L’antisémitisme n’a pas disparu. Il a simplement changé de visage.
Il ne se dit plus racial ou biologique, comme aux temps sombres du nazisme. Il ne parle plus de pureté du sang, ni de race dégénérée. Il se pare aujourd’hui des habits de la morale, des droits de l’homme, de la cause des opprimés. Il ne reproche plus aux juifs de ne pas avoir de patrie – il leur reproche d’en avoir une.
Et cette patrie, Israël, il la déclare illégitime, coloniale, oppressive par nature. Là où, hier, on leur reprochait d’être errants, étrangers, sans racines, on leur reproche aujourd’hui d’être enracinés, souverains, défensifs. L’antisémitisme moderne ne nie pas qu’ils aient été persécutés : il leur reproche de s’en souvenir, et d’en parler.
L’illusion d’un antiracisme qui exclut les juifs
Ce nouvel antisémitisme se présente comme une posture morale. Il prétend défendre les droits humains, la justice, les causes des peuples humiliés. Il se proclame antiraciste. Mais, comme par un glissement presque imperceptible, il exclut les juifs de cette fraternité.
Dans sa logique binaire – les dominants contre les dominés, les colonisateurs contre les colonisés – les juifs, collectivement, sont rangés du mauvais côté. Non pas en fonction de leurs actes ou de leurs idées, mais par identification automatique à Israël, présenté comme l’ultime forme d’oppression post-coloniale. Ainsi, une critique légitime d’un gouvernement se mue rapidement en rejet d’un peuple, voire d’une culture entière.
« Ils en font trop » : la délégitimation de la mémoire
Un des traits les plus marquants de cette haine contemporaine est le reproche adressé aux juifs de « trop parler de la Shoah ». On leur dit qu’ils exploitent leur martyre, qu’ils entretiennent une mémoire victimaire pour s’arroger des privilèges ou pour culpabiliser le monde. On les accuse de faire de la Shoah un « instrument politique », un « tabou moral », voire une justification absolue de toutes les injustices.
Ce discours, pourtant, inverse les responsabilités. Il nie que la mémoire de la Shoah fut longtemps silencieuse, étouffée, marginalisée. Il oublie que ce souvenir est, d’abord, un deuil impossible, transmis de génération en génération par les survivants, souvent dans le silence, parfois dans la honte. Il feint d’ignorer que cette mémoire n’est pas une arme mais un rempart fragile, une tentative de préserver une dignité humaine menacée par l’oubli.
Une stratégie bien rodée : instrumentaliser quelques voix juives
Pour se protéger de l’accusation d’antisémitisme, ce discours utilise une arme redoutable : la caution de figures juives critiques d’Israël. On cite inlassablement Noam Chomsky, Ilan Pappé, Shlomo Sand, Norman Finkelstein. Ces intellectuels, souvent sincères dans leurs engagements, deviennent des totems que l’on brandit comme des preuves d’innocence :
« Voyez, ce ne sont pas des antisémites, ce sont des juifs eux-mêmes qui le disent. »
Mais cette manœuvre est profondément malhonnête. Elle ne respecte pas la pensée de ces auteurs : elle la déforme, l’isole, l’instrumentalise. Elle ne cherche pas à débattre : elle cherche à faire taire. Elle crée une division artificielle entre les « bons juifs » – ceux qui se renient ou s’opposent à Israël – et les « mauvais juifs » – ceux qui assument leur mémoire, leur attachement à un peuple, à une terre.
Ce procédé ne permet pas de penser : il permet de haïr sans en avoir l’air.
Une inversion totale : d’apatrides à coupables d’avoir un État
Le fond de ce nouvel antisémitisme, c’est cette inversion perverse : hier les juifs étaient haïs parce qu’ils n’avaient pas de terre, aujourd’hui ils le sont parce qu’ils en ont une. Leur existence nationale devient un scandale, leur défense un abus de pouvoir, leur attachement à leur peuple une trahison de l’universel.
Mais ce que ce discours ne supporte pas, en réalité, c’est que les juifs aient osé redevenir sujets de leur propre histoire. Qu’ils ne soient plus seulement des figures morales, des témoins muets, des victimes édifiantes, mais des citoyens, des acteurs, des gens debout, parfois imparfaits, parfois critiquables – comme toutes les nations.
Il ne leur reconnaît pas le droit à l’autodétermination qu’il accorde à tous les autres peuples. Il veut les voir souffrir, pardonner, se taire, mais jamais gouverner, se défendre, ou même simplement exister politiquement.
L’antisémitisme, toujours le même fond sous des masques neufs
Ce nouvel antisémitisme n’a plus besoin d’uniforme ni de croix gammée. Il se glisse dans les milieux culturels, universitaires, militants. Il parle le langage de la paix, mais il divise. Il se dit anticolonial, mais il recycle les vieux fantasmes de la domination juive. Il ne parle plus de sang impur, mais il montre du doigt des noms, des visages, des origines.
Il reste fidèle à son vieux projet : faire du juif un problème. Trop visible, trop influent, trop présent. Trop silencieux ou trop bruyant. Trop victime ou trop fort. Toujours de trop.
Charles Rojzman
22/04/2025

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