Deux généraux en 2ème section (en fait, en retraite), deux frères d’armes, André Coustou et Paul Pellizzari, viennent d’être sanctionnés pour manquement au devoir de réserve et radiés des cadres par mesure disciplinaire.
Des médias, presse écrite notamment, relient volontairement et malhonnêtement cette sanction à la tribune dite des généraux publiée en avril 2021. Cela leur évite, en effet, de donner les vraies raisons de cette mesure humiliante qu’il faut rattacher, en réalité, au contexte délicat du conflit entre l’Ukraine et la Russie. Ces deux généraux ont, en fait, déposé plainte en 2024 contre des membres du gouvernement auprès de la Cour de Justice de la République à la suite de la cession à l’Ukraine d’équipements militaires prélevés sur ceux de l’armée française en se référant à l’article 411-3 du code pénal (« le fait de livrer à une puissance étrangère, à une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents des matériels, constructions, équipements, installations, appareils affectés à la défense nationale est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende »). Cette sanction prise par le pouvoir politique en rappelle d’ailleurs une autre, celle appliquée en 2016 au général Christian Piquemal au moment de la crise de Calais. J’avais, à ce moment-là, publié une tribune pour évoquer ce sujet du devoir de réserve invoqué pour empêcher les généraux en 2ème section de s’exprimer. Aujourd’hui, huit ans plus tard, la même tribune pourrait s’appliquer à la présente situation. C’est la raison pour laquelle j’en reprends des éléments car, au fil du temps et des expériences vécues, une question se pose : finalement, le militaire et le politique n’ont-ils pas une vision différente de l’intérêt de l’État et de la nation ?
Souvenons-nous, en 2013, le général en 1ère section (en activité) Bertrand Soubelet auditionné par les parlementaires fait état des difficultés rencontrées par la gendarmerie et la justice pour lutter contre la délinquance. Il est alors muté et mis à l’écart. En 2016, le général en 2ème section (en retraite) Christian Piquemal est arrêté au cours d’une manifestation contre la gestion de la crise migratoire à Calais interdite et est mis en garde-à-vue. Il comparaît, trois mois plus tard, devant le tribunal qui le relaxe mais il est sanctionné par le pouvoir politique. En 2017, le général Pierre de Villiers (CEMA) expose son désaccord devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale sur la réduction de 850 M € sur le budget 2017 de la défense. Le divorce est consommé avec le président de la République et il démissionne avant d’être démissionné. Ces événements ainsi que d’autres démarches ou interventions de généraux en 2ème section sur des sujets comme la défense du pays et ses forces armées ou l’immigration ont irrité un certain nombre de responsables politiques, toutes tendances confondues. Ces derniers se sont agacés de ces interventions jugées intempestives, voire contraires au devoir de réserve, de généraux habituellement silencieux.
Mais, un général doit-il fermer sa gueule comme le déclarait d’un ton condescendant et méprisant un candidat aux primaires de la droite qui aspirait à devenir Président de la République et donc chef des armées ? Par exemple, un général auditionné par les élus de la nation doit-il mentir pour ne froisser personne et finalement se discréditer et manquer à tous ses devoirs ? Par exemple, un militaire en retraite – qui, ne l’oublions pas, est également un citoyen – devait-il être tenu au silence devant un processus engagé depuis la fin de la Guerre froide et consistant à démanteler l’outil militaire pourtant chargé d’assurer la première des missions régaliennes de l’État, c’est à dire la défense de son territoire, la protection de la nation et de ses intérêts ? C’est bien ce qu’un sénateur avait demandé en 2016 au Chef d’état-major des armées : faire taire certains militaires en retraite. Par exemple, un général en 2ème section rompt-il son devoir de réserve parce qu’il dénonce la politique conduite dans la gestion de la crise migratoire notamment à Calais qui a conduit nos dirigeants à accepter la présence illégale de milliers de clandestins sur notre sol, bafouant ainsi notre Constitution (article 5) et l’état de droit qui régit pourtant notre démocratie et constitue l’un des piliers censés garantir l’intégrité du territoire ? En quoi le fait de rappeler les conditions dans lesquelles le général Christian Piquemal avait été arrêté à Calais le 6 février 2016 était-il une présentation polémique des faits et constituait-il une atteinte au devoir de réserve ? C’est ce qui a été reproché à ceux qui se sont exprimés, sommés de se taire car tenus au devoir de réserve. Aujourd’hui, nos deux camarades généraux paient le prix fort pour avoir voulu exprimer avec force et conviction ce qu’ils considèrent contraire aux intérêts de la France dans ce conflit entre l’Ukraine et la Russie.
Il est vrai que nos élites politiques, qu’elles détiennent les rênes du pouvoir ou qu’elles aspirent à y accéder, ne sont pas habituées à ce que des militaires, et en particulier des généraux en 2ème section, estiment, lorsque l’intérêt supérieur du pays et de la nation est en cause, avoir le droit et même le devoir de s’exprimer. Il ne s’agit cependant pas de sédition ou de conspiration de leur part. Cela révèle simplement le niveau atteint par l’incompréhension et le décalage qui s’est instauré entre le militaire et le politique en matière de conception de la gouvernance du pays sur le long terme qui doit viser la sécurité à l’extérieur et la concorde à l’intérieur.
S’agissant de la sécurité à l’extérieur, chacun sait que depuis très longtemps le budget de nos forces armées a servi de variable d’ajustement et il faut reconnaître que depuis la fin de la Guerre froide la situation n’a fait qu’empirer, la détérioration de nos capacités opérationnelles ayant atteint en 2016 (1,2 % du PIB affecté à la défense) un niveau critique mettant en danger la vie de nos soldats engagés en opérations. Cette détérioration a d’ailleurs mené à une rupture des capacités dont la conséquence pour nos forces armées s’est traduite par un déclassement stratégique extrêmement préjudiciable pour la France et dangereux pour la défense de nos intérêts dans le monde. Le conflit entre l’Ukraine et la Russie avec le désengagement amorcé des Etats-Unis met d’ailleurs en lumière l’état de faiblesse extrême des moyens des États européens qui continuent pourtant d’alimenter dans une démarche suicidaire une guerre déjà perdue et qui, de surcroît, n’est pas la nôtre. C’est dans ce contexte détestable et au moment même de la publication au journal officiel (JO) de la sanction qui frappe les généraux Coustou et Pellizzari qu’une résolution citoyenne relative à l’engagement militaire et financier de la France en Ukraine, signée par une trentaine de généraux, était délivrée par huissier aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. Cette résolution citoyenne (https://www.place-armes.fr/r%C3%A9solution-citoyenne) exige la transparence et le respect des principes constitutionnels dans les décisions qui engagent notre pays. Elle rappelle que la souveraineté appartient au peuple et que les parlementaires ont le devoir de l’écouter et de défendre ses aspirations. Chacun comprendra qu’il n’y a rien de séditieux ou de subversif dans cette résolution qui constitue cependant un rappel aux représentants de la nation de leur devoir dans le respect des institutions.
Quant à la concorde à l’intérieur, elle dépend essentiellement du niveau de cohérence interne de la société caractérisée par sa culture et donc son identité. Force est de constater que la société française n’est plus aujourd’hui une société apaisée et ne le sera plus avant longtemps en raison de la mutation identitaire qui lui est imposée contre son gré. Car, après des décennies de laxisme, de manque de vision et de clairvoyance, d’absence de courage et de fidélité aux racines de la France, les élites politiques ont fini par oublier que gouverner c’est prévoir. Elles ont ainsi trahi l’âme de la France en favorisant cette immigration de peuplement hostile à notre civilisation et à nos valeurs, immigration vectrice de violence et d’appauvrissement dans de nombreux domaines. En outre, les excès et les dérives d’un communautarisme imposé par un islam conquérant, nullement inquiété par les pouvoirs publics, ne cessent de progresser sur notre sol et conduisent le pays à la catastrophe. C’est précisément pour témoigner de cette combinaison des périls que le général Christian Piquemal s’était déplacé à Calais pour dénoncer la passivité incompréhensible des responsables politiques.
Il y a donc, incontestablement, un fossé qui s’est creusé et qui sépare l’approche des problèmes du monde, et par voie de conséquence de la France, entre le militaire et le politique dont les logiques et les horizons sont par nature différents. Le premier voit loin et la permanence de la défense du pays et de ses intérêts, la sécurité et la protection de la nation restent un tourment constant qui dépasse le temps présent et s’inscrit dans le temps long. Le second détient le pouvoir après avoir gagné des élections qui consacrent généralement des ambitions personnelles mais l’exerce le plus souvent soumis au cours des événements qu’il ne maîtrise pas toujours et qui le maintient dans une vision qui ne dépasse pas le court terme, voire le moyen terme dans le meilleur des cas, mais qui s’inscrit donc dans le temps court. Alors, il faut être conscient qu’au-delà de cette différence d’approche, les forces armées exercent par nature un sacerdoce au profit, avant tout, du peuple, de la nation qu’elles sont chargées de protéger et de défendre. C’est dans cette perspective et avec le souci de protéger et de défendre les intérêts du pays et de la nation que nos deux camarades généraux ont agi, ce qui leur vaut d’être sanctionnés aujourd’hui alors qu’ils ont servi la France pendant des décennies avec le sens du devoir et de l’honneur. Il est vrai que comme le disait Chamfort : « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu et on persécute ceux qui sonnent le tocsin ».
Un général en 2ème section, certes soumis au devoir de réserve, continue de servir son pays et incarne ce sacerdoce au service de la nation quels qu’en soient ses représentants d’ailleurs et, tel une sentinelle, il sonne l’alarme quand il estime que la situation l’exige car c’est un lanceur d’alerte. Son expérience, sa culture militaire et son engagement désintéressé lui confèrent une certaine légitimité pour exprimer son appréciation lorsque la sécurité et l’avenir de la nation sont mis en danger. C’est même son devoir de citoyen éclairé tant qu’il ne dévoile pas de secrets militaires. Car il faut dénoncer ici l’hypocrisie et la malhonnêteté des médias et de certains au sein des élites politiques qui, pour justifier les sanctions décidées par le pouvoir politique, avancent de façon perfide le principe du devoir de réserve qui s’impose à un général en 2ème section car il peut être rappelé par le gouvernement. La vérité c’est qu’à partir de son 67ème anniversaire un général en 2ème section ne peut plus statutairement être rappelé et devient, dès lors, pleinement un retraité. Cela étant dit, comment ces élites politiques et ces médias expliquent-ils que des magistrats, en activité, eux, et soumis également au devoir de réserve, puissent prendre publiquement des positions expressément politiques sans être sanctionnés ? Comment expliquent-ils que sur le conflit Ukraine-Russie les généraux de plateaux TV puissent s’exprimer librement et que ceux qui n’épousent pas le narratif officiel, non seulement n’y sont pas invités mais sont sanctionnés ?
Alors, ce devoir d’expression est-il réellement une atteinte au devoir de réserve ? Certainement pas, car la vraie question qui se pose est celle-ci : pourquoi ce devoir d’expression revendiqué par des généraux respectueux d’une éthique qui les pousse à intervenir peu dans le débat public se manifeste-t-il ? La réponse est claire : un général doit, c’est un devoir, briser le silence lorsque tout ce pour quoi il s’est battu toute sa vie est remis en question et que la nation est mise en danger. Et sur le plan moral comme sur le plan juridique, est-ce porter atteinte au devoir de réserve que de s’exprimer pour dénoncer le fait que la Constitution est instrumentalisée ou que la loi n’est pas respectée ou n’est pas appliquée ? C’est précisément ce que traduit notamment la résolution citoyenne adressée aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. C’est tout le sens que prend cette supposée transgression du devoir de réserve avec l’expression de certains généraux habitués, eux, au respect du règlement et de la loi et qui tirent la sonnette d’alarme car ils sont au service permanent de la nation. C’est la raison pour laquelle ils ne peuvent pas fermer leur gueule. C’est tout le sens de la démarche entreprise par nos deux camarades André Coustou et Paul Pellizzari.
Antoine MARTINEZ (général 2s)
27 avril 2025
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« Comment expliquent-ils que sur le conflit Ukraine-Russie les généraux de plateaux TV puissent s’exprimer librement « . Ceux là sont en mission gouvernementales et donc s’expriment ou plutôt expriment discrètement les idées du gouvernement. Ils ne sont pas choisi par hasard. Que nos dirigeants politiques sachent bien que nous militaires ne sommes pas à « leurs bottes » mais au service de notre Patrie, la France. Et que l’invasion migratoire à laquelle on assiste est une autre forme d’invasion que n’aurait sans doute pas renier la Whermacht jadis !