« L’INÉLIGIBILITÉ IMMÉDIATE DE MARINE LE PEN EST UN COUP PORTÉ À L’ÉTAT DE DROIT » (Alain Jakubowicz)

Interview d’Alain Jakubowicz par Géraldine Woessner pour « Le Point« .

Ancien président de la Licra, l’avocat Alain Jakubowicz, opposant historique au Rassemblement national, dénonce la décision du tribunal, y voyant une atteinte aux principes fondamentaux de la justice.

C’est une bombe judiciaire dont la déflagration ébranle jusqu’aux fondements mêmes de la République. Marine Le Pen, figure tutélaire du Rassemblement national, s’est vu infliger une peine de quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et cinq ans d’inéligibilité exécutoires sur-le-champ, dans l’affaire des assistants

Une sentence implacable, qui a sidéré jusqu’aux plus fins connaisseurs des prétoires. Pendant plus d’une décennie, entre 2004 et 2016, a jugé le tribunal, des fonds européens ont été détournés pour rémunérer des assistants fantômes, officiellement au service du Parlement à Bruxelles, mais en réalité employés par le parti à Nanterre.

La juge a motivé sa décision en invoquant un « trouble à l’ordre public » et un risque de récidive, justifiant selon elle l’éviction de la candidate naturelle du RN de la course à l’Élysée en 2027. Un verdict qui suscite le malaise jusque dans les rangs des opposants historiques du RN. Président d’honneur de la Licra, l’avocat Alain Jakubowicz, ardent défenseur de l’État de droit, dénonce un affront aux principes fondamentaux de la justice.

Le Point : Quelle est votre réaction à la décision du tribunal du 31 mars 2025 condamnant Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire ?

Alain Jakubowicz : Je suis abasourdi. Les critères usuels pour une exécution provisoire, comme le risque de récidive ou la dangerosité, ne me semblent pas ici clairement réunis. Cela prive Marine Le Pen d’un second degré de juridiction, ce que je trouve choquant.

Je vois pourtant la limite de mon raisonnement : les faits semblent avérés, et il paraissait inéluctable que Marine Le Pen soit condamnée au final, probablement avec une inéligibilité. Les juges ont estimé qu’il fallait trancher immédiatement. Je considère que cela porte atteinte à la présomption d’innocence, même dans un dossier accablant. Je comprends pourquoi le RN, Marine Le Pen et ses proches parlent d’une décision politique. Leur mise en cause de l’État de droit n’est pas totalement illégitime, et c’est ce qui me rend triste. Cette situation questionne l’État de droit d’une manière que je ne peux pas ignorer, et c’est ce qui me perturbe le plus.

Le Point : La juge a invoqué un trouble à l’ordre public, et un risque de récidive pour justifier l’exécution immédiate de la peine d’inéligibilité. Qu’en pensez-vous ?

Alain Jakubowicz : Je l’affirme : c’est un prétexte. Quel risque de récidive ? Marine Le Pen n’est plus députée européenne, donc elle n’a plus les moyens de récidiver dans ce cadre précis. Pour moi, c’est absurde, ce n’est pas sérieux, et ça donne l’impression de prendre les gens pour des imbéciles. Qui peut sérieusement croire qu’elle représente un danger imminent de ce type ? C’est ridicule et insultant pour l’intelligence. Je comprends qu’on puisse se demander si cette décision a un caractère politique. Pour moi, c’est une énorme sottise, un sale coup porté à l’État de droit. Je suis vraiment attristé par ce verdict et par ces justifications qui ne tiennent pas la route. Ça me heurte en tant que défenseur des principes juridiques.

Le Point : Quelles conséquences craignez-vous après ce verdict ?

Alain Jakubowicz : Je redoute le procès fait à l’institution judiciaire. En tant que légaliste et défenseur de l’État de droit, je m’inquiète des jugements d’exception. Je crains également que la Cour de cassation, si elle était saisie, puisse être influencée par les conséquences de sa décision plutôt que par des considérations purement juridiques…

Le Point : L’exécution immédiate de l’inéligibilité pourrait-elle radicaliser l’électorat du RN avant 2027 ?

Alain Jakubowicz : C’est possible. Ce qui me choque, c’est que cet électorat n’ait pas été heurté par sa culpabilité. Il s’agit d’un détournement de fonds publics, des faits graves qui devraient entraîner l’inéligibilité automatique et définitive. La vraie moralisation de la vie publique passe par là. Cet électorat est tellement acquis à sa cause qu’il ne perçoit pas la gravité des faits. Ce ne sont plus des électeurs mais des « aficionados », des « groupies ». Cette évolution du monde politique me fait peur, et on observe le même phénomène chez Jean-Luc Mélenchon. Finalement, les extrêmes se rejoignent : quand le « gourou » parle, les adeptes se taisent.

Le Point : Le Conseil constitutionnel a exigé une exécution provisoire « proportionnée » et respectant la « liberté de l’électeur ». Ce verdict du 31 mars vous semble-t-il y répondre ?

Alain Jakubowicz : La présomption d’innocence n’est pas négociable. Comment réparerait-on les dégâts si la Cour de cassation cassait finalement cette décision ? Je comprends l’exécution provisoire face à un risque immédiat comme pour un violeur, mais la procédure reste la meilleure protection des libertés individuelles et publiques. Je suis opposé à tout ce qui viole la règle normale, et nous ne sommes pas dans un cas d’exception ici.

Alain Jacubowickz

31/03/2025

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