AU REVOIR, JEAN-MARIE ! (Éric de Verdelhan)

J’évoque souvent ici les qualités principales nécessaires à ceux qui aspirent à conduire la France : le bon sens et l’amour du pays. La mort ce jour de Jean Marie Le Pen me permet d’en ajouter une autre, tout aussi essentielle : une certaine vision prospective de l’avenir.

Jean Marie Le Pen réunissait brillamment tout cela. Il est dommage que la France ne comprenne souvent que trop tard les signes de son destin.

Ainsi disparait aujourd’hui le dernier élu encore vivant de la IVème République… 

A travers son parcours personnel, Éric de Verdelhan rend ici un dernier hommage au « Menhir »…
Effaçant (partiellement) ces bacchanales spontanées et honteuses qui viennent d’éclater à Paris à la République à l’instigation du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA)

Marc Le Stahler
7 janvier 2025


« Des hommes médiocres peuvent être compagnons, alliés ou complices, des hommes simples peuvent être frères mais seuls les hommes cultivés seront amis… »
Abel Bonnard (1).

Aujourd’hui, j’ai perdu un ami, un vieil ami qui avait largement l’âge d’être rappelé à Dieu, un vieil ami que j’ai souvent applaudi en meeting, un vieil ami auquel je n’ai adressé qu’une ou deux fois la parole, au téléphone, au début des années 80 ; aussi, si je m’autorise à m’honorer de son amitié c’est parce que je lui dois beaucoup. Au même titre que mon père, que Roger Holeindre, ou encore Marcel Bouyer, il aura contribué à forger mes engagements et mes convictions politiques.

Il y a quelques années, j’ai lu un roman de Lionel Duroy intitulé « Le chagrin ». L’auteur est issu d’une famille de dix enfants, très « fin de race ». Il est né en 1949, comme moi. Il  a été pro-Algérie française avant de virer à gauche et de devenir journaliste à « Libération » et à « L’Évènement du Jeudi ». Il a réglé ses comptes avec son milieu au travers de deux pavés indigestes « Priez pour nous » et « Le chagrin » (2). J’y ai lu des pages qui m’ont fait sourire ; la description des idées de son grand père, par exemple: «…Membre de l’Action Française, camelot du Roi, (il) était un adepte de Charles Maurras… Il est assez vraisemblable qu’il fut antidreyfusard avec Maurras et Léon Daudet, puisqu’il partageait avec eux la peur et peut-être même la haine des Juifs et des Francs-maçons… ».

J’aurais pu, en gros, écrire la même chose mais moi, je n’ai pas renié (ni trahi) mon camp. Il m’est arrivé de ne pas me sentir en phase avec mon milieu; ça ne m’autorise pas à renier un héritage intellectuel. Mon père s’est méfié toute sa vie des partis politiques ; il n’en attendait rien de bon.  À l’inverse de lui, j’ai milité pendant des années, toujours à la droite de la droite.

Mon premier engagement politique date des « Jeunesses Patriotes et Sociales » de Roger Holeindre, après la chienlit soixante-huitarde. Vint ensuite l’époque où quelques hommes décidés, sous l’égide d’un ex-député – sans mandat depuis 1958 – Jean-Marie Le Pen, allaient tenter de fédérer les divers courants nationalistes dans un grand mouvement politique : le Front National. En fait, sans le savoir, le pouvoir gaulliste avait rendu service au courant nationaliste avec l’amnistie accordée aux défenseurs de l’Algérie française. Les associations d’anciens combattants poussaient à l’amnistie mais de Gaulle était rancunier. Seul Pompidou parviendra à le faire fléchir. En 68, les prisons se vident, tous les clandestins rentrent en France (la plupart d’entre eux reviennent d’Espagne) et s’empressent de se regrouper pour militer à nouveau.

Le mérite de Le Pen, secondé par François Brigneau, alors rédacteur en chef de « Minute », de Roger Holeindre, et de quelques autres moins connus, est de (tenter de) fédérer les différents courants. Le FN veut clairement: « donner une dimension nouvelle aux luttes de l’opposition nationale ». L’autre mérite de Le Pen, sera de faire cohabiter les catholiques de la « Contre Réforme Catholique » (CRC) ou de la « Rue des Renaudes » avec des groupuscules totalement athées ou agnostiques. Cette époque me fait faire un grand bond en arrière, avec un brin de nostalgie. En 1974, Georges Pompidou meurt, trop tôt pour accomplir de grandes choses. En dehors de ses goûts artistiques discutables, cet homme avait du bon sens, des valeurs « terriennes » et un véritable attachement à la France. Avec lui, et bien qu’il s’en défende, le pays tirait un trait sur le Gaullisme.

1974, c’est aussi le premier choc pétrolier, qui vint rappeler au pays que le combat pour l’Algérie française n’était pas seulement sentimental : en bradant le Sahara nous avons perdu notre autosuffisance énergétique (gaz ET pétrole). C’est le début de « la crise » : de 1974 à… ce jour, nous irons de crise en crise ; nous ne connaitrons plus de budget en équilibre jusqu’à atteindre plus de 3 100 milliards d’euros de déficit. Après les « 30 glorieuses », nous entrions dans les « 40 piteuses ».

1974 : je suis civil, jeune marié, et je débute une carrière dans les assurances en tirant le diable par la queue. J’écris bien quelques articles dans des « feuilles de chou » politiques ou dans des revues spécialisées dans les armes anciennes mais ça ne rapporte rien. De l’Armée, je n’ai conservé que mon béret rouge, ma « Bigearde » et quelques insignes, brevets et « pucelles » régimentaires. J’ai aussi conservé mon imperméable « Blizzard », à doublure amovible en mouton synthétique. Cet imperméable, je l’ai gardé quelques années ; il était idéal par tous les temps. On me l’a volé, hélas, au vestiaire d’un restaurant. Sentimentalement, ça m’a fait comme un choc :     

Avec lui je n’étais pas tout à fait un « pékin » (3), un peu comme ces grognards de la Grande Armée qui, démobilisés, gardaient leur redingote pour se reconnaître entre eux.

À la Présidentielle de 1974, Le Pen se présente (et je vote pour lui) mais les mouvements catholiques appellent à voter pour Jean Royer, le maire de Tours. Le Pen fait  0,74% des suffrages; Royer, 3,2%. Entretemps, le FN s’est à nouveau divisé. Brigneau a claqué la porte pour aller fonder, avec d’autres cadres, le « Parti des Forces Nouvelles » (PFN). À l’époque, je lis « Minute » et « Valeurs Actuelles » ainsi que le journal (quatre feuillets !) du FN, qui ne s’appelle pas encore « National Hebdo » mais « RLP le National »  et le mensuel « Lectures françaises ». Je lis beaucoup pour combler les manques de mes études avortées. Même si je continue à croire, comme le dit Maurras, que « tout est politique », je rêve à une droite dure. Mon milieu prône une droite « soft » et lit « le Figaro » (surtout pour le carnet mondain). Ce sont les mêmes qui s’indigneront – autour d’une tasse de thé – de la loi Veil autorisant l’IVG puis l’accepteront quand elle sera votée. Ils n’ont pas compris  que l’avortement, devenu légal, n’en est pas pour autant moral. L’important pour « ces gens là » c’est que Giscard (d’Estaing depuis…1929) et sa pimbêche d’épouse aient « de la classe ». J’ignorais, pour ma part, qu’on pût jouer de l’accordéon – le « piano à bretelles » – avec distinction.  

En 1980, des amis anciens paras me font adhérer à « l’Union Nationale des Parachutistes ». À l’époque, l’UNP, créée pour venir en aide aux « soldats perdus » de l’Algérie française, pratiquait sans complexe un « apolitisme » fortement marqué… à droite. Pour ma part, j’y adhérais par devoir: fils de para, parachutiste moi-même, l’UNP, c’était un peu ma famille.

Le 10 mai 1981, Giscard  d’Estaing se faisait sortir par François Mitterrand. L’auteur du « Coup d’État Permanent » arrivait enfin aux fonctions suprêmes, après trois tentatives avortées. La France devenait officiellement socialiste. Jean Cau écrivait : «  Nous sommes gouvernés par des instituteurs morts : dès le 10 mai, dès qu’un croque-mort alla déposer des roses sur les tombes du Panthéon, la France changea de visage. Tout avait la ressemblance qui est celle de tous les cadavres … » (4). Pour beaucoup de gens, la France basculait à gauche; pour moi elle passait d’une gauche larvée à une gauche avouée. L’arrivée de la gauche au pouvoir marquait aussi la percée de la droite nationale. De nos jours, on s’ingénie à écrire que Mitterrand a favorisé la montée du FN pour gêner la droite parlementaire. C’est une ineptie, au moins partiellement. Certes, en introduisant la proportionnelle aux Législatives de 1986, il permettait au FN d’avoir plus d’une trentaine de députés. Je n’ai aucune sympathie pour François Mitterrand; je lui reconnais cependant un (grand!) mérite: avoir laminé le Parti Communiste qui, jusque là, totalisait 20 à 25 % des suffrages à chaque élection. Mais la percée du Front National, du moins de 1981 à 1986, ne doit rien à la gauche sinon à l’incapacité de cette dernière à endiguer le chômage, la délinquance,  l’insécurité, l’immigration-invasion, etc…

C’est une période de ma vie où je ne me suis pas limité au rôle modeste de militant de base. J’ai cependant souvent occupé mon temps libre à faire de l’affichage nocturne ou bien à renforcer le service d’ordre des meetings du FN. Il m’arrive de plaisanter en disant que : « j’ai passé un CAP de tapissier en cours du soir », allusion à mes nuits de collage d’affiches, faites de franche rigolade mais parfois aussi de frayeurs et de démarrages en trombe (avec la « cale à roulis » dans le seau de colle, pour éviter d’en renverser dans ma voiture). Je me suis également présenté à quelques élections qui se sont soldées par des claques mémorables. Cette époque durant laquelle je militais activement, c’est aussi la fin de vie de mon père (décédé en avril 1985). En 1983 ou 84, il suivait, amusé, mon engagement politique. Au soir de sa vie, heureux de savoir toute sa progéniture casée, il constatait avec une fierté légitime que pas un de ses enfants n’avait viré à gauche. Nous étions tous dans sa mouvance. Nous avions des divergences de vue sur la façon de prendre (ou de ramasser) le pouvoir, de redresser le pays, de tirer un trait sur mai 68,  mais il nous avait transmis ses valeurs.

En 1986, juste après l’entrée au palais Bourbon d’un groupe parlementaire RN-FN (5), nous créons, avec Marcel Bouyer et quelques amis, le « Comité de Liaison des Amitiés Nationalistes » (CLAN). Marcel en est le président, moi le vice-président. Partant de l’adage de Philippe Malaud – ex président du CNI – « je n’ai pas d’ennemis à droite », nous voulons fédérer les droites nationales autour du FN.  Mais au plan régional, on soupçonne Marcel Bouyer de vouloir traiter directement avec son ami Jean-Marie Le Pen (ils ont été députés UDCA ensemble de 56 à 58).

C’est à cette époque que Marcel Bouyer me fait connaître le général Jouhaud, le seul « pieds noirs » du putsch des généraux d’avril 1961. Le général me dédicace deux de ses livres (6). Puis, lors d’un méchoui, me décerne le titre – purement honorifique – de « pieds noirs d’honneur » en raison de mes écrits pour la défense de l’Algérie française.

1987, lassé par les querelles internes au sein du FN régional, je claque la porte avec quelques amis mais je reste proche des « Indépendants nationaux » de Michel de Rostolan. Nous prônons encore et toujours une union des droites mais Le Pen, avec la fameuse affaire du « détail », diabolise à jamais le FN aux yeux des tièdes : le mouvement devient infréquentable. Même si la tirade de Le Pen a été – volontairement – déformée et/ou mal interprétée, c’est un coup mortel porté à nos années de militantisme. Et au FN, Bruno Mégret se sent pousser des ailes. Une partie des cadres est prête à le suivre en dissidence. Le clash aura lieu deux ans plus tard. La droite nationale a encore manqué son rendez-vous avec l’histoire, comme le 6 février 1934, comme le 21 avril 1961…

Quelques années plus tard, j’ai repris ma carte au FN dans l’espoir que Bruno Gollnisch en deviendrait président, au congrès de janvier 2011. L’élection de Marine, due à des manipulations internes et aussi au népotisme de Jean Marie Le Pen, m’a fait prendre du recul : le FN de Marine, devenu RN, n’a plus ni la doctrine, ni les valeurs intellectuelles d’antan. C’est un parti démagogue et racoleur qui rivalise avec celui de Mélenchon. Je reste cependant cohérent avec moi-même : « pas d’ennemi à droite » donc je continue à voter RN. Mes idées n’ont pas changé mais j’estime que j’ai passé l’âge de jouer les bateleurs d’estrade, de distribuer des tracts sur les marchés ou de coller des affiches la nuit. Et puis, je dois l’avouer, je crois de moins en moins à la « démo-crassie ». À quoi sert, en effet, l’adage parfaitement idiot « un homme, une voix » quand cet homme n’est pas capable de lire (ou de comprendre) un programme politique, quand il n’ingurgite plus que des niaiseries, qu’il est totalement anesthésié par la téléréalité, le cinéma porno, le loto ou le foot ?

Déjà, en 1871, Gustave Flaubert écrivait : « Le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli. » Mais j’aime mieux cette citation de Léon Daudet, l’une des meilleures plumes de « l’Action Française » : « La démocratie, c’est la révolution couchée et qui fait ses besoins dans ses draps. » Ou celle, encore plus sévère, d’Henri Louis Mencken : « La démocratie, c’est l’art de diriger le cirque à partir de la cage des singes ».  

En fin d’année, j’ai écrit un article sur « l’Opération Mousquetaire » menée par la France à Suez en 1956. Dans ce rappel historique j’écrivais ceci : « À Suez, chez les Légionnaires-paras, il y avait « le plus jeune député de France » de l’époque. Élu sous l’étique de l’UDCA de Pierre Poujade, ancien sous-lieutenant d’Indochine, il avait  rempilé  comme lieutenant chez les Légionnaires-paras. Ce jeune homme bravache s’appelait Jean-Marie Le Pen. A ma connaissance, sous la 4° République, trois députés, pas un de plus, ont abandonné provisoirement leur mandat  pour aller se battre en Algérie. Le Pen a eu le courage de mettre « sa peau au bout de ses idées », comme l’écrira plus tard Pierre Sergent, et ce comportement force le respect, quoiqu’on pense du personnage. On juge un homme à ses actes, pas à ses propos ! L’« Opération Mousquetaire » a valu à Jean-Marie Le Pen le surnom de « croque-mort de la 10ème DP ». En effet, il avait insisté auprès de sa hiérarchie pour que les morts égyptiens soient inhumés selon leur croyance, en direction de La Mecque ».

Je rappelle que Jean-Marie Le Pen s’était engagé en Indochine pour que les Vietnamiens ne tombent pas sous la coupe des communistes du Vietminh ; il défendait des asiatiques. Il a « rempilé »  en Algérie pour que les Algériens pro-français ne soient pas massacrés par les tortionnaires du FLN ; il défendait des musulmans. Et il s’est porté volontaire pour l’opération de Suez, aux côtés de l’Armée israélienne. Et il se trouve encore des gens pour le traiter de raciste ou d’antisémite. Aujourd’hui, je tenais à rappeler ces quelques « détails » dont la presse ne nous parle jamais.

Au revoir lieutenant Jean-Marie Le Pen ! Ce soir je lèverai mon verre en pensant à vous.

Que Saint Michel, le saint patron des paras, vous conduise au paradis des braves.


Éric de Verdelhan

7 janvier 2025

 

1)- « L’amitié » d’Abel Bonnard ; réédition Trident ; 1991.

2)- « Le chagrin » de Lionel Duroy; Julliard; 2010 ; « Priez pour nous »; Barrault; 1990.

3)- « Pékin » : surnom que les militaires donnent aux civils.

4)- « La barbe et la rose » de Jean Cau; Table Ronde; 1982.

5)- « Rassemblement National – Front National » : car le groupe comptait aussi des « Indépendants Nationaux » comme Michel de Rostolan.

6)- « Ô mon pays perdu » du général Edmond Jouhaud; Fayard; 1969. « Serons-nous enfin compris ? » du même auteur ; Albin Michel; 1984.

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