« TAKUBA » OU LES CAPRICES DU PRINCE (Eric de Verdelhan)

« …À Pau, nous avons très clairement clarifié nos priorités opérationnelles… Pau avait marqué l’avènement d’une coalition internationale dans le Sahel pour lutter contre le terrorisme. C’est cela que nous poursuivons avec des avancées très concrètes… D’abord sur le plan militaire, la participation d’un nombre sans précédent de partenaires, en particulier les États contributeurs à la Task Force « Takuba ». « Takuba », c’est notre volonté de rassembler des Forces Spéciales européennes pour avoir une force d’accompagnement des Forces armées maliennes au combat…Lancée le 27 mars 2020, la Task Force « Takuba » comporte désormais 9 partenaires : France, Suède, République Tchèque, Estonie, Italie, Danemark, Portugal, Belgique et Pays-Bas. Et elle suscite l’intérêt d’un nombre croissant de pays, en particulier d’Europe de l’Est et du Sud, j’ai eu également ici même, il y a quelques semaines, la confirmation du président serbe de se joindre à celle-ci… »

(Emmanuel Macron, au sommet du « G5 Sahel », le 16 février 2021).

Les partenaires européens de Takuba rafraîchissent la mémoire aux autorités maliennes de transition - Zone Militaire

 

En début de semaine, j’ai assisté à une conférence sur l’opération « Takuba » donnée par le général de division Philippe Landicheff. Le conférencier, brillant, était aux premières loges durant les huit premiers mois de cette opération puisqu’il commandait en chef tout le dispositif. Sa conférence m’a donné un éclairage plus précis sur cette mission des Forces Spéciales européennes – en parallèle de « Barkhane » – dont j’avais vaguement entendu parler par quelques camarades parachutistes.

Mais avant d’expliquer l’opération « Takuba », il faut dire un mot de ce que nous coûtent les caprices et les tocades du roitelet narcissique qui nous gouverne. Si j’en crois l’Ecclésiaste « Malheur à toi, pays, dont le roi est un enfant ». On dirait que ceci a été écrit pour nous, pauvres Français !

Le gouvernement de Michel Barnier découvre – ou fait semblant de découvrir ? – la situation de quasi faillite de notre pays. Certes, nos 3100 milliards de dette ne sont pas imputables à Macron mais, depuis son élection en 2017, la dette a explosé de 1100 milliards. Ceci est peut-être voulu, pour nous amener plus vite à une gouvernance européenne. Macron n’aime pas la France. Son rêve, c’est l’Europe et tout lui est bon pour faire avancer ses ambitions européennes « quoi qu’il en coûte ».

C’est ainsi que, les lundi 13 et mardi 14 janvier 2020, à Pau, ville de son ami François Bayrou, il réunissait – ou, plus exactement, il « convoquait » – ses cinq alliés du « G5 Sahel » – Roch Marc Christian Kaboré (Burkina-Faso), Ibrahim Boubacar Keïta (Mali), Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani (Mauritanie), Mahamadou Issoufou (Niger) et Idriss Déby Itno (Tchad). Outre ces cinq présidents, le sommet accueillait aussi le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, le président de la Commission de l’Union Africaine, Moussa Faki, et le président du Conseil Européen, Charles Michel.

Rien que du beau monde ! « Les rois nègres », comme disait De Gaulle, ou les « rois-mages » venus honorer l’enfant-dieu qui prétend donner des leçons de démocratie au monde entier.

Le choix de Pau était hautement symbolique. 7 des 13 soldats français tués dans un accident d’hélicoptère au Mali, en novembre 2019, venaient du 5ème Régiment d’Hélicoptères de Combat basé à Pau. « Sud-Ouest » nous apprenait que Macron était « très irrité par ceux qui dénoncent la présence française au Sahel ». En lançant son invitation, et en jouant comme toujours les matamores, il avait averti qu’il mettrait toutes les options sur la table, y compris celle d’un retrait – partiel ou total – de « Barkhane ». Mais outre son volet politique, ce sommet de Pau visait également à revoir la stratégie militaire dans cette zone, aussi vaste que l’Europe, et surtout à appeler à une participation accrue de nos alliés européens. Et c’est ainsi qu’en plus de l’engagement des 4500 hommes de « Barkhane » (1) est née l’idée farfelue, ou pour le moins surprenante, de l’opération « Takuba ». Le sommet se tenait au lendemain de l’annonce des pires pertes subies par l’armée nigérienne : 89 soldats tués, dans le camp de Chinégodar. Partant du constat que les armées du « G5 Sahel » sont disparates, souvent sous-équipées et mal formées, l’idée de les faire former, assister et appuyer sur le terrain par nos Forces Spéciales pouvait paraitre séduisante, et elle l’était… pour nos alliés européens qui voyaient là l’occasion d’entrainer leurs propres Forces Spéciales sur une vraie zone de conflit.

Les Forces Spéciales du monde entier apprennent leur métier et confortent leur valeur sur le terrain, c’est ce qui les différencie de ceux qui font la guerre autour d’un bac à sable.

Marcel Bigeard, dont personne ne songerait à mettre en doute les qualités guerrières disait :

« En cas de conflit, il n’y a que deux solutions. Celle de l’École de Guerre, et…la bonne. »

La Task Force « Takuba » – en français dans le texte – voit donc le jour le 27 mars 2020. C’est une force opérationnelle composée d’unités des Forces Spéciales de pays de l’Union Européenne. Elle est placée sous commandement français – le général Philippe Landicheff – et assiste les Forces Armées Maliennes dans les opérations antiterroristes qu’elles mènent dans le pays. Plus largement, son action s’inscrit en coordination avec les partenaires du « G5 Sahel », de la MINUSMA (2) et d’autres acteurs internationaux dans les conflits armés au Sahel. 

Ce 27 mars, les gouvernements français, belge, tchèque, danois, estonien, allemand, malien, nigérien, hollandais, norvégien, portugais, suédois et britannique publient une déclaration commune exprimant leur soutien à la création d’un groupe de travail intégré au commandement de l’opération « Barkhane » et visant à lutter contre les groupes terroristes dans la région du Liptako, une vaste région désertique située aux frontières entre le Burkina Faso, le Niger et le Mali. La Task Force prend le nom de « Takuba » qui signifie sabre en Tamasheq, une langue touarègue. Son but, je le rappelle, est de conseiller, d’assister et des former les Forces Armées Maliennes.

Tout ceci semble parfait, à quelques détails près. La Base Opérationnelle Avancée (BOA) de la Task Force n’existe pas. Il faut donc la créer de toutes pièces, à Ménaka, en plein désert, dans un coin perdu, sans eau, sans électricité ni connexions Internet. Il faut aussi construire des casernements, des abris, et des pistes en dur capables de recevoir des hélicoptères lourds et des avions de transport. Et ce chantier titanesque – au coût pharaonique ! –  sert à héberger…170 hommes des Forces Spéciales.

Pour assurer les différents services d’entretien, d’intendance, de matériel, de travaux du génie, de transmissions…etc, la base emploie 700 militaires. En fait l’opération « Takuba » mobilise (à prix d’or) environ 900 soldats, en gros l’effectif d’un régiment d’infanterie.

Le coût exorbitant de ce caprice de notre avorton présidentiel est-il supporté par la totalité de nos partenaires européens ? En théorie oui, mais en réalité ce ne sera pas le cas.

Le Danemark fournit…70 soldats et 2 hélicoptères ; l’Estonie : 95 soldats (et leur matériel) ; la Roumanie : 45 soldats ; la Tchéquie : 60 soldats ; la Hongrie : 80 soldats ; le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas : quelques officiers de liaison (3). La Suède sera un gros contributeur avec 150 hommes et 3 hélicoptères, qu’elle retirera avant la fin de « Takuba ». L’Italie fera mieux encore avec 6 hélicoptères (3 Chinook et 3 Mangusta), 200 hommes et une unité de soutien médical pour prendre en charge les « évasan » (4). Nos partenaires nous fourniront peu de soldats mais certains ne seront pas avares en matériel. Cependant « Takuba », malgré son coût prohibitif, manquera cruellement de matériel.

Et la France ? Son engagement est celui de « Barkhane » à savoir entre 3000 et 5100 hommes selon la période. C’est donc notre pays, appauvri et endetté, qui a réellement supporté « Takuba ».

Cette affaire, comme tant d’autres, finira en eau de boudin. Nous serons chassés du Sahel.

Le 17 février 2022, nos partenaires annoncent leur retrait du Mali. Les raisons officiellement invoquées sont, entre autres, l’engagement non tenu par les autorités maliennes « d’organiser des élections présidentielles et législatives avant le 27 février 2022 », mais aussi, mais surtout, c’est le « partenariat » entre les Maliens et les mercenaires du « Groupe Wagner » dont la présence dans cette région d’Afrique « coïncide avec les intérêts stratégiques et économiques de la Russie ».

Malgré le retrait des alliés européens, la Task Force « Takuba » restera active quelque temps encore, grâce à des négociations entre la France et le président Mohamed Bazoum. « Takuba » sera délocalisée au Niger, dans la province de Tillabéri, pour lutter contre l’État islamique dans le Grand Sahara. Le 1er juillet 2022, la France annonçait officiellement la fin de « Takuba » au Sahel.

Tous les militaires européens ont regagné leurs pays à la date du 30 juin 2022. Quel gâchis !

Au plan stratégique, j’ai envie de dire que la France n’a rien retenu de ses guerres (et de ses défaites) passées. En installant une base en plein désert, loin de tout, sans eau, sans électricité, dans un coin où tout était à construire et où les pistes d’aviation n’étaient pas utilisables durant la saison des pluies, elle semble n’avoir tiré aucun enseignement de Diên-Biên-Phu. En découvrant le rôle des « choufs »(5) qui prévenaient les rebelles dès qu’une unité partait en opération, elle semble avoir oublié ceux qui informaient les fellaghas durant la guerre d’Algérie.

En projetant les 4 ou 5000 soldats de l’opération « Barkane » sur l’Afrique subsaharienne (et les 170 hommes des Forces Spéciales de l’opération « Takuba ») elle a oublié que le général Maurice Challe a gagné la guerre d’Algérie (6) en maintenant une énorme armée de…500 000 hommes sur les trois départements algériens (Alger, Oran et Constantine). Que peuvent faire 4 à 5000 soldats, aussi motivés, bien formés, aguerris, soient-ils, sur un territoire aussi grand que l’Afrique subsaharienne ?

Il n’y a donc, de ma part, aucune critique de nos forces armées qui sont excellentes et qui font un travail remarquable. Je tiens à saluer ici nos Forces Spéciales – Terre, Air et Marine – dont le professionnalisme, la valeur et l’efficacité sont reconnus dans le monde entier.

J’ai une attention particulière pour les parachutistes du 1er RPIMa (7), régiment dans lequel j’ai eu le privilège – car c’en est un ! – de servir il y a bien longtemps.

Notre armée fait ce qu’elle peut avec des moyens dérisoires, servant, depuis des décennies, de « variable d’ajustement budgétaire » aux différents gouvernements qui ont (très mal) géré notre pays depuis la fin des « trente glorieuses » ; réduite à une peau de chagrin par des irresponsables (ou des incapables) qui croyaient que l’Europe nous protégeait de la guerre et que nous ne risquions plus de conflit « de haute intensité » ; ou ces stratèges de plateaux-télé qui affirmaient que nous menions des combats « du fort au faible » et que la dissuasion nucléaire faisait de nous une grande puissance.

Mais revenons, pour conclure, à l’opération « Takuba ». Quel est le bilan de ce fiasco ?

Avons-nous déploré beaucoup de pertes – morts ou blessés – durant l’opération ? Combien de rebelles ont été mis hors de combat ?  Autant de questions qui resteront sans réponses. Tout ce qui touche à cette affaire est, je suppose, classé « secret-défense » ?

Combien aura coûté ce déploiement de forces qui, au final, n’aura servi à rien ; cette brillante idée d’une coopération européenne germée dans la tête d’un gamin immature, européiste forcené ? 

Là aussi, c’est le silence total, l’omerta la plus complète. Mais, après tout, le contribuable est là pour payer ; on ne lui demande pas de chercher à comprendre où va son argent. 

Moulé dans sa combinaison d’aviateur faite sur mesure, notre « Chef des armées » – qui n’a même pas fait son Service Militaire – avait envie de jouer au soldat en Afrique. Il voulait une petite guerre « du fort au faible » gagnée d’avance. Depuis, il s’en prend à la Russie, puis à Israël. 

« La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires. »

disait Clémenceau. Certes mais c’est encore plus grave de la confier à un garnement capricieux et narcissique.

Eric de Verdelhan.

17/10/2024

1) « Barkhane » achevée le 9 novembre 2022, mobilisait de 3000 à 5100 hommes depuis le 1er août 2014. Elle faisait suite à l’opération « Serval ».

2) MINUSMA = Mission de maintien de la paix des Nations Unies au Mali.

3) Leur nombre n’est pas précisé, au mieux quelques dizaines.

4) Evasan = évacuation sanitaire dans le jargon militaire.

5) Un « chouf » est un guetteur en arabe ; ça existe aussi chez nous, sur les points de deal.

6) Ce conflit a été gagné militairement par la France, qui a choisi de le perdre politiquement. 

7) RPIMa = Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine.

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