dernier espoir qui partait en fumée. Bazeilles était en flammes, comme un brasier sinistre. Mais cette dernière cartouche allait marquer l’histoire. Car la victoire venait de faire défaut aux héros de Bazeilles. Mais pas l’honneur, ni la bravoure… »

(Extrait du discours de M. Édouard Philippe, premier ministre, à Fréjus, la 31 août 2019).

Bataille dans les rues de Bazeilles, guerre franco-prussienne, 1er  septembre 1870

Un vieil ami m’a fait remarquer que, chaque année, je consacre un article aux défaites qui honorent et magnifient l’héroïsme de nos forces armées – Camerone ou Diên-Bien-Phu – mais que je n’ai jamais rien écrit sur Bazeilles. Il s’en étonne car j’ai servi chez les « paras colos » (1), je suis donc inexcusable car Bazeilles, c’est le Camerone des Coloniaux. Je vais donc (tenter de) réparer cet oubli. Les « Marsouins » et les « Bigors » (2) méritent qu’on se souvienne de leur sacrifice durant la funeste guerre de 1870, car qui, de nos jours, sait ce que furent des combats de Bazeilles ? 

Dans la préface du livre « Second Empire de Solferino à Bazeilles » de Guy Sallat (3), le général François Lecointre écrivait :

« Bazeilles offre l’illustration tragique de ce déséquilibre contre lequel on ne peut rien ! D’un côté, ce sacrifice souligne l’abnégation de celui qui a le culte de la mission. De l’autre, il résonne comme une exigence pour que jamais plus le soldat de France ne rende les armes faute d’avoir pu disposer des moyens nécessaires à leur usage ».

Situons le contexte de cette défaite, et commençons par le récit – toujours le même – qui est prononcé dans toutes les unités des « Troupes de Marine » à chaque anniversaire de la bataille de Bazeilles :

« 1870 : la France est en guerre. Son territoire est envahi. Pour prendre part à la lutte, « Marsouins » et « Bigors » sont, pour la première fois de leur histoire, groupés dans une même Division, la Division de Marine qui sera surnommée la « Division bleue ». Commandée par le général de Vassoigne, elle est composée de deux brigades. La 1ère : général Reboul, est formée du 1er régiment d’Infanterie de Marine de Cherbourg et du 4ème de Toulon. La 2ème : général Martin des Pallières, comprend le 2ème régiment d’Infanterie de Marine de Brest et le 3ème de Rochefort. Le 1er régiment d’Artillerie de Marine de Lorient fournit trois batteries. La « Division bleue » fait partie du 12ème Corps d’Armée sous le commandement du général Lebrun… »

En août 1870, l’Est de la France, donc, est occupé par trois Armées allemandes.

François Bazaine | Chemins de mémoireLe maréchal de Mac-Mahon ayant reçu l’ordre de délivrer Bazaine encerclé dans Metz, il constitue une Armée dite « Armée de Châlons ». Elle comprend : le 1er Corps du général Ducrot, le 5ème Corps du général de Failly, le 7ème Corps du général Douay, et le 12ème Corps du général Lebrun.

Le 12ème Corps était une nouvelle formation comprenant les troupes d’Infanterie de Marine. Il comptait plus de 30 000 hommes.  Partie de Reims, après six jours de marche forcée avec l’Armée de Châlons, la 2ème Brigade de la « Division Bleue » atteint Sedan où Mac-Mahon est acculé avec son Armée.  Elle doit protéger le village de Bazeilles sur le flanc Sud-Est de Sedan. Dès le 31 août toute l’Armée est sur la rive droite de la Meuse, mais un pont à Remilly est encore intact et va permettre l’infiltration d’éléments d’avant-gardes bavaroises, qui seront repoussés à la tombée de la nuit.

La supériorité des Bavarois, tant en nombre qu’en artillerie, va donner lieu à des combats meurtriers ; les pertes sont énormes de part et d’autre. Le village de Bazeilles est repris, puis gardé par les Français mais uniquement sur ses lisières Nord. La 1ère Brigade, arrivée en renfort en fin de journée, permet la reprise totale de Bazeilles à la tombée de la nuit.

Le 1er septembre, les Bavarois du général Ludwick von der Tann, renforcés pendant la nuit, attaquent le village au lever du jour.Ludwig Frh von der Tann-Rathsamhausen Ils croient le trouver vide, mais ils tombent dans une contre-attaque de 150 « Marsouins » organisée par le commandant Arsène Lambert. À ce moment survient un coup de théâtre. Le général Ducrot, qui vient de remplacer Mac Mahon blessé, veut regrouper l’Armée et l’ordre est donné d’abandonner Bazeilles. Ce que l’ennemi n’a pas réussi à faire, la discipline l’obtient et le village de Bazeilles est évacué. Mais le général de Wimpffen, qui est porteur d’une lettre de service, revendique le commandement. Il prend le contrepied des consignes de son prédécesseur, et ordonne que soient réoccupées les positions abandonnées. Il faut donc reprendre Bazeilles aux Bavarois. Le général de Vassoigne n’hésite pas un instant ; sa Division, en une seule colonne, s’empare du village pour la quatrième fois, malgré la défense acharnée de l’adversaire.

Le 1er Corps d’Armée Bavarois, renforcé d’une division et appuyé par une artillerie de plus en plus nombreuse, reprend ses attaques combinées avec des manœuvres d’encerclement, tandis que les incendies se multiplient dans le village. À un contre dix, les « Marsouins », sous la mitrailles et  les obus, au milieu des flammes et de la fumée, défendent pied à pied chaque rue et chaque maison. Ils sont contraints de céder du terrain à l’ennemi mais lui infligent de lourdes pertes. Au fil des heures les hommes tombent comme des mouches et les munitions commencent à manquer. 

Le général Lebrun, dont l’état-major est décimé, se maintient dans la partie inférieure du ravin entre Bazeilles et Balan. Un obus tombe à quelques mètres de lui. Il disparaît dans un nuage de gravats et de poussière. Son ordonnance et les deux chevaux qu’il tient en main s’effondrent. Le peloton qui lui sert d’escorte est assailli par la charge, sabre au clair, d’un escadron saxon.

général Vassoigne

Le général de Vassoigne comprend que le nombre des assaillants dépasse les capacités de ses hommes et leur déclare :

« Messieurs, j’estime que l’Infanterie de Marine a depuis longtemps atteint les extrêmes limites du devoir. Il serait insensé d’ensevelir ici une telle troupe. Elle sera utile ailleurs. Néanmoins, je ne peux engager la retraite sans vous consulter. Regardez et jugez… Nous sortirons de Bazeilles la tête haute, que ce soit, comme pour moi, votre consolation ».

Dans cette guerre de 1870 mal préparée, La cuisante défaite de Sedan va faire disparaître : huit bataillons de Chasseurs, un bataillon de Francs-tireurs, trente-huit régiments de Ligne, quatre régiments de Marche, trois régiments de Zouaves, trois régiments de Tirailleurs, un bataillon de la Garde Mobile des Ardennes (en formation à Sedan), ainsi que nos quatre régiments d’Infanterie de Marine. Au lendemain de la bataille de Bazeilles, les quatre régiments de la division du général de Vassoigne comptabilisaient les pertes de : 2657 tués, blessés ou disparus, dont 102 officiers, 213 sous-officiers, 275 caporaux, et 2067 soldats. Une hécatombe !

Durant ces deux journées, on estime les pertes des deux camps à 12 ou 13 000 hommes. 29 généraux furent tués ou fait prisonniers. Les Prussiens perdirent 6 à 7 000 hommes devant Bazeilles.

Les Dernières Cartouches — Wikipédia

Ce combat, qui vit des pertes bavaroises très supérieures à celles des Français, est entré dans l’histoire militaire des deux belligérants. Côté français, son immortalisation doit beaucoup au célèbre tableau d’Alphonse de Neuville qui, dès 1873, réduisit l’esprit de la bataille à l’épisode de la défense de « l’auberge Bourgerie ». On y voit le commandant Lambert et une poignée de braves défendant la maison jusqu’à l’épuisement de leurs munitions. Avant d’ordonner le repli des rares survivants, les officiers ont revendiqué l’honneur de tirer les onze dernières cartouches, d’où le nom de « Maison de la dernière cartouche ».  Bazeilles est resté depuis un haut-lieu et un symbole des Troupes de Marine.

L’anniversaire de Bazeilles est célébré chaque année dans tous les régiments des Troupes de Marine comme dans les amicales d’anciens « coloniaux ».

À la fin de chaque célébration, en hommage à leurs morts de Bazeilles ou d’ailleurs, c’est au garde-à-vous que les « Marsouins » chantent l’hymne de l’Infanterie de Marine : 

« Dans la bataille ou la tempête/Au refrain de mâles chansons/Mâles chansons/

Notre âme au danger toujours prête/Brave la foudre et les canons/

Homme de fer que rien ne lasse/ Nous regardons la mort en face/

Dans l’orage qui gronde ou le rude combat/ En avant !… ».

Eric de Verdelhan.

02/09/2024

1) Parachutistes d’Infanterie de Marine, anciennement parachutistes coloniaux.

2) Les « Marsouins » sont les soldats de l’infanterie de Marine, et les « Bigors » ceux de l’artillerie de Marine.

3) « Second Empire de Solférino à Bazeilles », de Guy Sallat ; DPF ; 1999.    

Autres sources : « Campagne de 1870 : Bazeilles et Sedan, essais critiques sur les opérations de l’Armée de Châlons », Librairie universelle ; et « 1870 : les combats de Beaumont, Bazeilles et La Moncelle vus par un officier du 1er bataillon de chasseurs bavarois », Revue historique ardennaise. 

 

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3 Commentaires

  1. Merci pour ce morceau d’Histoire. Mon père était officier dans les troupes coloniales. Il doit être de vouslire depuis là-haut.

  2. Et vous n’oublierez pas non plus Sidi Brahim bien que ce fait d’arme et de sacrifice ne soit plus trop en odeur de sainteté et pourtant, déjà, à cette époque …..